Présentation éditeur
Louise a une trentaine d’années. Après la mort accidentelle de ses parents, elle a dérivé dans la drogue et l’alcool. Aujourd’hui elle vit seule avec son fils Sam, âgé de 8 ans, sa seule lumière. Elle est harcelée par son ancien compagnon qui, un jour, la brutalise au point de la laisser dans un état grave. Il blesse aussi grièvement la meilleure amie de Louise. L’enquête est confiée au groupe dirigé par le commandant Jourdan, qui ne reste pas insensible à Louise. Parallèlement un tueur de femmes sévit, pulsionnel et imprévisible, profondément perturbé.
Au cœur de ces ténèbres et de ces deux histoires, Jourdan, un flic, un homme triste et taiseux, qui tente de retrouver goût à la vie...
Ce que j'en pense
Acheté à sa sortie, Traverser la nuit fait partie des romans que j'ai laissés, attendant le moment propice pour me plonger dedans. Et pour tout vous dire, j'ai eu un peu de mal, sans que le roman y soit pour grand chose. En cause, ma fatigue, qui m'empêchait de bien me laisser aller à ce récit qui propose divers points de vue, divers personnages. Mais c'est Le Corre, et comme c'est un auteur que j'aime énormément, je me suis accrochée, heureusement. Un peu de repos, du temps, et c'était parti. J'aime Le Corre quand il se plonge dans un moment de l'Histoire, mais je crois que je ne l'aime jamais autant que quand il fouille dans notre monde le plus contemporain et les tragédies ordinaires d'une société malade. Ici, à travers trois personnages, il empoigne le lecteur, lui met le nez dans l'horreur, la misère (sous toutes ses formes), mais aussi l'amour. Toxicité des familles déviantes, impasses d'une vie conjugale, domination masculine ordinaire et meurtrière, voilà trois facettes de notre monde riant. Bien entendu, Louise est bouleversante, Sam plus encore peut-être, et leur amour prend aux tripes. J'avoue m'être encore plus attachée à Jourdan, flic de roman noir superbe, dont les maladresses (hors boulot) m'ont beaucoup touchée.
Hervé Le Corre, une fois encore, éblouit par sa maîtrise du genre, sa capacité à en manier les codes sans naïveté mais sans tomber non plus dans une dimension ironique ou méta. Le roman noir reste avec lui un puissant instrument de mise à nu des plaies de notre société, et il excelle dans l'art de construire des personnages susceptibles de nous embarquer, de nous procurer des émotions très fortes. Jamais il ne sombre dans la facilité, et on voit bien ce que d'autres, moins talentueux, auraient fait avec les mêmes, que ce soit Louise ou Christian, ou même Jourdan, qui pourrait être un sauveur justicier. Mais non, Hervé Le Corre est bien trop subtil pour tomber dans de tels travers. Et vous savez quoi? J'ai beau le lire depuis un moment, Le Corre, jusqu'au bout j'ai espéré, espéré que Jourdan pourrait honorer son rendez-vous (z'avez qu'à lire pour savoir de quoi je parle), mais évidemment, on n'est pas au pays de Candy.
Et puis il y a l'écriture d'Hervé Le Corre, superbe, jamais un mot en trop. Il fait mouche quand il évoque un ado sans cervelle qui ne semble pas saisir la portée de ses actes, quand il restitue cette syntaxe atroce que nous avons entendue, n'est-ce pas, de nombreuses fois. Il rend admirablement les moments de silence, les instants suspendus, la lourdeur de la pluie, la simple beauté d'un jardin, la grâce de Louise avec sa mèche qui lui barre le visage, de Sam qui s'endort, et si cette beauté-là n'efface pas l'horreur, elle permet de l'oublier, un petit instant.
Hervé Le Corre, Traverser la nuit, Rivages Noir, 2021.