Présentation éditeur
Dans l’Europe des années vingt et trente, déchirée par la guerre et la révolution, la jeune Berta Altmann cherche sa voie en tant qu’artiste et femme indépendante. Sa quête de liberté la conduira de Vienne à l’école du Bauhaus, de Weimar à Berlin et jusqu’à Prague. La rencontre et la confrontation intellectuelle avec les artistes célèbres de son temps la poussent à s’engager dans des combats esthétiques et idéologiques à une époque où ceux-ci représentent des choix à la vie à la mort.
C’est à travers l’objectif d’une équipe de tournage israélienne du XXIe siècle que nous découvrons le destin extraordinaire de cette femme, inspiré de l’histoire réelle de Friedl Dicker-Brandeis, qui enseigna l’art aux enfants dans le camp de concentration de Terezín et fut assassinée à Auschwitz. Sans le savoir, les documentaristes, aidés par la petite-fille d’une de ces enfants, libéreront la force obsédante de secrets longtemps enfouis.
Cette fresque couvrant un siècle d’histoire de l’Europe centrale aborde avec force ce qu’il en coûte de se jeter dans l’inconnu afin d’oser s’affirmer en tant qu’individu et artiste.
Ce que j'en pense
Une fois encore, Agullo a déniché une merveille : Le Saut d'Aaron est un roman d'une richesse folle, qui brasse un siècle d'Histoire de l'Europe centrale, d'histoire de l'art, des femmes - femmes-artistes. Le tournage d'un documentaire israëlien va ramener les personnages loin en arrière, à travers le destin tragique de Berta Altmann, inspiré de celui de Friedl Dicker-Brandeis, morte à Auschwitz le 9 octobre 1944. A travers elle, c'est le bouillonnement politique, artistique et intellectuel de l'Europe centrale des années 1920 et 1930 qui nous est donné à voir. Vienne, Berlin, Weimar mais aussi Prague : quelle effervescence, quelle fertilité! L'aspiration à la Révolution se heurte de plein fouet à la montée des nationalismes et totalitarismes, forces progressistes contre forces réactionnaires, et quoi de mieux que le destin d'une femme pour faire percevoir ces tensions?
Berta est une artiste prometteuse, qui se cherche et s'affirme peu à peu, malgré la tourmente qui menace. On perçoit à la fois l'élan de liberté qui l'anime et sa dépendance aux hommes qu'elle aime, car, pour le dire de manière grandiloquente, c'est l'amour qui la tuera. Elle a la possibilité de fuir pour l'Angleterre et le refuse, pour rester près de l'homme qu'elle aime, et cette volonté la mènera à la mort, dans les derniers convois pour le camp d'Auschwitz.
Il y a donc un double mouvement en Berta, un élan d'indépendance et un attachement viscéral à celui qu'elle aime, qui peine de son côté à sortir de schémas traditionnels. Ainsi, le roman évoque cette difficulté à être, sans paradoxes, une femme artiste dans l'Europe de l'entre-deux guerres. Les choix que l'on fait alors, choix politiques et choix esthétiques (les deux étant liés) ne sont pas des coquetteries ou des futilités, ils sont des choix de vie et de mort.
Mais il nous offre aussi un destin marqué par une conviction viscérale : l'art sauve, l'art est le meilleur moyen de conjurer la mort, et c'est le sens de l'engagement de Berta, jusqu'au bout, jusque dans le camp de Terezin où elle enseigne l'art aux enfants du camp. La force de Berta réside dans sa capacité à transmettre, aux siens et aux autres.
Cette capacité à se libérer, à choisir la vie, la pulsion de vie, nous la retrouvons dans les dernières pages, avec le "saut d'Aaron", justement, et c'est superbe. La mort de Berta est une abomination, évidemment, mais subsiste la pulsion de vie, la force de la création. L'avenir, c'est Milena.
Je signale enfin le superbe travail des éditions Agullo, que ce soit avec la traduction de Barbora Faure ou le graphisme de la couverture, somptueux. Pour moi, tout cela compte énormément.
Magdaléna Platzová, Le Saut d'Aaron (AARONŮV SKOK), Agullo, 2021. Traduit du tchèque par Barbora Faure.