mercredi 24 février 2016

En attendant Bojangles d'Olivier Bourdeaut


Présentation (éditeur)
Sous le regard émerveillé de leur fils, ils dansent sur «Mr. Bojangles» de Nina Simone. Leur amour est magique, vertigineux, une fête perpétuelle. Chez eux, il n'y a de place que pour le plaisir, la fantaisie et les amis.
Celle qui mène le bal, c'est la mère, imprévisible et extravagante. Elle n'a de cesse de les entraîner dans un tourbillon de poésie et de chimères.
Un jour, pourtant, elle va trop loin. Et père et fils feront tout pour éviter l'inéluctable, pour que la fête continue, coûte que coûte.
L'amour fou n'a jamais si bien porté son nom.

Ce que j'en pense
Ce sont les avis élogieux qui m'ont fait ouvrir ce court roman à la belle couverture. J'ai passé un moment sympathique sans être aussi transportée d'émotion que les lecteurs conquis.
Ce qui m'a empêchée d'être enthousiaste ? La trame par trop prévisible à mes yeux. La structure ne m'a pas surprise une seule fois : dès les premières pages je savais que cette histoire ne pouvait que mal se finir (je ne peux en dire plus), et je n'ai pas aimé cette fin, la décision ultime du père.
Par ailleurs, je ne suis pas très sensible à ce type de tonalité, qui m'a rappelé Foenkinos : la légèreté dans la tragédie, la fantaisie dans le quotidien. Ceci est très subjectif et je comprends fort bien qu'on aime. Pour ma part, je n'adhère pas à ce récit presque hors du temps, délibérément placé en marge de tout réalisme. Et puis sans doute ne suis-je pas romantique, mais cet amour fou et ces personnages ne m'ont pas touchée.
Pourtant, je suis convaincue que l'on peut retirer un plaisir immense de cette histoire. Adopter le point de vue de cet enfant est une excellente idée, cela ajoute de la fantaisie, du décalage. Et sans doute peut-on être fou d'amour, en tant que lecteur, de ces deux personnages. Le fait d'avoir côtoyé la maladie mentale dans ma famille me rend épidermique et peu encline à goûter cette fantaisie, dont je ne vois somme toute que la douleur qu'elle occasionne (et elle n'est pas absente du roman).
Il y a tout de même un passage qui m'a réjoui le coeur, c'est celui de l'hôpital psychiatrique, avec des patients délicieusement givrés. Mention spéciale à Yaourt, je vous mets un extrait et vous me direz s'il ne vous rappelle pas quelqu'un…

« Souvent Bulle d’air recevait la visite de Yaourt, un drôle de type qui se prenait pour le président. Ce n’était pas moi qui l’avais surnommé comme ça, mais le personnel de la clinique, car il débordait de partout, était tout mou comme du fromage blanc, on avait vraiment l’impression qu’il allait couler sur place. Son cerveau avait déménagé, mais les médicaments en avaient emménagé un autre, tout nouveau, tout neuf.(...) Il restait des heures à la regarder gazouiller et péter des bulles en lui parlant de son métier de président. Il commençait toutes ses phrases en disant moi, moi, moi, moi, à la longue c’était vraiment épuisant. Dans les couloirs, il serrait toutes les mains avec un air sérieusement comique, pour gagner des voix. Le vendredi soir, il faisait des réunions pour parler de sa profession, et ensuite il organisait des élections avec une boîte en carton, ça mettait beaucoup d’animation, même s’il était élu à chaque fois, parce que c’était toujours le seul candidat. Sven comptait les bulletins et marquait tout dans son cahier, ensuite il chantait les résultats avant que Yaourt monte sur une chaise pour faire son discours avec sa tête de vainqueur. Papa disait qu’il avait le charisme d’un tabouret d’arrière-cuisine mais finalement tout le monde l’aimait bien. Il était ridicule comme président, mais pas méchant comme patient. »
Je me trompe peut-être mais en tout cas, ça a fait mon bonheur !

En tout cas, en dépit de mes réserves, je suis contente d'avoir lu ce roman qui montre que l'on peut être un nouvel auteur et trouver son public !


Olivier Bourdeaut, En attendant Bojangles, Finitude, 2016. Disponible en ebook SANS DRM.

lundi 22 février 2016

Les nuits de Saturne de Pierre-Henry Gomont et Marcus Malte


Présentation
Clovis sort de prison et il a des comptes à régler. Dans sa quête vengeresse, il rencontre Césaria.

Ce que j'en pense
Voilà quelques mois que cet album patiente : une nuit d'insomnie m'a semblé le bon moment pour lire Les Nuits de Saturne. Pierre-Henry Gomont adapte un roman de Marcus Malte que certains connaissent peut-être, Carnage constellation. On pourrait penser que Clovis est le héros, car le récit débute en suivant son point de vue. Tout se présente comme une classique histoire de vengeance, celle d'un homme qui a un passé d'activiste et qui a été trahi par l'un des siens. Mais sa quête va lui permettre de rencontrer Césaria, un oiseau de nuit, jolie femme piégée dans un corps de garçon. Et c'est elle, la véritable héroïne : elle va offrir à Clovis sa dernière histoire d'amour fou, comme une rédemption avant le sacrifice, et s'offrir du même coup une seconde chance.
Le graphisme est à couper le souffle, nombre de cases et de planches font naître à la fois l'ambiance noire du récit et une émotion esthétique incroyable. C'est somptueux, déchirant, et les dernières cases sont comme une respiration, en dépit de la tragédie.


Pierre-Henry Gomont d'après un roman de Marcus Malte, Les nuits de Saturne, Sarbacane, 2015.  

samedi 20 février 2016

Et si j'étais moins paresseuse?


Alors oui, je me fais rare... et non, cela ne me fait pas plaisir. Je passe sur vos blogs mais ne commente guère, je publie peu de billets... Je n'ai pas d'autre excuse que l'absence d'énergie (plus encore que de temps). Je vais essayer de changer cela, parce que les échanges avec les un(e)s et les autres me manquent. A vrai dire, j'en ai assez de ne pas prendre le temps que je veux prendre : pour lire, écrire des billets, bavarder avec vous. 
Je sais que les mois à venir seront encore un défi (côté travail, et je ne vais pas m'en plaindre), que mon rythme de lecture sera parfois en-deça de mes attentes, mais j'ai quelques billets de retard, donc ça devrait aller!
A très vite. 

Des petites filles modèles... de Romain Slocombe


Présentation
La collection « Remake » propose à des auteurs de réécrire avec liberté des classiques de la liberté. Pour la Comtesse de Ségur et ses Petites filles modèles, Romain Slocombe est un choix judicieux : quand on connaît le goût de l'auteur pour les jeux érotiques, le bondage et les corps blessés et bandés, on se dit que la relecture va être piquante. Il plonge les petites Madeleine et Camille dans un récit gothique, vampirique, riche de promesses.

Ce que j'en pense
Mon avis est mitigé… Il y a d'évidentes qualités dans ce « remake » de l'univers de la comtesse de Ségur, dont le lecteur avisé sait le potentiel de perversité, l'auteure étant moins lisse qu'il n'y paraît. Romain Slocombe a restitué à merveille le ton de la comtesse de Ségur, et son style est merveilleusement XIXè siècle. On le savait déjà, mais Slocombe écrit très bien, et ce n'est pas la moindre des qualités de ces Petites filles modèles. Par ailleurs, il a intégré de façon très efficace les personnages de la comtesse de Ségur : il donne une cohérence jubilatoire à l'univers dont il s'empare. Enfin, il dessine un univers gothique très convaincant, sur fond de château, de ruines, de souterrains et de cryptes… Des petites filles modèles fourmillent de références plus ou moins transparentes, et si Sade est convoqué par l'éditeur, on pense bien plus encore à Le Fanu, à Bram Stoker et à d'autres encore. On ne s'ennuie pas une seconde, on s'amuse, on fait mine de frémir…
Pourquoi ne suis-je pas enthousiaste, alors ?
Eh bien, traitez-moi de tous les noms (je vous en laisse le choix), mais j'attendais… plus de perversité et d'érotisme ! C'est Romain Slocombe, que diable ! Certes, on retrouve certains des éléments de sa fantasmagorie : blessures, bandages, corps entravés et corsetés, autant d'éléments familiers pour qui connaît l'oeuvre - littéraire et photographique – de Romain Slocombe. Mais Des petites filles modèles reste bien sage : l'initiation de la petite Marguerite reste bien timide, et l'on attend un peu plus de ses caresses avec Camille… Surtout, la charge érotique du récit vampirique reste bien réfrénée, et le lecteur familier de Carmilla attend d'une réécriture par Romain Slocombe au XXIème siècle une dose de perversité érotique plus forte. Le cahier des charges de la collection le lui interdisait-il ? Je ne sais, mais je reste un peu sur ma faim…


Romain Slocombe, Des petites filles modèles…, Belfond, 2016. Disponible en ebook.   

jeudi 18 février 2016

La vraie vie de Thomas Cadène et Grégory Mardon


Présentation
Jean, la trentaine heureuse, est employé municipal dans une ville de province. Célibataire, il partage son temps entre son travail, ses collègues, les visites à sa maman, et sa vie, une partie de la nuit, sur internet : il tchatte, s'informe, dialogue avec des inconnus aux pseudos bizarres comme VieilleTruieVolage, écoute de la musique, regarde des films et des vidéos porno, joue à des jeux genre Counter-Strike, prend et envoie des photos. Bref, il mène une vie qui lui convient parfaitement. La vraie vie, pour lui, c'est ça, ce mélange d'un réel somme toute paisible et du virtuel que fabriquent les nouvelles technologies. Mais, pour Jean, le virtuel ne s'oppose pas au réel, il en est même partie prenante. Il appartient à sa vie, une vie d'aujourd'hui, intense et partagée. Partagée notamment avec TIMFUSA, qui semble vivre dans le Wyoming aux États-Unis, avec qui il échange mots délicats et photos muettes. Une rencontre qui l'intrigue. Partagée aussi avec Carine, nouvelle collègue de travail, nouvelle amoureuse. Deux rencontres vives, intenses, qui construisent son équilibre. Jusqu'au moment où Jean apprend qu'il va mourir…
Ce que j'en pense
Je dois le dire, sans le nom de Grégory Mardon, je n'aurais peut-être pas fait attention à cet album. Il y a quelques années de ça, j'ai été bouleversée par Leçon de choses, qui reste à ce jour l'une de mes BD préférées de tous les temps. J'ai donc acheté La vraie vie les yeux fermés, sans avoir la moindre idée de son sujet.
Quelle claque! J'ai été soufflée par le scénario: Thomas Cadène s'y entend pour tisser une histoire faite à la fois d'extraordinaire (la maladie, la mort) et de ces petits riens qui composent une existence. Jean mène une double vie, du moins pourrait-on savoir cette impression de l'extérieur. Il y a sa vie diurne, son travail paisible, la rencontre avec Carine, ses amitiés. Il y a la vie nocturne qu'il mène sur internet, les dialogues parfois très intimes qu'il noue avec des individus qu'il n'a jamais rencontrés dans "la vraie vie", les photos reçues de TIMFUSA, intrigantes et émouvantes. Mais d'ailleurs, quelle est la vraie vie? Celle que Jean mène en ligne, faite de rencontres improbables mais aussi d'ennui et de vacuité? Ou celle qu'il mène tous les jours au travail, avec ses collègues, ses amis, ses amours? Qui le connaît le mieux? Avec qui est-il plus lui-même? Faut-il choisir d'une vraie vie l'autre?
Le dessin de Grégory Mardon est à l'unisson, toujours saisissant et délicat, avec un découpage efficace. Il y a ces dessins pleine page, qui rendent compte de l'assaut d'images et de sollicitations auxquelles s'expose l'internaute. Il y a les ellipses, les silences du dessin, lorsque Jean apprend qu'il est malade, lorsque l'issue advient.
J'ai été embarquée dans La vraie vie, bouleversée, secouée, et pourtant c'est une BD d'une grande délicatesse. Je sais que nous ne sommes qu'en février, mais c'est pour le moment THE BD pour 2016.
Thomas Cadène et Grégory Mardon, La vraie vie, Futuropolis, 2016.