Présentation
Nous sommes dans les années 1850, à Londres. Lorsque le roman s’ouvre,
nous voyons une jeune fille, Mary Lang, jeune orpheline cambrioleuse, au
tribunal : une sentence de mort est prononcée contre elle… Alors qu’on la
reconduit dans sa cellule, elle est tirée à l’écart par sa gardienne, sent
qu’on lui applique un chiffon humide sur la bouche et perd connaissance… Une institution
pour jeunes filles, fondée par une riche excentrique, a décidé de lui donner
une seconde chance. Quelques années plus tard, éduquée, instruite, elle commence
à enseigner. Mais à dix-sept ans, le métier l’ennuie déjà : les
directrices de l’école lui proposent alors de devenir un membre de The Agency, au
service de Sa Majesté, institution un peu spéciale qui forme les jeunes filles
à des missions d’espionnage…
Chacun des deux volumes parus en France relate une mission donnée à
Mary Lang devenue Mary Quinn : infiltration, déguisements, observation et
action, voici quelques uns des ingrédients de cette série qui mêle aventure, enquête et
espionnage. Dans le premier volume, Mary devient demoiselle de compagnie dans
la famille Thorold, dont le patriarche est soupçonné de se livrer à des trafics
divers. Dans le deuxième volume, elle se déguise en apprenti sur le chantier de
la tour de l’horloge (alias Big Ben) afin de découvrir comment est mort
Wick, maçon dont le cadavre a été retrouvé au pied de la tour…
Mon avis
Les deux volumes de cette série pour adolescents patientaient depuis un
bon moment sur ma PAL : l’argument me semblait très classique, avec son
orpheline, son atmosphère victorienne, sa promesse d’aventures trépidantes…
Mais cette semaine, je me suis lancée, et je ne le regrette pas !
Certes, nombre d’éléments de la série n’ont rien de surprenant pour les
habitués de la littérature de jeunesse : une orpheline, donc, qui cache un
lourd secret, une atmosphère poisseuse à souhaits, entre bas-fonds
et bonne société, une histoire d’amour qui s’amorce, et une structure
classique.
Mais il y a aussi de nombreux ingrédients qui s’écartent de ce
classicisme et qui m’ont particulièrement séduite. Y.S. Lee a fait une thèse sur la littérature victorienne : je
suppose que cela explique en grande partie la précision de l’évocation de la
société de l’époque, bien plus documentée que la moyenne, pour autant que je puisse en juger. En bref, Y.S. Lee ne sombre pas dans le piège d’une évocation
fantasmée de cette période, elle parle visiblement en connaissance de cause.
J’ai eu le sentiment d’une lecture intelligente, en quelque sorte, ou disons
d’une lecture qui misait sur ma curiosité, soucieuse de m’apprendre des choses
sans jamais être lourdement didactique.
Par ailleurs, et c’est en partie lié au point précédent, mon intérêt
n’a jamais faibli, et j’ai lu les deux volumes aussi rapidement que me le
permettent mes journées en ce moment. Je ne dirais pas que j’étais passionnée
par l’intrigue (mais je pense que de jeunes lecteurs, moins blasés que moi en
matière d’intrigue, peuvent l’être), parce qu’elle est à chaque fois classique
(je n’ai pas dit prévisible, hein, attention !) et parce que mon attention
se portait ailleurs, sur cette évocation de Londres et sur les personnages.
N’empêche : les deux romans ont du rythme, sont bien construits, avec ce
petit effet d’accélération finale qui fait tourner les pages de plus en plus
vite. Si les péripéties ne m’ont pas semblé surprenantes, elles ne m’ont jamais paru non plus ennuyeuses, encore moins agaçantes… Je sais, ça a l’air d’un
compliment bien tiède, mais c’en est un, pour de vrai !
Un autre point est à souligner, et je crois que c'est ce qui m’a le plus
séduite : le personnage de Mary. Au premier abord, rien de
surprenant : l’orpheline au lourd secret, intelligente, débrouillarde et
séduisante. Mais il y a bien plus selon moi : oserai-je dire qu’il y a
quelque chose de féministe dans ces romans ? Oui, j’ose ! La société
que peint Y.S. Lee est une société dure, en proie au racisme, une société qui
écrase les faibles : les faibles, ce sont notamment les classes populaires, ce sont
aussi les femmes (de tous les milieux). Il y a ici une constellation de personnages
féminins bigrement intéressants, Mary, évidemment – j’y reviens dans un instant
– mais aussi Mrs Thorold (tome 1), faussement soumise, sa fille, qui va opérer
un renversement spectaculaire, les directrices de l’institution, Mrs Wick (tome
2), qui dessine discrètement, en arrière-plan, le destin d’une femme d’ouvrier…
Tous ces personnages sont l’occasion d’évoquer avec subtilité, sans pesanteur
aucune, la condition féminine de l’époque, avec ce qu’il faut d’optimisme (et
donc d’irréalisme, pour le coup !) pour réconforter le lecteur. Mary est à
mon sens un très joli personnage : le tome 2, s’il évoque la condition
ouvrière, évoque aussi nombre des difficultés rencontrées par les femmes, ne
serait-ce qu’à travers les étouffantes bienséances, et cela grâce au
déguisement masculin de Mary, qui lui permet tant de choses qu’elle ne saurait
s’autoriser sous ses atours féminins… J’ai aimé également que Y.S. Lee la montre
troublée (et amoureuse) du séduisant James sans la faire pour autant
« rentrer dans le rang » : à savoir, pour l’époque, le mariage.
Mary reste farouchement indépendante, hostile à toute réaction paternaliste, et
cela fait du bien ! A l’heure où la littérature (de jeunesse mais pas
seulement) fourmille d’héroïnes faussement libres, superficiellement
indépendantes, et en réalité complètement aliénées, je me réjouis qu’un roman
parfaitement divertissant évite tous ces pièges ! J’ajoute que le roman
n’est jamais mièvre, et que s’il offre des dénouements satisfaisants, il ne
peint pas un monde enchanté. Pour les besoins de la série, Mary et James sont
toujours obligés de se séparer, mais il y a plus qu’une simple nécessité
narrative : Y.S. Lee ne nous sert pas un conte de fées, ses personnages
sont éprouvés, certains meurent (expiation, quand tu nous guettes)…
Enfin, j’ai aimé la mise en série, si vous me passez l’expression. Le
tome 1 met en place l’univers de Mary Quinn, mais le tome 2 offre des plaisirs typiques
des séries : ce n’est pas seulement l’héroïne que l’on retrouve, mais
d’autres personnages, les directrices de l’agence, évidemment, James, de retour d'Inde. Le tome 2 met aussi en place le
personnage d’Octavius Jones, et je pense que nous le retrouverons bientôt. Et
puis il y a ces personnages secondaires, qui prennent de l’épaisseur même s’ils
restent en arrière-plan : je pense notamment à Barker, le cocher. D’une
manière générale, Y.S. Lee a un talent certain pour faire exister ses
personnages, même les moins importants.
Pour qui ?
Adolescent(e)s aimant les récits policiers et d’aventures, amateurs de
tous âges de récits à l’atmosphère victorienne. Les romans sont linéaires (avec
quelques retours en arrière, évoquant le passé de Mary et sa famille), donc
c’est une lecture qui me semble assez facile.
Le mot de la fin
J’attends avec gourmandise de retrouver Mary Quinn dans le tome 3, paru
début 2012 en langue anglaise : la traduction tarde beaucoup, il me semble…
Que se passe-t-il ? Nathan va bien nous proposer la suite, j’espère…
Sinon, je n’aurai plus qu’à le lire en anglais…
L'avis de Deuzenn, par là.
Y.S. Lee, The Agency, Le pendentif de jade (The Agency. A Spy in the House), Nathan, 2010. Traduit de l'anglais par Lilas Nord. Publication originale: Walker Brooks, 2009.
Y.S. Lee, The Agency, Le crime de l'horloge (The Agency. The Body at the Tower), Nathan, 2011. Traduit de l'anglais par Lilas Nord. Publication originale: Walker Brooks, 2010.