mercredi 26 septembre 2012

Mathieu Hidalf et la Foudre fantôme de Christophe Mauri


Présentation (quatrième de couverture)
Onze ans, enfin ! Cette année, Mathieu Hidalf en est persuadé, son rêve va être exaucé. Il sera admis à l'école de l'Élite où vit son héros, le capitaine Louis Serra. Mais comment y parvenir sans réviser ? En trichant, tout simplement ! C'est compter sans l'inflexible directrice, qui a imaginé pour Mathieu une épreuve impossible : capturer la Foudre fantôme...

Mon avis
Le tome 1 m’avait surprise et ravie, en dépit de quelques réserves relatives à l’action et au rythme. C’est donc avec gourmandise que j’ai commencé ce deuxième tome, avec également l’envie de me distraire avec une histoire légère et drôle. J’ai eu un grand plaisir à retrouver Mathieu, ses sœurs, son père. Cette fois, il n’était pas question de bêtise légendaire mais de l’entrée de Mathieu à la prestigieuse école de l’Elite : évidemment, Mathieu a prévu la pire des solutions, la tricherie, et rien (ou presque) ne se passera comme prévu. Certes, il y a quelque chose de moins original dans ce tome : nous y retrouvons les traditionnelles scènes où le personnage fait ses premiers pas dans l’école, se fait des amis (un peu malgré lui), tente de réussir des épreuves avec ce qu’il faut d’adversité. Pour résumer, Mathieu Hidalf, toujours aussi garnement, commence à gagner ses galons de héros, car il est exceptionnel (comme son mentor Louis Serra) et cela rappelle évidemment nombre de héros de fantasy. Par conséquent, sans que l’action soit vraiment prévisible, la trame générale est assez classique. Certains le regretteront peut-être. Est-ce que cela m’a gênée ? Est-ce que cela m’a ennuyée ? Que nenni ! J’ai passé un très bon moment. Même si ce deuxième tome est un peu moins original dans son déroulement, il garde une bonne dose de fantaisie (sans jeu de mots) et de drôlerie. Mathieu a toujours aussi mauvais esprit, il est égoïste, de mauvaise foi, malhonnête, mais ça fait du bien ! C’est un sale gosse et un excellent personnage, que demander de plus ?
Par ailleurs, il n’y a plus dans ce tome les longueurs du premier volume : l’univers est en place, les personnages posés, l’action démarre sur les chapeaux de roue et le rythme ne faiblit pas, de retournements en surprises. Certains personnages prennent de l’ampleur, comme la mère de Mathieu. Les dialogues sont savoureux, les situations parfois très drôles, et je dois dire que j’avais du mal à lâcher le roman.

Le mot de la fin
Vivement le tome 3 ! Il sort cette semaine et s’intitule Mathieu Hidalf et le Sortilège de Ronces. Ma PAL a beau être très fournie, je sens bien que je vais craquer…

Christophe Mauri, Mathieu Hidalf et la Foudre fantôme, Gallimard Jeunesse, 2012.


jeudi 20 septembre 2012

The Agency 1, Le pendentif de jade et The Agency 2, Le crime de l'horloge, par Y.S. Lee



Présentation
Nous sommes dans les années 1850, à Londres. Lorsque le roman s’ouvre, nous voyons une jeune fille, Mary Lang, jeune orpheline cambrioleuse, au tribunal : une sentence de mort est prononcée contre elle… Alors qu’on la reconduit dans sa cellule, elle est tirée à l’écart par sa gardienne, sent qu’on lui applique un chiffon humide sur la bouche et perd connaissance… Une institution pour jeunes filles, fondée par une riche excentrique, a décidé de lui donner une seconde chance. Quelques années plus tard, éduquée, instruite, elle commence à enseigner. Mais à dix-sept ans, le métier l’ennuie déjà : les directrices de l’école lui proposent alors de devenir un membre de The Agency, au service de Sa Majesté, institution un peu spéciale qui forme les jeunes filles à des missions d’espionnage…
Chacun des deux volumes parus en France relate une mission donnée à Mary Lang devenue Mary Quinn : infiltration, déguisements, observation et action, voici quelques uns des ingrédients de cette série qui mêle aventure, enquête et espionnage. Dans le premier volume, Mary devient demoiselle de compagnie dans la famille Thorold, dont le patriarche est soupçonné de se livrer à des trafics divers. Dans le deuxième volume, elle se déguise en apprenti sur le chantier de la tour de l’horloge (alias Big Ben) afin de découvrir comment est mort Wick, maçon dont le cadavre a été retrouvé au pied de la tour…

Mon avis
Les deux volumes de cette série pour adolescents patientaient depuis un bon moment sur ma PAL : l’argument me semblait très classique, avec son orpheline, son atmosphère victorienne, sa promesse d’aventures trépidantes… Mais cette semaine, je me suis lancée, et je ne le regrette pas !
Certes, nombre d’éléments de la série n’ont rien de surprenant pour les habitués de la littérature de jeunesse : une orpheline, donc, qui cache un lourd secret, une atmosphère  poisseuse à souhaits, entre bas-fonds et bonne société, une histoire d’amour qui s’amorce, et une structure classique.
Mais il y a aussi de nombreux ingrédients qui s’écartent de ce classicisme et qui m’ont particulièrement séduite. Y.S. Lee a fait une thèse sur la littérature victorienne : je suppose que cela explique en grande partie la précision de l’évocation de la société de l’époque, bien plus documentée que la moyenne, pour autant que je puisse en juger. En bref, Y.S. Lee ne sombre pas dans le piège d’une évocation fantasmée de cette période, elle parle visiblement en connaissance de cause. J’ai eu le sentiment d’une lecture intelligente, en quelque sorte, ou disons d’une lecture qui misait sur ma curiosité, soucieuse de m’apprendre des choses sans jamais être lourdement didactique.
Par ailleurs, et c’est en partie lié au point précédent, mon intérêt n’a jamais faibli, et j’ai lu les deux volumes aussi rapidement que me le permettent mes journées en ce moment. Je ne dirais pas que j’étais passionnée par l’intrigue (mais je pense que de jeunes lecteurs, moins blasés que moi en matière d’intrigue, peuvent l’être), parce qu’elle est à chaque fois classique (je n’ai pas dit prévisible, hein, attention !) et parce que mon attention se portait ailleurs, sur cette évocation de Londres et sur les personnages. N’empêche : les deux romans ont du rythme, sont bien construits, avec ce petit effet d’accélération finale qui fait tourner les pages de plus en plus vite. Si les péripéties ne m’ont pas semblé surprenantes, elles ne m’ont jamais paru non plus ennuyeuses, encore moins agaçantes… Je sais, ça a l’air d’un compliment bien tiède, mais c’en est un, pour de vrai !
Un autre point est à souligner, et je crois que c'est ce qui m’a le plus séduite : le personnage de Mary. Au premier abord, rien de surprenant : l’orpheline au lourd secret, intelligente, débrouillarde et séduisante. Mais il y a bien plus selon moi : oserai-je dire qu’il y a quelque chose de féministe dans ces romans ? Oui, j’ose ! La société que peint Y.S. Lee est une société dure, en proie au racisme, une société qui écrase les faibles : les faibles, ce sont notamment les classes populaires, ce sont aussi les femmes (de tous les milieux). Il y a ici une constellation de personnages féminins bigrement intéressants, Mary, évidemment – j’y reviens dans un instant – mais aussi Mrs Thorold (tome 1), faussement soumise, sa fille, qui va opérer un renversement spectaculaire, les directrices de l’institution, Mrs Wick (tome 2), qui dessine discrètement, en arrière-plan, le destin d’une femme d’ouvrier… Tous ces personnages sont l’occasion d’évoquer avec subtilité, sans pesanteur aucune, la condition féminine de l’époque, avec ce qu’il faut d’optimisme (et donc d’irréalisme, pour le coup !) pour réconforter le lecteur. Mary est à mon sens un très joli personnage : le tome 2, s’il évoque la condition ouvrière, évoque aussi nombre des difficultés rencontrées par les femmes, ne serait-ce qu’à travers les étouffantes bienséances, et cela grâce au déguisement masculin de Mary, qui lui permet tant de choses qu’elle ne saurait s’autoriser sous ses atours féminins… J’ai aimé également que Y.S. Lee la montre troublée (et amoureuse) du séduisant James sans la faire pour autant « rentrer dans le rang » : à savoir, pour l’époque, le mariage. Mary reste farouchement indépendante, hostile à toute réaction paternaliste, et cela fait du bien ! A l’heure où la littérature (de jeunesse mais pas seulement) fourmille d’héroïnes faussement libres, superficiellement indépendantes, et en réalité complètement aliénées, je me réjouis qu’un roman parfaitement divertissant évite tous ces pièges ! J’ajoute que le roman n’est jamais mièvre, et que s’il offre des dénouements satisfaisants, il ne peint pas un monde enchanté. Pour les besoins de la série, Mary et James sont toujours obligés de se séparer, mais il y a plus qu’une simple nécessité narrative : Y.S. Lee ne nous sert pas un conte de fées, ses personnages sont éprouvés, certains meurent (expiation, quand tu nous guettes)…
Enfin, j’ai aimé la mise en série, si vous me passez l’expression. Le tome 1 met en place l’univers de Mary Quinn, mais le tome 2 offre des plaisirs typiques des séries : ce n’est pas seulement l’héroïne que l’on retrouve, mais d’autres personnages, les directrices de l’agence, évidemment, James, de retour d'Inde. Le tome 2 met aussi en place le personnage d’Octavius Jones, et je pense que nous le retrouverons bientôt. Et puis il y a ces personnages secondaires, qui prennent de l’épaisseur même s’ils restent en arrière-plan : je pense notamment à Barker, le cocher. D’une manière générale, Y.S. Lee a un talent certain pour faire exister ses personnages, même les moins importants.

Pour qui ?
Adolescent(e)s aimant les récits policiers et d’aventures, amateurs de tous âges de récits à l’atmosphère victorienne. Les romans sont linéaires (avec quelques retours en arrière, évoquant le passé de Mary et sa famille), donc c’est une lecture qui me semble assez facile.

Le mot de la fin
J’attends avec gourmandise de retrouver Mary Quinn dans le tome 3, paru début 2012 en langue anglaise : la traduction tarde beaucoup, il me semble… Que se passe-t-il ? Nathan va bien nous proposer la suite, j’espère… Sinon, je n’aurai plus qu’à le lire en anglais… 

L'avis de Deuzenn, par .

Y.S. Lee, The Agency, Le pendentif de jade (The Agency. A Spy in the House), Nathan, 2010. Traduit de l'anglais par Lilas Nord. Publication originale: Walker Brooks, 2009.
Y.S. Lee, The Agency, Le crime de l'horloge (The Agency. The Body at the Tower), Nathan, 2011. Traduit de l'anglais par Lilas Nord. Publication originale: Walker Brooks, 2010.

lundi 17 septembre 2012

Qu'avons-nous fait de nos rêves? de Jennifer Egan



Présentation (éditeur)
Sasha a une petite trentaine. Elle vivote à New York, après avoir quitté son poste d’assistante de production dans une grande maison de disques. On la découvre sur le canapé de son psychothérapeute, tentant de régler son problème de kleptomanie et de remettre de l’ordre dans sa vie. Sans amis, sans travail, elle est une âme solitaire et prédatrice. Bennie, lui, a la quarantaine passée. Ancien producteur star des Conduits, un groupe de rock emblématique, il se contente désormais d’éditer des tubes insipides. Divorcé, il essaie d entretenir des liens avec son fils, sans trop y parvenir. Déprimé, il n’arrive même plus à avoir la moindre érection.
D’une écriture acérée, Jennifer Egan nous plonge dans la conscience et l’histoire de ces deux personnages dont les chemins un jour se sont croisés. Jeune homme timide, Bennie se passionna pour le punk, dans un San Francisco débridé. Adolescente au tempérament fougueux, Sasha partit pour Naples afin d’oublier des parents destructeurs. Une foule de personnages jalonnent leur existence, qu’il s'agisse de Lou Kline, le mentor allumé de la bande, ou de l’oncle de Sasha, un homme au bord du gouffre.
Ces histoires de vie s’enchaînent, des personnalités très fortes se dégagent, une véritable tension naît autour de leurs destinées. En restituant le passage du temps et les aléas du désir, Jennifer Egan ausculte notre capacité à avancer et à devenir ce que nous sommes, sans rien nier du passé.

Mon avis
Après mes deux déceptions de la semaine passée, c’est avec un peu d’appréhension que j’abordais ce roman de Jennifer Egan, auréolé du Prix Pulitzer 2011. Me voilà rassurée, j’ai beaucoup aimé !
Le roman a quelque chose de choral, ou plutôt, je devrais dire qu’il ressemble à un puzzle. Chaque chapitre est consacré à un personnage différent de l’histoire et/ou à des moments différents. Mais les liens sont explicités, la romancière ne joue pas à nous égarer… Cela permet de comprendre la trajectoire de chacun, de saisir les personnages à des moments différents de leur vie, selon des éclairages différents, car ce sont aussi les points de vue, les perspectives qui changent. Le titre pourrait laisser craindre un récit très désenchanté, nostalgique ou bercé d’amertume, mais Jennifer Egan est plus subtile que cela. Oui, bien sûr, il y a des moments poignants, où le souvenir de ce qu’était tel personnage vient le mordre, lui infliger une douleur évidente face aux compromis et aux chemins amers qui se sont imposés à lui. Mais ce n’est pas la tonalité dominante du roman. Finalement, chacun a fait ses propres choix, a suivi des voies pas toujours attendues, a ressaisi in extremis sa destinée, après des errements malheureux ou des revers de fortune. Il y a une forme d’optimisme non-niais, si vous me passez l’expression, que j’ai apprécié.
Cela s’accompagne très logiquement d’un regard humain sur les personnages, dénué de jugement, de cynisme ou d’ironie, plein d’empathie et de douceur. D’ailleurs, Jennifer Egan ne cède pas à la tentation de la peinture d’une folle et merveilleuse jeunesse (versus « l’âge mûr synonyme de renoncements et de compromissions répugnantes »), certains personnages ont une adolescence que personne ne saurait envier. Inversement, elle ne considère pas les tâtonnements de ses jeunes personnages comme des déviances, plutôt comme le signe d’une quête de soi.
Au final, le roman évoque des êtres qui, bon gré mal gré, ont tracé leur route, en essayant de se saisir de leur vie, il parle d’accomplissements sans prétendre qu’il s’agit de quelque chose de facile ou d’idéal. Il capte des instants de vie, de doute, à tous les âges ou presque, en partant de l’adolescence. Il se concentre plus particulièrement sur Bennie et Sasha, mais d’autres personnages sont également évoqués, qui évoluent autour d’eux. De la solitude de certains – Sasha dans ses années italiennes, face à son oncle, un des chapitres déchirants du roman – aux difficultés conjugales des autres, j’ai trouvé que le roman rendait compte à la fois de la difficulté de vivre et des joies qu’offre l’existence, sans pathos ni cynisme.
J’ai apprécié la construction du roman : chorale, complexe, mais jamais affectée ni prétentieuse. S’il demande un effort de la part du lecteur pour reconstituer la constellation des personnages, le récit ne l’égare jamais dans de vaines circonvolutions intellectuelles visant à prouver au lecteur la virtuosité de la romancière. Surtout, la construction fait sens par rapport au propos de Jennifer Egan, par rapport à la vision de l’existence qui est proposée (j’aimerais pouvoir en dire autant de tous les romans à la construction compliquée).
L’écriture trouve le juste milieu entre pathos et sécheresse du regard : la distance est toujours la bonne, à mon sens. Ni trop près (le regard est sans complaisance), ni trop loin (les personnages ne sont pas des marionnettes dans un jeu de massacre).
Une dernière remarque qui n’a certes rien à voir avec le roman : j’ai lu le livre en e-book. Vers la fin du roman, Jennifer Egan adopte le point de vue d’une jeune fille qui rédige son journal sous forme de diaporama (de type powerpoint) : quelle ne fut pas ma stupeur de constater qu’il me manquait, dans ce chapitre, les côtés des diapos. J’ai d’abord pensé que c’était parce que j’avais grossi la police (toujours mes vieux yeux…) : non. J’ai ensuite modifié la disposition de la page, pour passer en mode portrait : rien à faire. J’en conclus que Stock a fait ou confié la réalisation en format e-pub sans s’assurer que le travail était bien fait, genre « j’appuie sur le bouton EFFECTUER LA CONVERSION et je ne m’avise pas de la spécificité de certains chapitres ». Le chapitre était donc difficilement lisible. J’ai envoyé un mail furibond à Stock. Pour résumer ma pensée, j’en ai assez que les éditeurs français méprisent le format numérique (par mépris intellectuel autant que financier, trop peu lucratif encore) tout en faisant payer le prix fort aux lecteurs. Oui, Messieurs les Gardiens de la Littérature, il y a de fervents lecteurs qui apprécient la lecture numérique (maniabilité, nomadisme simplifié et SURTOUT gain de place sur des étagères surchargées au bout de décennies de lectures forcenées) sans rien trahir de leur goût pour la littérature. Et puis quel mépris pour la création littéraire, non ?
Bref, je m’égare, je m’égare… Qu’avons-nous fait de nos rêves ? est un très beau roman (en dépit du chapitre que je n’ai pas vraiment lu), je vous en recommande la lecture.

Pour qui ?
Pour les amateurs de littérature américaine. Pour ceux qui ont envie de lire un roman fort, dénué de cynisme.


Jennifer Egan, Qu’avons-nous fait de nos rêves ? (A Visit from the Goon Squad), Stock/La Cosmopolite, 2012. Traduit de l’anglais (USA) par Sylvie Schneiter (je crois, même ça c’est difficilement lisible sur mon édition numérique !). Publication originale : Alfred A. Knopf, 2010.

samedi 15 septembre 2012

Que nos vies aient l’air d’un film parfait de Carole Fives (et un zeste de Nevada de Claire Vaye Watkins)



Pas de billet de toute la semaine… Certes, un peu de lecture, au bout de journées folles et parfois épuisantes. Mais ça a été une semaine sans grand enthousiasme de lectrice. J’ai commencé le recueil de nouvelles Nevada de Claire Vaye Watkins, mais je n’ai pas réussi à fixer mon attention dessus. J’ai attribué cela à l’élan romanesque généré par la série adaptée de Jane Eyre. Les nouvelles qui composent Nevada sont sèches, arides, écrites dans un style très dépouillé : je me suis dit que la transition n’était pas la bonne.
Pas grave, j’ai laissé le livre de côté et j’ai lu le bref roman de Carole Fives, dont le titre me plaisait tant, Que nos vies aient l’air d’un film parfait. Cathulu en avait dit du bien, j’étais donc enthousiaste en ouvrant le roman. Il m’a pourtant laissée sur le chemin… Je l’ai terminé (il est très court), mais je l’ai lu sans plaisir (sans grand déplaisir non plus). On y lit la chronique d’une séparation et de son impact sur des enfants, dans un récit polyphonique qui nous propose alternativement les points de vue du père, de la fille, de la mère : une voix manque, celle du jeune fils, vraiment petit à l’époque de la séparation, et que la mère, très instable, a fini par élever, loin de sa sœur et de son père. Le récit de la sœur s’adresse à cet absent, bien des années plus tard. Et l’on se dit que, étant donné le caractère instable de la mère, un drame s’est joué, que c’est pour ça que l’on n’entend pas la voix du frère…
(attention ! spoiler)
Pourtant, il n’en est rien et la fin du roman donne enfin la parole au frère devenu adulte. Aucun drame ne s’est déroulé, il a grandi et il a fait sa vie, il va même plutôt bien, peut-être mieux que tous les autres membres de sa famille. Cela ne me gêne pas qu’on joue avec mes attentes pour les décevoir, cela peut même être un grand plaisir, évidemment, mais là, je dois bien admettre que j’ai eu l’impression qu’on me roulait, qu’on usait de grosses ficelles pour me faire poursuivre ma lecture. Surtout, j’ai le sentiment de n’avoir rien compris à ce roman. Aucun des récits ne m’a touchée, aucun des personnages n’a attiré ma sympathie, alors que l’histoire avait tout pour me « parler ». Je ne comprends pas le propos du livre… S’agit-il  de nous dire qu’en dépit de toutes les manipulations dont il a été victime, le garçonnet a grandi et est devenu un adulte libre de ses choix ? Qu’on s’épanouit par-delà les névroses familiales ? Je suis très perplexe, je me dis que je suis peut-être passée à côté d’un beau texte...
Reste la qualité de l’écriture de Carole Fives, dont c’est le premier roman et qui vient du genre de la nouvelle : je pense qu’à l’occasion je jetterai un coup d’œil sur sa production antérieure…
Je suis ensuite retournée à Nevada, persuadée que la qualité est au rendez-vous… Je renonce à nouveau. Je n’y arrive pas : trop sec, trop glacé, c’est une lecture qui ne me convient pas ces jours-ci, il n’y a rien à faire. Je sais que je le lirai un jour, ce fichu recueil, ce n’est pas la première fois que je me casse les dents sur un livre avant de l’adorer parce que je l’ai repris au bon moment.
Au final, une semaine sans, alors que j’ai terriblement envie de lire… J’ai fait l’acquisition d’une édition numérique de Jane Eyre, ainsi que de Nord et Sud, d’Elizabeth Gaskell, histoire de satisfaire mes envies de romanesque échevelé. Mais avant cela, j’ai commencé Qu’avons-nous fait de nos rêves ? de  Jennifer Egan, avec appréhension au vu de mes déceptions de la semaine. Je n’ai lu qu’une vingtaine de pages, il faut donc que je sois prudente, mais pour le moment, ça m’embarque… Je croise les doigts !!!
Bon week-end et bonnes lectures !

Carole Fives, Que nos vies aient l’air d’un film parfait, Le Passage, 2012. Lu en e-book.
Claire Vaye Watkins, Nevada (Battleborn), Calmann-Lévy, 2012. Traduit de l’anglais (USA) par Elsa Maggion. Publication originale : Riverhead Books, 2012. (Pas) lu en e-book.

dimanche 9 septembre 2012

Jane Eyre, version BBC (2006)


Présentation
En 2006, la BBC propose au public britannique une adaptation en quatre épisodes d’environ 50 minutes chacun de Jane Eyre, chef-d’œuvre de Charlotte Brontë maintes fois adapté sur les écrans.
Faut-il encore présenter les aventures de cette jeune héroïne? Orpheline rejetée par sa tante qui l’envoie dans une école dont les conditions de vie sont si dures que les fillettes y tombent comme des mouches, elle sera éduquée pour devenir institutrice (ou gouvernante) et sera placée à Thornfield Hall, chez Sir Rochester, pour éduquer la fillette française qu’il a ramenée, bébé, de Paris, enfant d’une maîtresse parisienne, ballerine aux mœurs légères. La suite, tout le monde la connaît, je crois : amours contrariées, terribles secrets, folie destructrice, expiation et rédemption…

Mon avis
Le film sorti sur grand écran cet été m’a donné furieusement envie de relire Jane Eyre, mais j’ai finalement raté le film sans avoir le courage de relire le roman dans l’édition de poche dont je dispose, aux caractères minuscules et bien tassés sur la page. Le billet de Brize m’a pourtant confortée dans l’idée de replonger dans ce récit dévoré pour la première fois alors que j’avais 13 ou 14 ans. On imagine quel effet a ce roman quand on le lit à cet âge-là : j’ai gardé un souvenir puissant des amours entre Jane et le ténébreux Rochester mais aussi des très jeunes années de l’orpheline. Comme j’ai pleuré à la mort d’Helen !
Quoi qu’il en soit, Brize m’a appris qu’Arte s’apprêtait à diffuser une mini-série britannique, adaptation de Jane Eyre par la BBC, datant de 2006. Je ne saurais dire si c’était la première diffusion en France, mais peu importe : rendez-vous était pris.
Il m’est un peu difficile de juger précisément la qualité de l’adaptation, car je n’ai pas le récit en tête dans les moindres détails, mais il m’a semblé que c’était une version fidèle dans le scénario au roman de Charlotte Brontë.
Je précise d’emblée quelles sont mes réserves, comme ça ce sera fait et ce n’est pas l’essentiel…
Tout d’abord, et c’est sans doute injuste parce que cela relève du ressenti, j’ai trouvé que le premier épisode passait un peu vite sur l’enfance de Jane, sur les mauvais traitements dont elle est victime lorsqu’elle habite chez sa tante : on voit bien la violence de la tante, le mépris de ses cousines, mais dans mon souvenir, son cousin est également terrible avec elle ; de même, on passe rapidement sur la dureté de l’école, et tout va très (trop) vite, l’amitié avec Helen, le virage que prendra l’école après l’hécatombe (très bien rendue par l’amoncellement de petits cercueils) pour devenir une institution moins dure et plus formatrice. Cependant, je comprends bien que là n’est pas l’essentiel (même si à mon avis c’est là que se forge le caractère du personnage), et que je tiens à cette partie du roman parce que j’en ai gardé un souvenir très fort émotionnellement… Le fait est que, dans le roman, cela n’occupe pas tant de pages que cela…
Ensuite, je trouve également que l’idylle avec Rochester se noue trop vite : c’est à la fois lié à la rapidité du scénario et au caractère à mon sens trop immédiatement séduisant de ce Rochester-là. D’une part Toby Stephens, qui l’incarne, est tout de même bien charmant, d’autre part il est moins rude et caractériel que le Rochester original et noue très vite une relation de complicité voire, par instants, de badinage avec Jane.
Reste l’immense plaisir que j’ai eu à regarder cette série, à retrouver les personnages et le romanesque échevelé du roman de Charlotte Brontë. Avec le recul, c’est-à-dire mon expérience de lectrice, j’ai été frappée de cela, de l’utilisation de motifs romanesques maintes fois repris depuis, jusqu’à en devenir de vrais clichés parfois, notamment sous des plumes médiocres. Mais là, quel plaisir !
En dépit des réserves énoncées ci-dessus, j’ai trouvé le scénario bien fichu, le découpage en quatre épisodes adéquat pour rythmer la narration. Les quelques modifications que j’ai pu repérer (par exemple sur les séquelles de l’incendie final chez Rochester, ou sur l’affection inconditionnelle que porte Jane à la jeune Adèle) ne m’ont pas semblé gênantes. Par ailleurs, il y a un beau travail sur la photographie, sur le choix des décors, des lumières, avec des images d’une grande beauté. J’ai parfois regretté qu’on ne donne pas un caractère plus gothique à l’atmosphère de certaines scènes, mais cela aurait peut-être été malvenu. Le casting est très bien fait car il correspond à l’inflexion que donne, selon moi, la série à l’histoire et aux personnages. Là où, dans mon souvenir (mais était-ce l’effet de mes 13 ans ?), le roman reste tout de même très chaste, la série insuffle une bonne dose de sensualité et de tension sexuelle aux amours de Jane et de Rochester. Peut-être est-ce un effet du casting : Toby Stephens est, je le disais, un très séduisant Rochester, et Ruth Wilson amène à Jane un frémissement permanent : le désir est palpable entre ces deux-là. Si certaines scènes ont choqué à l’époque de la parution du roman (le moment où Rochester embrasse Jane, ou bien celui où il la prend sur ses genoux), une dose de sensualité semble bien plus évidente aujourd’hui. Une dernière chose : j’ai apprécié que le scénario parvienne, par la seule force des scènes et des dialogues, à restituer ce que l’on considère comme la dimension féministe et le propos social de Jane Eyre
Il est certain que je relirai un de ces jours le roman : j’ai envie de me replonger dans l’univers de Charlotte Brontë (et je referais bien un petit tour du côté de chez sa sœur, en relisant aussi Les Hauts de Hurlevent, tiens !), et puis j’aimerais voir si certaines parentés, qui m’ont frappée en regardant la série, sont liées au roman lui-même ou à l’adaptation. Je m’explique : certaines scènes, certains personnages, certaines images m’ont fait penser à Tess d’Urberville, en tout cas à son adaptation par Roman Polanski (là encore, la lecture du roman de Thomas Hardy est trop ancienne pour que je sois péremptoire) : le côté un peu bigot de St. John m’a fait penser à l’époux à la moralité si rigide de Tess (Angel), tout comme l’ensemble de l’épisode où Jane a fui Thornfield Hall. Plus précisément encore, les images où Jane erre (Jane Eyre/Jane erre, suis-je drôle…) dans les landes et où on la voit couchée sur les pierres monumentales m’ont fait penser au moment où Tess se réfugie sur le site de Stonehenge en attendant qu’on vienne l’arrêter. J’enfonce des portes ouvertes, sans doute, en remarquant ces similitudes, mais lorsque j’ai lu Jane Eyre à 13-14 ans, puis Tess vers 18 ans, je n’ai pas fait ces rapprochements. Il y a pire : en lisant, lorsque j’étais étudiante, Rebecca de Daphné du Maurier, je n’ai pas vu à quel point le récit était proche de Jane Eyre : l’épouse enfermée, la servante/gouvernante inquiétante, le feu, etc… C’est d’ailleurs probablement l’influence du film d’Hitchcock (que je trouve magnifique) qui me fait regretter que le Jane Eyre de 2006 ne travaille pas davantage l’atmosphère gothique… Ah ! il faudrait que je relise aussi Rebecca, tiens !
Bref, non seulement j’ai pris un immense plaisir à regarder cette série, mais elle m’a donné envie de lire, au-delà de Jane Eyre ! J’ai hâte de savoir ce que Brize en a pensé, puisqu’elle vient de relire le roman. Et vous qui avez regardé, avez-vous aimé ?

Jane Eyre (épisodes 1 à 4), 2entertain (prod.), BBC, 2007.
Nota Bene : pour ceux qui auraient manqué la diffusion de la mini-série sur Arte cette semaine, le site de la chaîne permet de les revoir ; la série est également disponible dans une édition DVD anglaise peu coûteuse (attention! sous-titres en anglais uniquement).

mercredi 5 septembre 2012

Le Cadavre japonais de Janwillem Van de Wetering



Présentation (éditeur)
A Amsterdam, une serveuse de restaurant japonais vient déclarer à la police la disparition de son fiancé. Elle craint qu'il ait été assassiné par des yakusas, car il était chargé d'écouler pour leur compte des œuvres d'art volées dans des monastères bouddhistes. De Gier et Grijpstra ne tardent pas à découvrir la voiture du disparu et en concluent que l'homme a été exécuté. Quant au restaurant, il n'est autre qu'une plaque tournante du trafic d'héroïne en provenance de Chine. C'est pourquoi le commissaire et De Gier vont s'envoler pour le Japon afin de piéger les yakusas, tandis que Grijpstra, resté à Amsterdam, se met à la recherche du " cadavre japonais ".

Mon avis

C’est le cinquième roman de la série dite des Grijpstra et De Gier, écrite par le Hollandais Janwillem Van de Wetering, publiée à partir de 1975 (l’auteur est mort en 2008), et qui compte une quinzaine de titres. Cela faisait un moment que mon compagnon m’en recommandait la lecture, mais c’est un séjour à Amsterdam qui m’a donné envie, au retour, de plonger dans l’univers de Grijpstra et De Gier, sans oublier le commissaire.

J’aime dans cette série le mélange entre loufoquerie et calme, l’humour léger ne faisant jamais oublier l’évocation sociale de la Hollande, toute en subtilité. J’y retrouve le caractère très paisible de la ville d’Amsterdam, telle que je l’ai perçue en février, le caractère apaisant des canaux, l’affabilité des habitants. Je me rends compte qu’il est difficile d’évoquer les spécifités des romans de Van de Wetering. Disons que c’est de la procédure policière, puisque l’on évoque les enquêtes menées par Grijpstra et De Gier sous la houlette du commissaire Jan, mais on est très loin d’une atmosphère à la McBain. C’est que la cité imaginée par ce dernier (inspirée de la Grosse Pomme) est très loin d’Amsterdam, et l’auteur, très influencé par les spiritualités et pensées orientales, insuffle à ses personnages et à son récit une nonchalance très zen, des valeurs de respect et de tolérance tout à fait particulières.

J’avais lu les quatre premiers romans à mon retour d’Amsterdam, en février, y retrouvant l’étrange calme de la cité et de ses canaux, me glissant avec bonheur dans les relations d’amitié et de complicité (et d’humour vache) entre Grijpstra et De Gier. Il m’arrive d’éclater de rire lorsque ce pauvre Grijpstra est aux prises avec l’inénarrable chat de De Gier, ou lorsque les deux comparses jouent de la musique, l’air totalement halluciné, dans leur bureau…

Quelques mois plus tard, après l’ambiance tragique des Anonymes de R.J. Ellory, j’ai eu envie de plonger dans une ambiance plus tranquille, et mon choix s’est porté sur mon Hollandais préféré (c’est que je ne lis qu’un auteur hollandais, à vrai dire, honte sur moi). Ceux qui aiment les séries (je parle ici de livres, mais ça marche aussi avec les séries télévisées) comprendront de quoi je parle: ce plaisir à se glisser dans un univers connu, avec des personnages dont on jurerait qu’ils existent tant ils sont familiers…

Le Cadavre japonais ne m’a pas déçue : il est peut-être un peu moins drôle* que les précédents, parce qu’il se passe essentiellement au Japon et cultive davantage que les autres volumes son côté contemplatif. Le commissaire Jan et De Gier partent ensemble sur les traces d’un trafic d’art orchestré par des yakusas, et c’est un bonheur de les voir se couler dans la société japonaise (je suis fascinée par le Japon, ça aide aussi). Le commissaire calme ses rhumatismes dans les bains japonais avec volupté, mais il y cultive aussi son côté “maître zen”. Quant à De Gier, qui vient de vivre un drame terrible (relaté au début du roman), il appréhende les événements avec un détachement très oriental et perfectionne aux côtés d’un dénommé Dorin ses techniques de combat. L’enquête est sans surprise, y compris pour les protagonistes, mais c’est précisément ce que l’on recherche quand on lit Van de Wetering. Les surprises sont ailleurs, dans la tournure inattendue que prend l’affrontement avec le chef des yakusas, dans les scènes loufoques (l’agent Dorin et les mouches, la scène finale), dans les dialogues…

Voici pour finir un extrait, qui vous donnera une idée du ton. Le commissaire contacte l’ambassade américaine (au début du roman):

“M. Johnson, je vous prie.

- Qui dois-je annoncer? demanda le standardiste.

- Son oncle à héritage.

- Très bien, monsieur, un instant s’il vous plaît.”

Johnson était fébrile. Le code qu’avait utilisé le commissaire signifiait “drogue” et “police”; ils prirent rendez-vous pour le lendemain matin. Johnson viendrait à Amsterdam. Le commissaire fit la grimace en raccrochant. “Quels mômes, murmura-t-il. Il faut entrer dans leur jeu. Il n’y a sûrement pas d’écoutes téléphoniques sur sa ligne, mais jamais il ne dira quoi que ce soit de compromettant. Il est persuadé qu’il y a un Russe sous le tapis et un Chinois encastré dans le plafond. ‘Oncle à héritage’. Et je n’ai même pas pu lui dire qu’il était également question d’un assassinat; j’ignore le nom de code pour assassinat. Il y en a sûrement un. ‘Poisson’, ou quelque chose comme ça. L’oncle à héritage a mangé du poisson. Bof.” (p. 51-52)

 

Pour qui ?
Les amateurs de polars nonchalants.

Le mot de la fin
Zen.

* attention, je ne voudrais pas que vous pensiez que ces polars sont à se tordre de rire, on n’est pas du tout ici dans un ton à la Joe Lansdale ou Donald Westlake. Le style de Van de Wetering ne ressemble qu’à du Van de Wetering. Vous êtes bien avancés, avec ça, hein ?

Janwillem Van de Wetering, Le Cadavre japonais (The Japanese Corpse), Rivages/Noir, 2004. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Philippe-Frédéric Angelloz. Première édition française : Mercure de France, 1981. Edition originale : 1977.
Nota Bene : Janwillem Van de Wetering écrivait ses récits en hollandais puis en anglais.

dimanche 2 septembre 2012

Les Anonymes de R.J. Ellory



Présentation (édition Le Livre de Poche)
Washington. Quatre meurtres aux modes opératoires identiques. La marque d’un serial killer de toute évidence. Une enquête presque classique donc pour l'inspecteur Miller. Jusqu'au moment où il découvre qu'une des victimes vivait sous une fausse identité. Qui était-elle réellement ? Et ce qui semblait être une affaire banale va conduire Miller jusqu'aux secrets les mieux gardés du gouvernement américain…

Mon avis
Cela faisait un moment que le livre, acheté en format numérique, patientait sur mon reader. J’avais à sa parution lu Seul le silence, aimé pour son écriture et son atmosphère très noires, tout en ayant le souvenir d’une légère déception, à cause d’une fin par trop prévisible pour l’habituée des polars que je suis. Autrement dit, en lisant le billet de Brize cet été, j’étais convaincue que j’allais éprouver le même ennui qu’elle. Il faut d’ailleurs reconnaître que j’ai mis un moment à venir à bout de ce gros roman, et je pense qu’en effet, il y a des longueurs. Cependant, je suis au final plutôt séduite (la chronique de Brize n’était de toute façon pas une démolition en règle).
Je suis d’accord avec Brize : il n’y a guère de surprise dans cette histoire, surtout pour des habitués du genre (des genres, devrais-je dire : polar et espionnage). Je suis pourtant persuadée que R.J. Ellory ne travaille pas là-dessus, qu’il ne cherche pas à nous surprendre (je vais apporter une nuance à cette affirmation). En effet, l’alternance entre les deux récits, celui de l’enquête à la troisième personne et celui du tueur présumé à la première personne, désamorce très rapidement l’effet de surprise : on sait de quoi il retourne. Dès les premières pages, nous savons que Catherine Sheridan connaît son tueur et qu’elle attend la mort, non sans angoisse mais avec le sentiment de sa nécessité. Par conséquent, nous percevons sans véritable suspense les méandres principaux de l’intrigue, les dessous de l’affaire, qui nous entraînent du côté de l’espionnage, et il est évident que le lecteur qui attendrait des rebondissements inattendus sera déçu, s’ennuiera. Je précise toutefois qu’à mi-roman, j’avais une hypothèse me permettant d’attendre un rebondissement attendu : eh bien je me suis trompée ! Comme quoi R.J. Ellory a joué avec mes nerfs et m’a narguée, en revenant à l’hypothèse de départ…
Je crois en fait que (attention, interprétations personnelles !), de même que Seul le silence mélangeait roman noir et thriller (avec une dominante roman noir pour moi), Les Anonymes travaille sur les structures et les motifs de l’espionnage mais propose en réalité un roman noir, tragique, désespéré et poisseux. Du coup, rien de vraiment inattendu, comme dans ces romans noirs où nous savons ce qui nous attend. Et une écriture et une atmosphère noires : par le personnage de Miller, typique de ces anti-héros du polar (rien d’original, pourra-t-on m’objecter), et par le personnage de John Robey, dont le récit est pour moi la partie la plus intéressante du roman, par ce qu’il charrie de tragique et de politique (même si, entre nous, il n’y a rien de nouveau sous le soleil dans le propos du roman).
Par ailleurs, m’attendant au pire, j’ai été surprise de ne pas m’ennuyer. Au contraire, j’avais hâte de me replonger dans le roman! L’alternance entre les deux  récits permet à la fois de donner du rythme et de le ralentir : oui, je sais, dit comme ça, ça ne veut rien dire… Disons que je trouve que l’histoire se caractérise par sa lenteur d'un côté et par une grande fluidité et un sens du rythme certain de l'autre côté. Et bien sûr, comme le souligne Brize, il y a la qualité de l’écriture de R.J. Ellory : pas de lourdeurs, pas d’emphase, mais une vraie capacité à planter un décor, un personnage, à construire une scène, le tout avec de très beaux moments d’émotion.
Je suis en revanche réservée sur l’extrême fin du roman. Je ne veux pas dévoiler ici des choses importantes, je dirais simplement que pour moi, R.J. Ellory ne va pas jusqu’au bout de la noirceur. Tant mieux pour les âmes sensibles, me direz-vous, mais je trouve qu’il aurait été plus cohérent d’aller plus loin. Et je n’ai pas trop aimé ces révélations sur une certaine jeune fille, je trouve ça inutile et un peu artificiel.
Au final, le roman aura tout de même un bon moment de lecture et une surprise agréable, même si je suis très loin du coup de cœur. Je pense que R.J. Ellory est un auteur intéressant (Vendetta attend sur mes étagères) mais ce n’est certes pas mon auteur préféré. Enfin, dans le style « je mélange roman noir et espionnage », on est en droit de préférer les romans de James Grady, infiniment supérieurs (ce n’est que mon avis).

Pour qui ?
Pour ceux qui aiment les romans de R.J. Ellory. Pour ceux qui en ont assez des héros trépidants à la Jason Bourne.

Le mot de la fin
Un bon moment, ni plus ni moins. 

R.J. Ellory, Les Anonymes (A Simple Act of Violence), Le Livre de Poche, 2012. Traduit de l'anglais par Clément Baude. Publié initialement chez Sonatine en 2010. Publication originale: Orion, 2008. Lu en e-book.