Présentation éditeur
En l’espace d’un week-end, le quotidien de la ville de Soissons sombre dans le chaos. Les tombes musulmanes de la nécropole dédiée aux soldats de 14-18 sont atrocement profanées et de l’autre côté de la ville, Julia, en convalescence à la suite d’un accident traumatisant, trouve une main sauvagement coupée sur les berges de l’Aisne. L’adjudant Gomulka, gendarme désabusé et proche de la retraite, se voit confier ces deux enquêtes. Face à la violence et la noirceur de ces crimes, il ne s’opposera pas à ce que le lieutenant Delahaye, surnommé « la Machine », lui prête main forte. Au cœur d’une ville qui porte les stigmates du premier conflit mondial, les deux hommes vont devoir démêler l’écheveau de ces deux affaires, qui n’en formeront peut-être qu’une. « L’invasion s’arrête ici ».
Ce que j'en pense
J'étais totalement passée à côté de ce roman et à dire vrai, de cet auteur, jusqu'ici. C'est son deuxième roman. Et je pense que c'est une plume à suivre. C'est dans la collection Cadre Noir du Seuil qu'a été publié en 2021 L'heure des chiens, qui brasse plusieurs thématiques sociales et politiques: accueil des migrants, extrême-droite, souffrance au travail, France périphérique et perte des repères... Je sais que certains lecteurs ont trouvé que cela faisait un peu trop et nuisait à l'ensemble, car qui "trop étreint mal embrasse", si je puis dire. Je comprends cette réserve mais je ne la partage pas tout à fait. Si je devais formuler à mon tour une réserve, elle concernerait plutôt le dénouement, la résolution de l'intrigue et du "mystère", parce qu'un personnage est introduit un peu tardivement à mon goût (même s'il y a des signes précurseurs) et parce que les implications sont un peu rocambolesques. Mais cela n'est que mon humble avis, et l'ensemble est très cohérent, quoi que j'en dise.
Non, sur la multiplicité des thématiques, je n'ai pas froncé les sourcils : tout s'entremêle, pas seulement par nécessité narrative mais par cohérence politique, si vous me permettez le mot. Tous les "thèmes" brassés sont les facettes complémentaires d'une société en crise, qui instrumentalise et déshumanise les individus, sacrifiant le collectif au nom de l'intérêt de quelques uns, piétinant l'humanisme et les valeurs morales élémentaires. Soissons est une de ces petites villes vidées de substance, où se cumulent les symptômes de cette société malade. J'admets que tout cela peut sembler un peu touffu, un peu périlleux, mais à travers le personnage de Gomulka, il y a une sorte de faisceau qui donne du sens à... cette perte de sens. Tous les personnages, toutes les situations et partant toutes les thématiques convergent autour de la perte de sens dans une société qui ne pense qu'à la performance et qui s'égare dans des fonctionnements qui s'affranchissent ou veulent s'affranchir du facteur humain (l'expression revient dans le roman) : machine managériale (Julia), machine politique et policière (le traitement des migrants, la "réponse" xénophobe), machine déductive (Delahaye), machine comptable (la police doit faire du chiffre, la clinique psychiatrique se voit couper des financements parce que trop peu efficace), etc.
Et puis il y a les personnages : la force de Thomas Fecchio est de les faire exister très vite, et de leur donner une profondeur intéressante. Pas de manichéisme ni d'héroïsation, on est face à des personnages qui sont troubles, de Julia à Delahaye, en passant par le très intéressant Gomulka, pas très aimable, pas très clair. L'auteur reprend des figures codées, comme Gomulka, fidèle apparemment au stéréotype de l'enquêteur en pleine crise personnelle et professionnelle, ou la prostituée qui veut se sauver de sa condition. Mais il sait leur donner du souffle, évite la caricature, sans aucun angélisme.
L'heure des chiens se lit donc avec grand plaisir, et mérite d'être découvert s'il n'est pas passé entre vos mains.
Thomas Fecchio, L'heure des chiens, Seuil, Cadre Noir, 2021.