samedi 14 avril 2018

Les mauvaises de Séverine Chevalier


Présentation de l'éditeur
Deux jeunes filles d’une quinzaine d’années et un petit garçon aiment à s’aventurer dans une forêt du Massif Central, au bord d’un lac qui vient d’être vidé. Autour d’eux, les adultes vaquent à leur existence, égarés, tous marqués de séquelles plus ou moins vives et irréversibles. Il y a les anciens, ceux qui sont nés ici, aux abords des volcans d’Auvergne. Il y a les moins anciens, il y a les très jeunes, puis ceux qui viennent d’ailleurs. Il y a aussi ceux qui sont partis, ont tout abandonné, et dont les traces subsistent dans les esprits. Une des deux jeunes filles est retrouvée morte, puis c’est sa dépouille à la morgue qui disparaît en pleine nuit… 

Ce que j'en pense
Pour une raison que j'ignore, ou pour aucune raison du tout, juste l'accumulation, j'ai tous les livres de Séverine Chevalier mais je ne les avais pas ouverts. Et je ne sais pourquoi, j'ai attaqué son oeuvre par le dernier opus, Les mauvaises. Et quel roman!
Ce qui frappe en premier, c'est la virtuosité de l'écriture et la beauté de la langue. Je dis virtuosité, mais n'allez pas croire que S. Chevalier en fait des tonnes et donne dans l'esbroufe. Non, l'écriture est d'une sobriété incroyable, pas de surcharge, pas d'effet, juste la puissance poétique d'une langue juste, de phrases au cordeau. Et je ne parle pas de poésie au hasard, ce n'est pas un mot jeté en l'air, non, S. Chevalier utilise le mot, l'espace de la page, et de la sobriété surgit la beauté et une sorte de lyrisme tout en retenue. 
Car ce qu'il y a, pensa soudain le jeune véto, avec les animaux et les très petits ou très vieux humains, et tous ceux qui ne peuvent parler de façon intelligible, c'est qu'on peut très bien ne pas entendre la plainte.
Aucun registre ne s'ouvre pour prendre acte des faits, des préjudices irréversibles, des souffrances sans fin.
Ainsi, ce n'est rien; quand il n'y a pas d'histoires, pas de récits, rien n'existe.
Et la page suivante : 


RIEN.


Et le XXIème siècle, évoqué par cette litanie en vers libres, du moins c'est ce que ça m'a évoqué. 
S. Chevalier, Les mauvaises, p. 169.

Il y a également la chronologie "bousculée" du roman : les années 1980, les jours qui mènent au drame, le XXIème siècle, tout ça est savamment construit. C'est une période d'intenses changements qui est évoquée : la fin d'une époque rurale, la fin d'un monde encore relativement préservé, dans sa rudesse même. Noir, le roman l'est, tragique, aussi. 
Et puis il faut souligner une chose, c'est que le roman se lit d'une traite ou presque : que voulez-vous, avec une première phrase comme celle-ci:
Le cadavre disparut la même nuit que les bêtes.
S. Chevalier a un sacré talent de conteuse, elle vous harponne dès la première phrase et ne vous lâche plus. Elle le fait sans céder à la facilité, déjoue les pièges, joue avec nous, aussi. Pourquoi Micheline est-elle appelée Roberto? C'est un régal, de bout en bout. S. Chevalier n'assène jamais rien, elle ouvre des pistes, des questions. 
C'est intense, beau, tragique, magnifiquement écrit. E basta cosi. 

Sévérine Chevalier, Les mauvaises, La manufacture de livres, 2018. 

lundi 9 avril 2018

Le combo d'enfer

Photographie par Christophe Lecoq empruntée ici

Bon, une absence encore, liée dans un premier temps à un surcroît de travail (avec déplacements) et dans un second temps à un petit souci de santé, sans gravité mais ayant occasionné, après un passage aux urgences, désagréments, douleurs et fatigue. La vieillesse est un naufrage, je ne le dirai jamais assez. En tout cas je vous présente toutes mes excuses, notamment pour les commentaires que vous avez postés et qui sont restés en souffrance...
Pourtant, le mois de mars a été riche en lectures, et quelles lectures, mazette!
Je cite mes lectures dans le désordre, ou plutôt, à l'ordre chronologique je substitue l'ordre d'importance, d'impact, appelez ça comme vous voudrez.

- une seule lecture franchement anecdotique, qui a été agréable sur le moment mais qui tend déjà à s'estomper  : Mort sur le Tage de Pedro Garcia Rosado. Des lenteurs, malgré un dernier tiers enthousiasmant...

- les lectures franchement sympathiques, qui m'ont apporté des choses diverses.
La biographie de Maurice Ronet par Jean-Pierre Montal, Maurice Ronet. Les vies du feu follet. J'ai découvert un homme étonnant, assez étrange, et cette biographie, qui permet aussi à Montal d'évoquer des moments de sa propre existence, laisse une satanée mélancolie au lecteur, et l'envie de voir ou revoir des films avec Maurice Ronet.
Le dernier opus d'Anne Wiazemsky, Un saint homme, m'a apporté ce que j'y cherchais, un beau portrait d'homme, le père Deau, une relation forte, mi-amicale, mi-filiale, avec la plume d'Anne Wiazemsky, qui va me manquer.
Jake de Bryan Reardon est un très bon roman noir, qui a eu un écho tragique avec la tuerie de masse dans le lycée américain. Je ne serai sans doute pas allée spontanément vers ce livre si on ne me l'avait pas offert, et je suis ravie de l'avoir lu.
Même chose pour Les chiens de chasse de Jorn Lier Horst: je ne l'aurais pas lu, un peu lassée par le polar scandinave, et ça aurait été dommage, car j'ai aimé, vraiment aimé, au point que j'ai acheté le premier opus de la série.
Une belle surprise aussi avec Sans lendemain de Jake Hinkson, très beau roman noir publié chez Gallmeister.

- les valeurs sûres
Janet Evanovich avec Dix-sept ans de malheur m'a apporté ce que j'attends d'elle : des personnages récurrents hilarants, des personnages propres à ce volume déjantés à souhait, un humour qui me réconforte quand j'en ai besoin.
Susin Nielsen a beau s'adresser aux ados, elle me ravit. Le journal malgré lui de Henry K. Larsen m'avait échappé à sa sortie. C'est l'un des rares écrivains de littérature ados que je lis encore.
Craig Johnson avec son Walt Longmire annuel, Tout autre nom : sans doute pas mon préféré, mais j'ai quand même beaucoup aimé et j'ai quitté mon shérif préféré à regrets...

- les grands moments de lecture, de littérature, les claques, appelez ça comme vous voudrez
La petite gauloise de Jérôme Leroy: je continue à découvrir son oeuvre et ce nouvel opus, s'il ne m'a pas occasionné le choc incroyable de Un peu tard dans la saison, a été un excellent moment de lecture. Songez à ma joie quand je lis les premières lignes, qui vont rythmer le livre, avec la référence à Jean-Patrick Manchette... Toute ma lecture a été à l'avenant de ce plaisir. 
La vespasienne de Sébastien Rutès m'a enchantée de sa noirceur et son intelligence. Pour moi qui n'ai pas réussi à lire La mélancolie des corbeaux (oui, allez-y, jetez-moi des pierres), c'était une sorte de revanche... J'ai songé à Slocombe, à Daeninckx (pour Itinéraire d'un salaud ordinaire), au Corps noir de Manotti, à d'excellents romans, quoi. 
And last but not least, j'ai été soufflée par Tu dormiras quand tu seras mort de François Muratet. Outre que c'était un soulagement de voir revenir l'auteur sur les étals des libraires après des années de silence, je peux dire que ce fut une lecture éblouie par le talent de conteur de F. Muratet, par la puissance de son évocation, par la complexité des personnages, par la force tragique de ce récit de guerre. Franchement, je ne m'en suis pas remise. 

Donc ce fut un mois de mars riche et éclectique, quoique marqué, qui s'en étonnera, par le roman noir. La lecture de François Muratet fut un tel choc que j'ai eu du mal à passer à autre chose, et avril a commencé sous des auspices moins favorables, avec deux lectures dont je ne parlerai pas, parce que je n'ai envie de partager que ce qui suscite de l'intérêt littéraire à mes yeux, y compris quand je ne suis pas tout à fait convaincue. C'est pourquoi, voyez-vous, j'ai parlé ici du livre de Colin Niel qui m'avait laissée sur ma faim, alors que je tais mon avis sur des livres que je juge ratés ou consternants. 

Mais avril continue avec des belles lectures, et j'espère retrouver suffisamment de patate pour vous en parler en détail.