lundi 22 avril 2019

La Ferme aux poupées de Wojciech Chmielarz



Présentation éditeur
L’inspecteur Mortka, dit le Kub, a été envoyé à Krotowice, petite ville perdue dans les montagnes. Officiellement, il estlà pour un échange de compétences avec la police locale. Officieusement, il y est pour se mettre au vert après une sale affaire. S’il pense être tranquille et avoir le temps de réfléchir
à l’état de sa vie personnelle, il se trompe lourdement. Quand Marta, onze ans, disparaît, un pédophile est rapidement arrêté, qui reconnaît le viol et le meurtre de la petite. Mais l’enquête est loin d’être terminée : les vieilles mines d’uranium du coin cachent bien des secrets… et peut-être quelques cadavres.

Ce que j'en pense
J'avais beaucoup aimé Pyromane, et Wojciech Chmielarz m'avait laissée sur la perspective de retrouver le Kub à Varsovie, avec en perspective la question de son acolyte et de son comportement conjugal. Quand s'ouvre La Ferme des poupées, c'est à Krotowice qu'on le retrouve, une mise au vert qui fait suite à l'affaire du volume précédent. J'ai aimé ce dépaysement, du personnage aussi bien que du lecteur, dans une petite ville où le crime n'est pas monnaie courante, a priori. A nouvel environnement nouvelles relations, codes sociaux et professionnels différents. Mais surtout, Chmielarz nous promène : il nous lance sur une première piste et l'on se dit qu'il y a là de quoi tenir tout un roman, et puis non, il accélère brusquement et nous faire prendre une autre direction, de façon magistrale. L'auteur joue avec nos attentes et les codes de nombre de polars contemporains : enfants disparues et spectre d'un tueur en série sadique à souhait. Mais ce n'est pas de cela qu'il veut nous parler, car Chmielarz est un auteur de noir et non de thriller : La Ferme aux poupées nous parle du trafic d'êtres humains, de personnages en quête d'un destin plus grand (et d'un portefeuille mieux rempli), du racisme envers les Roms, des errements ordinaires de la police, de la solitude des êtres déplacés ou déclassés. Une fois de plus, la Pologne du XXIè siècle, après le choc de l'entrée dans un système libéral, la perte des repères traditionnels, se donne à lire dans La Ferme aux poupées, à travers les symptômes que sont ces dérives criminelles et délictueuses. Jamais Chmielarz ne caricature, chez lui pas de manichéisme, et les pires ne sont pas toujours ceux que l'on croit. Il y a de beaux portraits dans ce roman, notamment de femmes, tout en nuances et en complexité. Somme toute, personne n'est innocent.

Wojciech Chmielarz, La Ferme aux poupées (Farma Lalek), Agullo, Agullo Noir, 2018. Traduit du polonais par Erik Veaux. Disponible en numérique.

dimanche 14 avril 2019

Son autre mort d'Elsa Marpeau


Présentation éditeur
Alex mène une vie normale jusqu'à l'arrivée de l'écrivain Charles Berrier dans le gîte rural qu'elle tient avec son mari. Une nuit, l'homme essaie de la violer. En cherchant à se défendre, elle le tue. 
Paniquée, craignant que les conséquences de son acte ne détruisent sa famille, Alex dissimule le corps. Avant que la disparition de Berrier ne soit connue, et pour éloigner d'elle les soupçons, Alex décide de s'infiltrer dans son entourage pour trouver qui, parmi les proches de l'écrivain, aurait pu l'assassiner...

Ce que j'en pense

Retour gagnant pour Elsa Marpeau. J'ai retrouvé ici ce qui m'avait plu dans les premiers romans de la romancière, quelque chose de borderline et de maîtrisé. Alex, mise dans une situation extraordinaire, sort d'elle-même et de ses névroses, pour préserver la bulle qu'elle s'est construite, avec sa famille. Le milieu littéraire se trouve quelque peu égratigné au passage, mais c'est surtout notre société de l'exhibition et de la provoc qui est montrée du doigt. Car pour donner le change et prolonger l'existence de Charles Berrier, elle le fait s'exprimer sur les réseaux sociaux, monter le buzz, jouer la provocation à des fins plus ou moins publicitaires... ce qui permet à Alex de préparer son "autre mort". Certes, il y a de petites faiblesses dans l'intrigue policière : le doigt coupé, qui sera d'une grande utilité (mais comment une novice dans le crime pourrait-elle avoir cette idée?), la cache du cadavre, qui ne permet nullement sa disparition définitive, entre autres. Mais j'ai beaucoup aimé le simulacre construit par Alex, ce qu'il révèle sur l'entourage de l'écrivain et sur notre voyeurisme. 
Un polar psychologique bien fichu, vénéneux juste ce qu'il faut. 

Elsa Marpeau, Son autre mort, Gallimard, Série Noire, 2019. Disponible en numérique.