mercredi 30 décembre 2015

Hollywood Zéro de Dominique Forma


Présentation (éditeur)
Dominique, cambrioleur indépendant, aime les coups efficaces et sans risques. Malheureusement il doit une grosse somme à deux truands qui veulent sa peau. Acculé, il prend un billet pour Los Angeles où il compte retrouver son pote Kenny, devenu "producteur" à Hollywood. En fait, Kenny monte des projets de films bidons dans le but d'arnaquer des financiers trop crédules. Dominique tombe à pic : il est aussitôt recruté pour jouer le rôle d'un faux réalisateur. A Hollywood, tout est possible, surtout le pire, car l'usine à rêves est avant tout une fabrique de cauchemars.

Ce que j’en pense
J’avais envie de confirmer l’impression résultant de ma lecture du dernier opus de Dominique Forma, Amor. Hollywood Zéro n’a pas la même ampleur, me semble-t-il, mais j’ai passé un excellent moment, avec un polar parfaitement maîtrisé, au rythme impeccable. C’est lorsque le personnage s’envole pour les Etats-Unis que le livre prend tout son intérêt pour moi: je ne sais pourquoi, la partie parisienne du début m’a moins intéressée. Mais ensuite, mazette! quel rythme, quelle tension! Mais pas de cette tension factice qui me fatigue dans les thrillers, non, là on reste dans du noir, avec des personnages en demi-teinte, un mélange d’action et d’attente… J’ai aimé le dénouement, là aussi on est dans du noir, juste ce qu’il faut. 
Dominique Forma a un talent évident pour poser les personnages et les faire exister en quelques phrases, tout en les faisant évoluer pour révéler leur complexité. Outre le narrateur, as de la cambriole qui va de déconvenue en déconvenue, il y a Kenny mais surtout, il y a Rachel, superbe personnage féminin, tout en fêlures, et qui échappe aux clichés habituels (même si le narrateur jouera les vengeurs pour elle). 
Enfin, Dominique Forma, qui connaît Los Angeles, s’y entend pour croquer des scènes, des lieux, l’envers du rêve américain: la scène du Bastille Day, l’évocation du Gershwin Hôtel, toute une faune oubliée de la réussite hollywoodienne… C’est saisissant, et jamais le regard posé sur eux n’est cynique ou sarcastique. 
Bref, si Hollywood Zéro n’est pas le choc qu’a été pour moi Amor, c’est un excellent roman noir, et assurément, je vais poursuivre ma découverte de cet auteur. 


Dominique Forma, Hollywood Zéro, Rivages/Noir, 2014. Disponible en ebook. 

lundi 28 décembre 2015

Kurt Cobain: Montage of Heck de Brett Morgen


J’abordais la vingtaine quand le phénomène Nirvana a explosé mais je suis complètement passée à côté alors. Ce n’est que bien plus tard que j’ai découvert leur musique, que j’aime sans en être fan non plus. Ce documentaire a piqué ma curiosité mais je ressors plus que perplexe de cette expérience. 
Commençons par ce qui est positif: les archives familiales sont parfois intéressantes, elles redonnent de la cohérence à la trajectoire de Kurt Cobain, et pour ma part, j’ai été touchée de voir ces photos - de bonheur? - des premières tournées de Nirvana, où les trois compères semblent heureux. 
Voilà. C’est mince, non? 
Pourquoi est-ce que ça coince, pour moi? Je vous livre mes réserves dans le désordre. 
Kurt Cobain a terriblement souffert de l’exposition médiatique, du fait d’être propulsé porte-parole alors que seule lui importait la musique du groupe. Il exprime dans son journal sa sensation d’être « violated »… et pendant plus de deux heures, on nous livre en pâture des images parfois très intimes. J’avoue avoir ressenti un grand malaise face aux scènes qui plongent dans le quotidien - glauque - de Kurt Cobain et Courtney Love, avant et après la naissance de leur fille. Ces images sont d’une intimité qui fait du spectateur un voyeur et je n’ai pas aimé cela. « Violated », disais-tu, Kurt Cobain? 
Le film est produit par la fille de l’artiste, qui détient depuis 2010 les droits sur l’exploitation de l’image de son père. Le réalisateur montre ce qu’il veut, car la fille de Kurt Cobain dit avoir précisé qu’elle ne voulait pas d’hagiographie romantique mythifiant son père. C’est juste, mais reste que le documentaire ne peut prétendre à l’objectivité: il n’y a pas de réalité, juste des visions de la réalité. Celle-ci est orientée par une thèse (qui en vaut une autre, me direz-vous): la gloire n’a fait qu’accélérer un malaise qui trouve ses racines dans l’enfance et l’adolescence de Kurt Cobain, et Courtney Love n’est pas responsable de sa mort. Fort bien, et croyez bien que je n’en pense rien. Mais c’est assez troublant de voir les témoignages de sa famille, de ses parents à Courtney Love: tous semblent se dédouaner. La seule à endosser une part de responsabilité dans le malaise de l’adolescent est la belle-mère. Et le plus ému de tous semble être Krist Novoselic… Bref, c’est un documentaire à thèse qui ne s’avoue pas comme tel: « nous ne sommes pas responsables, Kurt allait mal et il aurait mal fini même sans nous ». 
Ma plus grande réserve découle de la précédente: le documentaire est tellement centré sur la trajectoire intime, sur la dérive personnelle qu’il en oublie - sciemment, je n’en doute pas - de parler d’une chose : la musique. Tout au plus est-elle évoquée comme un exutoire des souffrances de l’artiste, c’est un peu mince. Je comprends le parti-pris mais il me laisse frustrée. Une fois de plus, Kurt Cobain n’est pas évoqué comme musicien, compositeur, artiste: il est ramené à cet être souffrant, en révolte, et rien d’autre. Je trouve ça dommage. 
J’attends un documentaire qui mettra le grunge en perspective (musicale, sociale, politique), qui éclairera le contexte d’apparition de Nirvana, l’influence des Melvins (entre autres), la genèse du groupe, la trajectoire vers les majors et le discours parfois ambigu de Cobain sur le succès, l’emballement médiatique qui fait du groupe ce qu’il ne veut pas être et de Courtney Love la méchante de l’histoire. 
Bref, je ressors un peu barbouillée de ce documentaire, vaguement honteuse d’avoir eu accès à des scènes a priori réservée à la sphère intime. 


Brett Morgen, Kurt Cobain: Montage of Heck, Universal Studios, 2015, USA, 132 minutes. Disponible en DVD. 

samedi 26 décembre 2015

Bye bye 2015

Bon, je crois que je vais tenir le même discours que beaucoup de gens: je ne regretterai pas 2015, qui s'est ouverte dans le sang et qui se termine de la même façon sans riante perspective.
Mais comme je ne suis pas là pour faire un billet d'humeur, concentrons-nous sur ce qui nous réunit ici : la lecture. J'ai parcouru mes lectures de l'année et je me suis concentrée sur les plus marquantes, celles qui m'ont fait vibrer et qui m'habitent encore. Il y aurait beaucoup de titres à citer, mais j'ai essayé de ne retenir que trois catégories et deux titres par catégories. 

Côté polar, mes deux découvertes/favoris/coups de coeur de l'année sont :

L'alignement des équinoxes de Sébastien Raizer

Amor de Dominique Forma 


Côté jeunesse, je retiendrai ces deux-là:

Côté roman, ce ne sont pas des titres de l'année mais ce sont les deux romans qui m'ont le plus marquée:
Un classique avec Le Fantôme de l'opéra de Gaston Leroux


Une merveille contemporaine avec Louise Erdrich


Il y a eu de gros trous dans mes lectures, dans mon activité sur le blog, et j'espère que 2016 me verra plus constante...

Bonnes fêtes!

mercredi 23 décembre 2015

Problème de commentaires

Image empruntée ici


Bon, je ne voudrais pas que celles et ceux chez qui je laisse habituellement des commentaires se demandent si je déserte leurs blogs : il n'en est rien, mais je ne parviens pas à laisser de commentaires. J'avais résolu le problème mais depuis quelques jours, ça recommence. Donc je vous lis, je ne peux commenter mais je n'en pense pas moins...
Et tant que j'y suis: bonnes fêtes!!!!

dimanche 20 décembre 2015

Tant de chiens de Boris Quercia


Présentation (éditeur)
Encore une mauvaise période pour Santiago Quinones, flic à Santiago du Chili. Son partenaire Jiménez vient de mourir au cours d'une fusillade avec des narcotrafiquants. Pire encore, le défunt semble avoir été mêlé à des histoires peu claires, et il avait les Affaires internes sur le dos. Il était également lié à une "association de divulgation philosophique" aux allures de secte, la Nouvelle Lumière. Interrogé par les Affaires internes, Santiago a du mal à croire ce qu'on lui dit de Jiménez. En se rendant à la Nouvelle Lumière, par curiosité autant que par désoeuvrement, il tombe sur la jeune Yesenia, qu'il connaît bien. Tous deux ont grandi dans le même quartier, puis leurs chemins se sont séparés. Entre-temps, Yesenia a connu l'enfer : elle raconte à Santiago avoir été séquestrée et violée par son beau-père. Depuis, elle ne vit plus que pour une seule chose, et elle va demander à Santiago de l'aider, au nom de leur amitié passée : il s'agit d'abattre son bourreau…

Ce que j’en pense
Ce deuxième opus consacré à Santiago peut se lire indépendamment du premier, même si bien sûr, avoir lu le premier lui donne une saveur supplémentaire. J’ai beaucoup aimé Les rues de Santiago et Tant de chiens m’a procuré le même plaisir de lecture. J’aime décidément beaucoup le personnage de Santiago, qui gagne ici en complexité et en profondeur. Là où le premier volume jouait - efficacement - avec les stéréotypes, Tant de chiens les explore différemment. Santiago se révèle moins séducteur qu’amoureux, mais son histoire d’amour avec Marina est rendue compliquée par son travail. Tant pis si la trajectoire professionnelle de Santiago dans ce volume n’est guère crédible (comment puis-je en juger d’ailleurs, ne connaissant pas ce milieu au Chili?); l’essentiel est que le lecteur y adhère pleinement le temps de la lecture, vibre avec Santiago, bouleversé, écoeuré, effrayé parfois. 
Boris Quercia propose une galerie de personnages secondaires passionnants : comme j’ai aimé l’insubmersible Marcelo, loyal, droit dans ses bottes, lucide et courageux! La scène où Santiago retrouve son corps près du cabanon est sidérante de sobriété et d’émotion conjuguées. Et puis il y a les personnages féminins: Marina, Angelica déjouent déjà les stéréotypes des figures féminines dans le polar. Certes, Yesena est plus conforme au stéréotype de la femme-victime, mais Boris Quercia lui donne assez d’ambiguïté pour qu’elle soit intéressante, et surtout, il y a sa petite soeur de souffrance, que Santiago va essayer de tirer d’affaire, et dont il ne fait pas une figure brisée, mais une boule d’espoir, en dépit des traumatismes. 
Le roman est sans concession pour les représentants des institutions (politiques, judiciaires, policières) chiliennes, pour les mâles chiliens aussi. C’est une vision conforme à ce que j’aime dans le noir, une conception désenchantée (mais fut-elle enchantée un jour?) et désespérée. Il n’y a pas de retour à l’ordre, ou plutôt un retour à cet ordre inique qui broie toujours les plus faibles, sans possibilité de justice. 
La scène finale, qui commence avec une sorte de cavale de Santiago, est éblouissante. Le point d’orgue est la scène du cabanon, dans laquelle Boris Quercia se paie le luxe d’une maîtrise absolue du rythme, tout en tension, mâtinée de réminiscences presque oniriques. C’est magnifique. 
J’espère pouvoir lire vite un troisième opus! 


Boris Quercia, Tant de chiens (Perro Muerto), Asphalte, 2015. Traduit de l’espagnol (Chili) par Isabel Siklodi. Disponible en ebook. 

samedi 19 décembre 2015

Steamboat de Craig Johnson


Présentation (éditeur)
Plongé dans la lecture du Chant de Noël de Dickens, le shérif Walt Longmire voit surgir à la porte de son bureau une jeune femme élégante, cicatrice au front et mille questions en tête à propos de son passé et de l'ancien shérif, Lucian Connally. Mais impossible pour le vieil homme de se rappeler cette femme jusqu'à ce qu'elle prononce le nom de "Steamboat". Tous replongent alors dans les souvenirs du Noël 1988 : une tempête de neige apocalyptique, un accident de la route meurtrier, et un seul moyen d'intervenir, un bombardier datant de la Seconde Guerre mondiale appelé "Steamboat" et que Lucian est seul capable de piloter. 

Ce que j’en pense
J’ai l’habitude d’avoir un nouveau Craig Johnson au printemps, voire à la sortie de l’hiver, aussi ai-je été surprise de voir Steamboat chez le libraire. Autre belle surprise, voir qu’il était sorti en numérique, Gallmeister ayant des réticences légitimes face au numérique. J’ai donc acheté le livre papier puis la version numérique!
Ces considérations mises à part, je dois dire que j’ai compris pourquoi Gallmeister avait sorti Steamboat à cette période, alors qu’il n’est même le suivant dans la liste des Walt Longmire. Steamboat a un statut un peu à part dans la série, sur lequel Craig Johnson s’explique à la fin du volume. D’abord prévu pour être une nouvelle, le texte s’est allongé pour devenir un court roman, peut-être ce que certains appelleraient une novella. Et l’ensemble a des allures de conte de Noël, d’où la pertinence d’une sortie en décembre. Je dois dire que je ne suis pas fan de Noël et encore moins des contes de Noël, ou de ces romans qui livrent une version dramatisée mais pleine de bonheur de Noël… Disons que je ne suis pas sensible à cette tradition très anglo-saxonne. Bref…
Je savais que Steamboat n’était pas vraiment un polar, pour avoir lu des chroniques. Cela m’était bien égal et je n’ai pas été déçue.
J’ai aimé ce flash-back (par rapport aux volumes habituels) qui met en scène, bien plus que d’habitude, Lucian, le vieux bougon de service. J’ai aimé que Craig Johnson me fasse vibrer alors que, somme toute, il n’y avait pas de suspense quant à l’issue (je veux dire qu’on sait que les différents protagonistes ne vont pas mourir). J’ai été stupéfaite que l’auteur parvienne à m’intéresser au fonctionnement de l’avion (est-il besoin de préciser que je n’y connais rien?). Mais de fait, je ne pouvais pas lâcher le roman. Ces histoires de pression, de portes ouvertes, le tout dans une tempête inouïe, cela m’a accrochée comme rarement…
Et surtout il y a l’humanité de cet univers. Lucian prend une épaisseur incroyable, son sale caractère m’enchante, parce qu’il n’est que le masque d’un type bien. Le moment jubilatoire a été pour moi celui où, sûr de son fait et n’en faisant qu’à sa tête, il dit à la tour de contrôle de Denver que si si si, il va bien atterrir sur la piste 26 (j’espère ne pas me tromper de numéro) et que le fait qu’il y ait des déneigeuses et des congères en travers ne lui fait ni chaud ni froid. Walt est Walt, je ne m’attarde pas, mais c’est mon shérif préféré, ici dans ses débuts à son poste. Il y a un nuage au-dessus de sa tête, pas encore perçu comme tel par le personnage mais qui serre le coeur du lecteur: sa femme doit consulter un médecin… Il y a toute une galerie de personnages dotés d’une folle épaisseur, notamment le toubib qui a eu le courage d’embarquer auprès de la petite fille dont le pronostic vital est engagé. Et il y a les personnages féminins de Craig Johnson, loin des caricatures que l’on croise parfois dans les polars…
Lucian est une tête de mule et cela évite un final dégoulinant comme un mauvais auteur aurait pu en faire. Pas de pathos, pas de retrouvailles larmoyantes, mais un Lucian amnésique à point nommé, le Lucian qui a laissé son blouson d’aviateur à la petite blessée et qui ne veut pas le reprendre. Il y a au final un lecteur qui referme le livre (ou qui éteint la liseuse) le sourire aux lèvres, un sourire apaisé, plein de gratitude pour un auteur qui sait raconter des histoires comme personne, et qui embellit un peu un monde qui en a bien besoin…

Craig Johnson, Steamboat (Spirit of Steamboat), Gallmeister, 2015. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Sophie Aslanides. Publication originale: 2012. Disponible en numérique.


mercredi 16 décembre 2015

Le cannibale de Crumlin Road de Sam Millar


Présentation
Alors que la chaleur s’abat sur Belfast, Karl Kane est sollicité par une jeune femme dont la sœur a disparu. Plusieurs jeunes filles fragiles, souvent des toxicomanes ou des fugueuses, ont été tuées. Rapidement, Karl Kane en vient à identifier un suspect, intouchable parce que fortuné… Alors que Karl Kane s’obstine, l’enquête prend un tour bien plus personnel.

Ce que j’en pense
Je retrouve ici la même impression de lecture que pour Les chiens de Belfast : une intrigue un poil classique mais un immense plaisir de lecture. Débarrassons-nous d’emblée ce qui ne constitue même pas une vraie réserve : oui, l’intrigue reprend les codes du noir avec un brin de prévisibilité, de la scène de tabassage de notre privé Karl Kane à la scène finale, dont je ne peux vous parler mais qui contient les ingrédients attendus. Et pourtant, quel plaisir !
Retrouver le privé Karl Kane, personnage hardboiled s’il en est, est un vrai bonheur. Deuxième opus oblige, il acquiert un peu plus d’épaisseur, se livre plus à nous, si je puis dire, et j’ai aimé retrouver ce personnage cabossé, désabusé juste ce qu’il faut, jamais cynique.
Il y a aussi Belfast, ville qui se prête si bien au noir, à la fois par son passé (qui ne passe pas tout à fait) et par ses récentes transformations, par sa physionomie aussi, entre bâtiments abandonnés (la bâtisse de Crumlin Road, justement) et docks suitant le noir. Ce n’est pas une ville comme une autre, parce que ce n’est pas un pays comme les autres et cela se marie admirablement aux exigences du genre. Les trajectoires politiques des uns et des autres continuent à marquer les esprits, les personnages restent attachés à leur passé, à leurs engagements, à leurs choix, dans leurs fonctions actuelles et dans leur être : on n’oublie pas si facilement des décennies de lutte et de sang. Le tout s’accompagne de quelques considérations saisissantes sur ce qu’est devenue la ville, à grands renforts d’argent.
Le talent de Sam Millar, c’est aussi de nous tenir en haleine sans nous mettre en tension façon thriller à la noix. Comme je disais, l’intrigue est un brin classique (mais chut !), et pourtant, jusqu’aux dernières pages, je ne pouvais lâcher le roman. Le personnage de Brendan, hanté par ses morts, est un des plus beaux que j’aie croisé ces derniers temps, et il nous offre un final magnifique. Ce final est d’ailleurs emblématique du roman et de ce que j’aime dans le noir : un mélange de tension narrative toute en force, avec une dimension exaltante, et d’émotion déchirante, parce que c’est du noir. C’est beau, sombre, bouleversant.

Sam Millar, Le cannibale de Crumlin Road (The Dark Place), Seuil, 2015. Traduit de l’anglais (Irlande du Nord) par Patrick Raynal. Publication originale : 2010.



samedi 5 décembre 2015

Les rues de Santiago de Boris Quercia


Présentation
Il fait froid, il est six heures du matin et Santiago n'a pas envie de tuer qui que ce soit. Le problème, c'est qu'il est flic. Il est sur le point d'arrêter une bande de délinquants, dangereux mais peu expérimentés, et les délinquants inexpérimentés font toujours n'importe quoi... Après avoir abattu un jeune homme de quinze ans lors d'une arrestation musclée, Santiago Quiñones, erre dans les rues de sa ville, Santiago du Chili, en traînant son dégoût. C'est ainsi qu'il croise le chemin de la belle Ema Marin, une courtière en assurances qui semble savoir beaucoup de choses sur son passé.

Ce que j'en pense
C'est en lisant le billet de Jean-Marc Laherrère sur le deuxième opus des aventures de Santiago Quinones (pardon pour le tilde manquant) que j'ai eu envie de repêcher dans les tréfonds de ma PAL Les Rues de Santiago de Boris Quercia. Bien m'en a pris car j'ai passé un excellent moment et je pense faire l'acquisition de Tant de chiens très vite. 
L'intrigue est assez classique et en même temps c'est une bonne histoire, efficace, jamais ennuyeuse, une histoire de femme, d'argent et de corruption. Quant à Santiago, notre enquêteur, il est typique du roman noir et pourtant déjoue tous les clichés. Il est cet homme de la rue, un dur à cuire qui va toujours au feu quand il faut, mais il est aussi ce type qui ne veut tuer personne, pas aujourd'hui, plus jamais. Je l'aime déjà, je l'ai aimé dès les premières pages. Il se met dans les embrouilles parce qu'il a suivi une jolie femme: cliché? Oui et non. Il y a une page superbe sur l'ambivalence de ce personnage qui sans se l'avouer est amoureux de sa régulière, mais qui refuse d'être fidèle parce que les femmes sont toutes différentes et qu'il a envie de faire l'amour avec elles. Dit comme ça c'est cliché, et nom d'une pipe je m'énerve vite contre les justifications vaseuses des héros masculins du noir d'habitude, mais le tour de force de Boris Quercia est de ne donner à son personnage ni arrogance ni virilité machiste. 
A cela s'ajoute la pulsation de Santiago, la ville cette fois: on en bouscule la faune avec le personnage, on sent l'odeur de la rue, âpre, âcre, et si la ville ressemble à toutes ces grandes mégalopoles du noir, on n'oublie pourtant jamais qu'on est au Chili, parce que les odeurs et les goûts (d'alcool, de mets) sont chiliens et rien d'autre. Comme dans tout roman noir qui se respecte, le personnage sort éprouvé, secoué, de ses péripéties, et nous aussi. 
Bref, c'est du noir d'encre et de sang, c'est beau, déchirant et sans concession. Alors dans ces conditions, constater que Boris Quercia ne renouvelle pas le genre, hein, qu'est-ce qu'on s'en fiche. C'est de la belle ouvrage avec un grand supplément d'âme, et j'en connais qui seraient bien inspirés de manier les codes avec tant de talent (non je ne parlerai pas de ce mauvais polar auquel j'ai déjà fait allusion). 

Boris Quercia, Les rues de Santiago (Santiago Quinones, tira), Asphalte, 2014. Traduit de l'espagnol (Chili) par Baptiste Chardon. Publication originale: 2010. Disponible en Livre de Poche.


mercredi 2 décembre 2015

Amor de Dominique Forma


Présentation (éditeur)
Maximilien est professeur d'économie, Camille est responsable culturelle. Ils ont un petit garçon. Très amoureux l'un de l'autre, ils ont une conception joyeuse et inventive de la sexualité. En vacances sur la Côte d'Azur, ils font la connaissance de Viviane, une jeune fille qui vend de l'artisanat indien sur la plage. Entre eux, c'est le coup de foudre. Maximilien et Camille accueillent Viviane dans leur lit. Elle s'invite dans leur vie...

Ce que j'en pense
Cela faisait un moment que je tournais autour des polars de Dominique Forma, et c'est par Amor que j'ai commencé. C'est un véritable coup de coeur pour moi. N'allez pas penser que je fais un parallèle incongru, mais le sujet aurait pu se prêter à un traitement hyper psychologique et sur le mode thriller, comme dans La fille du train, lu il y a quelques mois. Au lieu de cela, Dominique Forma fait le choix du roman noir et de l'épure, pour mon plus grand bonheur. 
Oui parce qu'il n'y a pas un mot ni un chapitre de trop dans ce roman. Moins de 300 pages, et il n'est pas besoin de plus. La fin semblera abrupte à certains, moi je l'ai trouvée superbe de sobriété. Et de toute façon, après le début fracassant (si typique du noir dans ce qu'il a de meilleur), pourquoi s'étendre? Tout est dit. 
C'est le roman noir que j'aime: une écriture sobre, efficace, mais jamais sèche. Dans la façon d'évoquer ses personnages, en particulier Maximilien, j'ai trouvé des échos de Manchette (celui du Petit Bleu ou du Tireur couché): sans ironie mais sans empathie, le récit évoque cet homme qui court après la reconnaissance, le succès, après quelque chose qu'il ne peut avoir, évidemment. Le parallèle avec Manchette semblera peut-être stupide ou inapproprié, mais tant pis. 
C'est aussi le roman noir que j'aime parce qu'il a une dimension sociale, politique, évidente, dans tout ce que ça a de meilleur. Rien de pesant, rien de didactique, mais un démontage des mécanismes qui agissent les personnages. Ceux qui pensent qu'Amor est une sordide histoire de triolisme réduisent le roman à une petite affaire. Ce qui se joue entre le couple et la jeune femme qui fait irruption dans leur vie et dans leur lit est éminemment politique; se rejoue un rapport de classes que le couple bien né ne saura pas surmonter. S'ils font partie des dominants, ils sont peut-être les plus aliénés, incapables de dépasser leurs préjugés de classe, terrifiés à l'idée de sortir de leur zone de confort. Le lecteur est libre de trouver Viviane dérangée, mais elle est peut-être simplement amoureuse...
C'est enfin le roman noir que j'aime dans la construction: on retrouve ici un procédé fréquent mais toujours efficace et intrigant quand il est bien utilisé - et c'est le cas ici -, un début qui constitue en quelque sorte la dernière scène de l'intrigue, par laquelle nous sommes informés que toute l'histoire que nous allons lire va droit dans le mur et dans la tragédie. Dans Amor nous ne savons pas qui a fait quoi et pourquoi, mais le pire est certain. 
Quant au triolisme, parlons-en, ou plutôt parlons du sexe dans le roman de Dominique Forma. Souvent, le polar explore la sexualité des personnages sur le mode criminogène ou machiste, suscitant de ma part deux types de réactions: "beurk" ou "mais oui bien sûr, mon pauvre ami". Je généralise à outrance et suis injuste, vous vous en doutez... Mais je veux souligner à quel point Dominique Forma écrit bien les scènes de sexe: elles sont à la fois crues, explicites et délicates, je n'ose dire "jolies" parce que ce serait un qualificatif idiot. Mais pour avoir lu récemment un polar consternant dont je ne vous parlerai même pas par charité pour son auteur (et pour vous!) avec une scène de sexe ridicule et bourrée de clichés (on bourre avec ce qu'on peut), je l'affirme avec véhémence: Dominique Forma a un talent fou pour évoquer la sexualité et le plaisir. 
Voilà: dans mes rares lectures de ce terrible novembre, Amor a brillé comme un diamant noir, oui, parfaitement! Maintenant m'attend Hollywood Zéro, mais mon stock de romans étant plus vaste que le Pacifique, je ne sais quand je le lirai. 

Dominique Forma, Amor, Rivages Thriller, 2015.