Présentation (éditeur)
14 février 2008. Steve Kazmierczak, 27 ans, se rend armé à son
université. Entre 15 h 04 et 15 h 07, il tue cinq personnes et en blesse
dix-huit avant de se donner la mort. À 13 ans, David Vann
reçoit en héritage les armes de son père, qui vient de mettre fin à ses jours.
Quel itinéraire a suivi le premier avant de se faire l’auteur de ce massacre ?
Quel parcours le second devra-t-il emprunter pour se libérer de cet héritage ?
L’écrivain retrace ici l’histoire de Kazmierczak, paria solitaire, comme
tant d’autres. Comme lui, par exemple, qui, enfant, se consolait en imaginant
supprimer ses voisins au Magnum.
Dans une mise en regard fascinante, l’auteur
plonge dans la vie d’un tueur pour éclairer son propre passé, illuminant les
coins obscurs de cette Amérique où l’on pallie ses faiblesses une arme à la
main.
Ce que j’en pense
J’avais lu à sa sortie Sukkwan Island, et contrairement à la
plupart des lecteurs et critiques, je n’avais pas été enthousiaste (j’avais
aimé sans être ébahie), tout simplement parce que j’avais vu venir de loin la « révélation ».
Cependant, en lisant le billet d’Electra, j’ai eu envie de faire une nouvelle
tentative avec Dernier jour sur terre.
J’avais donc acheté le livre et l’avais laissé depuis dans mon stock. Du coup,
au moment de l’ouvrir, je ne savais plus s’il s’agissait d’un roman ou non. J’ai
donc glissé avec un certain plaisir dans un récit non-fictionnel, qui relate la
trajectoire
d’un mass-murderer, Steve Kazmierczak, entré dans les annales du
crime en 2008, un 14 février.
Deux choses sont passionnantes. La première est
le parallèle que David Vann fait entre sa propre trajectoire et celle de Steve.
Ils sont à première vue issus de milieux très différents, et pourtant, David
Vann aurait pu basculer. Sa question est : qu’est-ce qui fait que Steve a
commis l’irréparable et s’est finalement suicidé ? Il pointe deux
éléments, qui ne surprendront personne : le mode d’éducation virile aux Etats-Unis,
qui fait que dès l’enfance, les jeunes garçons sont initiés au maniement des
armes à feu, ne serait-ce que pour la chasse. Et surtout, la façon s’appréhender
les désordres psychologiques, par des traitements à zombifier n’importe quel
colosse. Steve Kazmierczak, d’une certaine façon, n’avait pratiquement aucune
chance. Il aurait pu se remettre d’une famille dysfonctionnelle auprès d’une
mère borderline s’il n’avait rapidement eu des troubles psychiques qui l’ont
amené à supporter des traitements violents et à être rejeté par sa famille.
La seconde est que le récit brosse un portrait
du futur tueur qui reste ambigu, parce que la vérité en la matière n’existe
pas, parce que Steve Kazmierczak est complexe, tantôt effrayant, tantôt
touchant. On avance pas à pas vers l’inéluctable, et David Vann parvient à
éviter le pathos, le jugement moralisateur et la complaisance. Ce n’est pas
rien.
Je ressors de ma lecture troublée, dérangée, et
c’est aussi ce que l’on demande à la littérature.
David Vann, Dernier
jour sur terre (Last Day On Earth),
Gallmeister, 2014. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Laura Derajinski. Disponible
en ebook.