mercredi 29 juin 2016

Un sale hiver de Sam Millar


Présentation éditeur
Il neige dru sur Belfast lorsque, tôt le matin, Karl Kane, allant chercher le lait devant sa porte, y trouve aussi une main sectionnée. La deuxième à se matérialiser dans la ville en quelques semaines. Que signifient ces macabres cartes de visite ? Attiré par la récompense substantielle qu’offre un homme d’affaires inquiet pour la réputation de la ville, Kane enquête. Un caïd local, brute impitoyable qui contrôle la drogue et la prostitution, retient son attention. De bars crapoteux, où des clients à la sexualité incertaine n’hésitent pas à sortir leur couteau, en bordels lamentables, Kane aborde une nouvelle descente en enfer. Son humour caustique et son code moral inaltérable ne seront pas de trop pour affronter l’épreuve.

Ce que j’en pense
Mon goût pour la série que Sam Millar consacre au privé Karl Kane se confirme avec Un sale hiver. J’ai aimé retrouver Karl et Naomi, et je pense même avoir préféré cet opus au précédent (que j’avais pourtant beaucoup aimé), sans doute parce que Karl est moins directement impliqué. Le roman démarre sur les chapeaux de roue et le rythme, sans être frénétique (ce qui me déplairait), est intense, on ne voit ni le temps ni les pages défiler. Pas de temps mort, de faux répits, tout cela fait un roman passionnant.
Les citations mises en exergue des chapitres et les titres de ces derniers rappellent constamment que Sam Millar, avec cette série, entend se situer dans la lignée des grands du noir, à la fois en littérature (mention spéciale à Raymond Chandler) et au cinéma. De fait, il y a un petit côté classique dans ce roman noir, pour le plus grand plaisir de l’amateur de hardboiled. Karl Kane est un de ces privés comme on les aime, caustique, désabusé, cabossé et totalement irrésistible. Quant à sa compagne Naomi, elle ne joue pas les utilités, elle botte les fesses de son casse-cou préféré et sort les griffes quand il le faut. Ce n’est pas le moindre des mérites de cette série que de faire une place à la sensualité de ce couple que beaucoup jugeraient mal assorti.
Et puis il y a ce côté noir que j’aime tant : les salauds ne sont pas ceux que l’on croit, les meurtriers sont souvent des êtres ravagés par la douleur ou démolis par des choix de vie contestables. Les vrais salauds portent l’uniforme et/ou arborent le sourire faux des politiciens, dans une Belfast qui ne peut panser ses plaies. Comment ne pas adhérer à une telle vision de la société ?
En tout cas, j’ai refermé Un sale hiver avec un mélange de béatitude et de tristesse : béatitude parce que cette lecture m’a procuré un grand plaisir, tristesse de l’avoir terminé et de devoir attendre le prochain…


Sam Millar, Un sale hiver (Dead of Winter), Seuil, 2016. Traduit de l’anglais (Irlande) par Patrick Raynal. Publication originale : 2012. Disponible en ebook.

lundi 27 juin 2016

Orgasme de Chuck Palahniuk


Présentation éditeur
Penny Harrigan, jeune femme modèle et aspirante avocate, travaille dans un prestigieux cabinet new-yorkais. C’est là, au détour d’un couloir, qu’elle rencontre le magnat des médias, Linus Maxwell, venu régler les détails de son divorce avec la star française Alouette d’Ambrosia. Le soir même, Linus invite Penny à dîner.
Comment s’habiller lorsqu’on sort avec l’homme le plus riche du monde ? Comment se comporter quand son hôte compte parmi ses conquêtes les femmes les plus célèbres et les plus puissantes de la planète ? Et pourquoi un homme comme lui invite-t-il à dîner une fille aussi désespérément normale ? Malgré toutes ces questions, Penny passe une soirée de rêve, et c’est le début d’un véritable conte de fées.
Notre Cendrillon des temps modernes tombe en effet sous le charme de son chevalier servant. Amoureux platonique, celui-ci l’enchante. Aussi, quand elle croise Alouette à Paris et que celle-ci lui conseille de ne surtout jamais faire l’amour avec Maxwell, Penny ne comprend d’abord pas très bien. Mais, très vite, tout s’éclaire. Maxwell voue en effet une véritable obsession au plaisir féminin, une obsession aux conséquences multiples et très étonnantes.

Ce que j’en pense
Il faut d’abord que je le dise : c’était mon premier Palahniuk. J’ai jadis calé sur Fight Club sans me laisser tenter depuis par d’autres titres. Orgasme m’a intriguée par son sujet, j’avais envie d’un roman court, je l’ai donc acheté à sa sortie, mais il a fallu attendre ce mois de juin pour que je me lance. Je suis très partagée. J’ai beaucoup aimé certains aspects du roman, et d’autres m’ont profondément ennuyée.
Ce qui m’a ennuyée ? D’abord le dénouement, que je ne trouve pas assez tranché, ni dans la noirceur ni dans le happy end. Ensuite, sans m’attendre à un roman érotique, j’ai trouvé les scènes de sexe abominables, tant celles qui mettent aux prises l’héroïne avec son faux prince charmant que celles qui relatent son initiation avec Baba… Si je comprends que transformer la naïve (au début) Penny en bout de viande ou plutôt en combinaison d’organes sexuels en proie à des actions purement chimiques et mécaniques, j’attends autre chose des expériences avec Baba. Au final, le sexe semble être une opération plus clinique que mystique, et ne parlons pas de sensualité. Enfin, l’idée que l’entreprise du faux prince charmant et authentique magnat capitaliste sème le chaos à ce point me semble relever du Grand-Guignol…
Ce que j’ai aimé ? Dans une certaine mesure, l’analyse idéologique de l’exploitation capitaliste de la sexualité, ici du côté des femmes. Le sexe devient un levier pour aliéner des consommatrices, et si le propos manque parfois de subtilité, il reste intéressant et assez puissant. Chuck Palahniuk pousse (un peu loin) le postulat selon lequel le système marchand exploite nos pulsions sexuelles en les convertissant en pulsions d’achat, le tout en sexualisant chaque acte de consommation via la publicité et le discours médiatique. Et puis l’autre aspect que j’ai vraiment aimé, c’est, dans la première moitié du roman, la parodie de ces romans pseudo-érotiques qui s’adressent aux femmes et leur vendent du rêve à peu de frais : le début d’Orgasme fait sérieusement penser au début de Fifty Shades of Grey, de la rencontre entre la jeune nunuche débarquée de sa province et le séduisant milliardaire à l’initiation sexuelle un peu particulière, en passant par la chute de l’héroïne aux pieds du mâle. Pour qui a lu le best-seller du mummy porn (le premier volume seulement en ce qui me concerne), c’est assez jubilatoire.
Est-ce que cela suffit à me rendre enthousiaste ? Non. Mais je ne saurais dire si le roman m’a plu ou déçue et c’est assez déconcertant. Je verrai s’il m’en reste quelque chose dans quelques mois.


Chuck Palahniuk, Orgasme (Beautiful You), Sonatine, 2016. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Clément Baude. Publication originale : 2014. Disponible en ebook SANS DRM.

samedi 25 juin 2016

Une histoire naturelle des dragons de Marie Brennan


Présentation éditeur
« Soyez avertis, cher lecteur : les volumes de cette série contiendront des montagnes gelées, des marais fétides, des étrangers hostiles, des compatriotes hostiles et à l'occasion des membres de ma famille hostiles, de mauvaises décisions, des mésaventures géographiques, des maladies dépourvues d'attrait romantique et une abondance de boue. Vous poursuivrez votre lecture à vos risques et périls. »
Les mémoires de lady Trent, mises en scène par Marie Brennan, racontent la vie et les recherches d'Isabelle Trent, naturaliste mondialement connue et désormais vieille dame, dont l'esprit et le style empreints d'humour s'avèrent sans pitié pour les imbéciles.
Dans ce premier volume, Isabelle, petite fille puis jeune femme, brave les conventions de sa classe et de son temps pour satisfaire sa curiosité scientifique et accompagner son mari lors d'une expédition à la recherche des dragons de Vystranie...
Un livre de facture raffinée, qui s'adresse aux amateurs d'époque victorienne, de fantasy, et n'est pas sans rappeler le travail baigné de naturalisme et d'imaginaire de Pierre Dubois dans La grande encyclopédie des fées.

Ce que j’en pense
Après plusieurs lectures obligatoires, liées au travail, dont je ne parlerai pas ici, j’ai eu envie de m’immerger dans un univers romanesque à l’imaginaire débridé, susceptible de m’embarquer rapidement. C’est en voyant le palmarès du festival Les Imaginales que j’ai opté pour le lauréat du Prix du roman traduit, Une histoire naturelle des dragons de Marie Brennan. C’est un type de fantasy que j’aime, qui prend place dans une époque qui pourrait être victorienne, dans un pays imaginaire, et qui nous offre une héroïne qui déroge en partie aux normes sociales et sexuées de sa société. Isabelle est une érudite, passionnée dès son plus jeune âge par les dragons, secrètement encouragée dans sa soif de connaissances par son père. Je ne me suis pas ennuyée une seconde dans ce premier volume (la série en comptera cinq et trois sont actuellement parus aux Etats-Unis), j’ai d’emblée aimé les personnages et le rythme du récit.
Par certains aspects, le roman m’a rappelé Le Protectorat de l’ombrelle, mais le ton est tout de même différent : Marie Brennan ne cultive pas le ton farfelu et la drôlerie que l’on trouve chez Gail Carriger, sans toutefois rendre son récit trop sérieux. Il y a en tout cas une belle galerie de personnages tout au long de ce premier volume, des surprises de taille, de l’humour, de la gravité, et de superbes dragons qui attaquent, pour une raison inconnue, les hommes…
J’ai pris grand plaisir à lire ce roman qui mêle fantasy et roman d’aventures, et j’attends avec impatience le deuxième !


Marie Brennan, Une histoire naturelle des dragons (A Natural History of Dragons), Mémoires par Lady Trent, L’Atalante, 2016. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Sylvie Denis. Publication originale : 2013-2014. Disponible en ebook.