vendredi 31 mai 2013

Mai me désespère... (Bilan mai)


Et voilà, mai se termine, déjà. Je n’épiloguerai pas sur la météo, je pourrais dire que cela donne envie de se pelotonner au chaud avec un bouquin mais en fait non… De fait, j’ai rarement aussi peu lu.
Pourtant, j’ai eu quelques beaux moments de lecture : c’est sans aucun doute Ma part d’ombre de James Ellroy qui se détache. Bouleversant, passionnant, très puissant, ce récit m’a secouée. 

Mais il y a aussi une belle découverte, Filles de Frederick Busch, dont je parlerai très bientôt, et un moment de pur bonheur avec le nouveau Joe Lansdale, Diable rouge, qui m’a permis de retrouver deux personnages déjantés que j’adore (billet à venir).







C’est ce que je retiendrai de ce mois pendant lequel je n’ai lu que cinq romans, ce qui est vraiment très peu… Vous l’avez peut-être constaté, je poste un peu moins, de même que je suis moins présente sur vos blogs (via les commentaires) : je lis pourtant vos billets avec intérêt, mais le manque de temps et d’énergie, les divers soucis font que je suis peu active en la matière. Promis, je serai de retour pour de bon bientôt, du moins je l’espère !


mercredi 29 mai 2013

L'homme aux lèvres de saphir d'Hervé Le Corre


Présentation (éditeur)
Paris, 1870. Une série de meurtres sauvages semble obéir à une logique implacable et mystérieuse qui stupéfie la police, fort dépourvue face à ces crimes d'un genre nouveau. Le meurtrier, lui, se veut " artiste " : il fait de la poésie concrète, il rend hommage à celui qu'il considère comme le plus grand écrivain du XIXe siècle, Isidore Ducasse, comte de Lautréamont, dont il prétend promouvoir le génie méconnu. Dans le labyrinthe d'une ville grouillante de vie et de misère, entre l'espoir de lendemains meilleurs et la violence d'un régime à bout de souffle, un ouvrier révolutionnaire, un inspecteur de la sûreté, et deux femmes que la vie n'a pas épargnées vont croiser la trajectoire démente de l'assassin. Nul ne sortira indemne de cette redoutable rencontre.

Mon avis
Difficile d’avoir un avis tranché pour moi. Je perçois les qualités de ce roman et par bien des aspects il m’a plu. Je vais donc commencer par ce qui m’a laissée sur le bord de la route. Une fois de plus, c’est le rythme. Je ne doute pas que ce soit en large part subjectif puisque c’est un problème récurrent pour moi ces derniers temps. J’ai trouvé que par moments, le récit prenait un peu trop son temps. Par conséquent, ne le cachons pas, j’ai eu un peu de mal à aller jusqu’au bout.
Ceci mis à part, je reconnais l’intérêt de ce roman. Il illustre une tendance qui me semble assez récente dans le roman noir : une dimension historique qui se passe de tout ancrage dans le présent mais qui reste loin des codes du récit d’énigme historique. Le fait est que Hervé Le Corre reconstitue avec brio le Paris de l’époque, qu’il s’agisse d’un Paris ouvrier qui mène tout droit à la Commune, d’un Paris plus bohême ou des méandres de la police et de la justice, à la solde des possédants, obsédés par le péril ouvrier. Les personnages incarnent leur époque avec une force incroyable, et l’auteur s’y entend pour restituer des atmosphères en distillant un propos typique du noir : la grande peur de cette société bourgeoise est incarnée par l’ouvrier, révolté en puissance, contestataire à mater absolument. La scène d’ouverture est à ce titre éloquente : Etienne tombe sur un cadavre et donne l’alerte, mais c’est lui qui se trouve malmené, quasiment suspecté. Evidemment, j’ai également été sensible à la peinture qui est faite de la condition féminine : les personnages de femmes sont forts et touchants, ce n’est pas si souvent qu’on trouve une telle évocation de la prostitution.
Enfin, j’ai aimé le côté feuilleton, ou plutôt roman populaire de L’homme aux lèvres de saphir, les allusions et références à une époque envahie par les récits de crime, par les faits divers notamment – l’affaire Troppmann.
Reste que quelque chose (le rythme, donc) m’a empêchée d’être complètement emportée. Il faut dire que j’avais lu, à sa sortie, Les cœurs déchiquetés, du même Hervé Le Corre, qui m’avait bouleversée et qui est pour moi un très grand roman noir. Pour moi (et ce n’est que mon avis), L’homme aux lèvres de saphir reste en dessous.

Pour qui ?
Pour les amateurs de roman noir historique.

Le mot de la fin

A lire.

Hervé Le Corre, L'homme aux lèvres de saphir, Rivages/Noir, 2004.

mardi 21 mai 2013

Fantômas (5 ép.) de Louis Feuillade



Présentation
En cinq épisodes tournés en 1913 et 1914, les aventures du terrible criminel Fantômas, portées à l’écran par Louis Feuillade, dans un serial muet interrompu par la guerre. L'inspecteur Juve comprend bien vite à quel génie du crime il a affaire, mais jamais il ne renonce, aidé par le jeune Fandor, journaliste intrépide.

Mon avis
Je n’avais jamais vu ce serial des années 1910, qui s’est emparé « à chaud » d’un grand succès de la littérature populaire, et j’appréhendais quelque peu l’expérience, me disant que cela faisait bien longtemps que je n’avais pas regardé de films muets. Je craignais de m’ennuyer, les rythmes de nos fictions cinématographiques ayant bien changé ; je craignais aussi de trouver le jeu des acteurs désuet jusqu’au ridicule. Je me suis lancée…
Et j’ai été soufflée !
Je ne saurais juger de la fidélité aux récits de Pierre Souvestre et Marcel Allain (j’y viens, j’y viens), mais j’ai tout de suite été emportée par l’atmopshère. On est très loin de l’image donnée par les films de Hunnebelle dans les années 1960 : par exemple, l’inspecteur Juve n’est pas l’abruti hystérique proposé par Louis de Funès, mais un type acharné et malin, qui comprend bien avant tout le monde quel criminel abominable est Fantômas. Fandor est un peu plus falot, même s’il prend de l’importance au fil des épisodes : il a un petit côté Tintin avant l’heure. Et que dire de Fantômas, incarné par René Navarre ? Regard magnétique, ruses diaboliques, c’est un vrai génie du mal comme on aime, et on ne s’embarrasse pas ici de donner quelque explication que ce soit. Fantômas est cupide, certes, mais il a aussi une vraie jubilation à faire le mal pour rien, gratuitement, il n’a aucune morale, aucune pitié, il piège ses acolytes avec la même absence de scrupules que lorsqu’il s’en prend aux nantis.
Le jeu des acteurs a beau être emblématique du muet, il n’a rien de la pantomime qu’on pouvait voir alors sur les écrans. Le jeu de Navarre est même assez moderne. Non seulement je ne me suis pas ennuyée, mais ce qui peut nous apparaître désuet m’a fait sourire, et j’ai même trouvé que ces cinq films avaient un sacré rythme. Pour tout vous dire, j’ai dévoré l’ensemble en un week-end, c’était addictif !
Enfin, faut-il que j’enfonce des portes ouvertes ? Louis Feuillade a contribué à inventer le langage cinématographique. J’ai été frappée par les nombreuses scènes en extérieur, qui s’échappent des décors un peu théâtraux du muet. Les scènes dans la nature sont réussies, mais j’avoue avoir été touchée par les scènes de rue dans la capitale : voir le Paris d’avant la Grande Guerre, d’avant la grande boucherie, est bouleversant. Même les scènes en intérieurs sont intéressantes : Feuillade réussit souvent à donner du mouvement – alors que les plans sont bien sûr fixes.
Maintenant, je n’ai qu’une envie, voir Les vampires, avec la somptueuse Musidora. Et je ne serais pas contre la lecture de quelques Fantômas. Et ça tombe bien, parce que sort bientôt dans la collection Bouquins (Robert Laffont) une nouvelle édition des récits de Pierre Souvestre et Marcel Allain : il était temps !


Pour qui ?
Pour tous ceux qui sont prêts à voir une page de l’histoire du cinéma ou qui ont pour seule image de Fantômas un type à la tête bleue...

Le mot de la fin
Historique.

Louis Feuillade, Fantômas, Juve contre Fantômas, Le mort qui tue, Fantômas contre Fantômas, Le Faux magistrat, Gaumont, 1913-1914. Disponible en coffret, Studios Gaumont, 2008. 

samedi 18 mai 2013

Ma part d'ombre de James Ellroy



Présentation
Le 22 juin 1958, Geneva Hilliker, alias Jean Ellroy, est assassinée, laissant un orphelin de 10 ans et beaucoup de questions. Ma part d’ombre fait le récit d’une double enquête (celle de l’époque, celle de l’auteur adulte et d’un policier de la brigade criminelle de Los Angeles), mais aussi d’une trajectoire de perdition dans une Amérique violente.

Mon avis
Je connais peu l’œuvre d’Ellroy, même si j’ai lu plusieurs fois Le Dahlia noir, que je trouve superbe. C’est un peu par hasard que j’ai acheté Ma part d’ombre il y a quelques mois. Dès les premières pages, ce récit m’a happée pour ne plus me lâcher, j’interrompais ma lecture à regrets, impatiente d’y retourner, et ne cessant guère d’y penser entre deux moments de lecture.
On connaît l’histoire tragique de ce romancier et surtout de sa mère, assassinée en 1958. Ma part d’ombre est à la fois un hommage rendu à cette femme et le récit d’une lente chute suivie d’une progressive rédemption, d’une réconciliation de James Ellroy avec sa mère, avec lui-même. Le récit est structuré en diverses parties : dans la première, il évoque le meurtre et l’enquête qui l’a suivi, à la troisième personne, avec une distance saisissante. Les faits, les hypothèses, les impasses de l’enquête : voilà tout. Puis une longue partie à la première personne évoque la plongée en enfer de l’auteur, de son enfance à l’âge adulte. James Ellroy est hanté par sa mère, par Elizabeth Short (le Dahlia noir), il se construit en tant qu’adulte sur des visions de cauchemar, sur des fantasmes de violence et de mort, dans la haine – ambiguë – de sa mère. Il se construit, ou plutôt il se détruit avec méthode. De cette trajectoire terrible naît un écrivain. Puis on passe à une époque bien ultérieure et au policier, Stoner, avec lequel James Ellroy va reprendre l’enquête, qui n’aboutira pas non plus mais qui éclairera quelque peu la vie de sa mère, qui lui permettra surtout d’affronter ses fantômes, de réécrire sa propre histoire familiale.
Le récit est d’une puissance folle. Jamais un brin de pathos : Ellroy a une écriture clinique, distanciée, presque comportementaliste par moments. Il parle de lui – que ce soit à la première personne ou à la troisième personne – sans complaisance, avec lucidité, sans se faire de cadeau. On sait que le personnage joue publiquement de ses zones d’ombre, il passe volontiers pour un excité facho : à lire La part d’ombre, on voit bien comment il en arrive à cette posture. La force de son écriture fait que, sans qu’il y ait la moindre volonté de jouer la carte du sentiment, on est bouleversé par Geneva Hilliker, alias Jean Ellroy. De la pochtronne en quête d’aventures d’un soir du début, on passe peu à peu à une femme secrète et désireuse d’échapper à quelque chose ou à quelqu’un, et elle apparaît au fil du récit dans toute sa beauté, dans toute sa complexité.
Mais au-delà, ce qui m’a immédiatement saisie, c’est le propos très fort, qui s’affirme dès les premières pages, sur une société américaine bouffie de violence, en particulier envers les femmes. James Ellroy le signale plus loin dans son récit : il ne faut pas céder à la tentation, tout aussi suspecte, de faire de toutes les femmes des victimes. Cependant, dans le Los Angeles qu’il dépeint, les femmes paient un lourd tribut, elles subissent la volonté de puissance, les pulsions violentes de ces hommes. Aucun propos démonstratif, didactique : la brutalité des faits, plutôt, l’interminable énumération des crimes, des meurtres.
Au final, Ma part d’ombre m’est apparu à la fois comme un chant élevé à la mémoire d’une femme disparue et comme une leçon d’écriture. J’en ressors bouleversée, un peu sonnée, je sens bien que je n’ai pas fini de penser à Jean Ellroy.

Pour qui ?
Pour tous ceux qui ont envie de découvrir Ellroy.

Le mot de la fin
Un chant funèbre.

James Ellroy, Ma part d'ombre (My Dark Places), Rivages/Thriller, 1997. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Freddy Michalski. Disponible en Rivages/Noir.