Présentation éditeur
Engagée avec ferveur dans la lutte antibraconnage, la ranger Solanah Betwase a la triste habitude de côtoyer des cadavres et des corps d'animaux mutilés.
Aussi, lorsqu'un jeune homme est retrouvé mort en plein cœur de Wild Bunch, une réserve animalière à la frontière namibienne, elle sait que son enquête va lui donner du fil à retordre. D'autant que John Latham, le propriétaire de la réserve, se révèle vite être un personnage complexe. Ami ou ennemi ?
Solanah va devoir frayer avec ses doutes et une très mauvaise nouvelle : le Scorpion, le pire braconnier du continent, est de retour sur son territoire...
Ce que j'en pense
Il y a dans ce nouveau roman noir de Caryl Férey tout ce qui fait la force du genre : une intrigue impeccablement construite qui captive le lecteur, un regard plein d'humanité et d'empathie, une vision politique et sociale. Alors embarquez!
Jamais Caryl Férey n'est lourdement didactique. C'est un des tours de force du roman : il nous apprend énormément de choses, sur la Namibie et les pays alentour, sur les animaux, sur la colonisation, sur les populations diverses qui peuplent tous ces territoires, sur la mondialisation, sur la logique de marché qui entretient le trafic, sur la société namibienne. Et là vous vous dites : bigre! ça en fait des choses, ça doit être indigeste. Eh bien pas du tout, pas une page de trop, pas un paragraphe lourdingue. Caryl Férey est un romancier aguerri, et si l'on mesure le travail qu'il faut pour arriver à une telle fluidité, on se doit de saluer son savoir-faire. Que les éléments de compréhension passent par le récit même ou les dialogues, ils surviennent en tout cas "naturellement".
Il y a plus : Okavango montre que tout cela est lié. Le colonialisme a non seulement laissé des traces, mais il revêt de nouveaux visages, donnant lieu à de nouvelles guerres. Poids de l'Histoire et rapports de domination très actuels se conjuguent, cruellement, tragiquement. Tout est affaire de domination d'ailleurs: des peuples européens sur les peuples africains, des puissances économiques d'aujourd'hui sur les populations locales, des hommes sur les femmes, des êtres humains sur les animaux. Volonté de puissance, de profit : la plaie sempiternelle.
Face à cela, des figures fortes : Solanah, la ranger magnifique du roman, une femme droite dans ses godasses, qui a fait des choix peu conventionnels dans son pays. Vibrante de colère, troublée par ses propres désirs, loyale : elle incarne un contre-pouvoir salutaire à la saloperie. Priti est une jeune femme libre, solaire, qui a la fougue de la jeunesse. J'ai un faible pour ce personnage, sa vivacité, sa rapidité, son humour. Les femmes ne sont pas bien traitées par les hommes sûrs de leur bon droit. Et Caryl Férey est - toujours - du côté des femmes, sans mièvrerie ni paternalisme.
Il y a Seth, aux côtés de ces deux femmes, que vous allez adorer aussi. Et puis il y a John, ambigu, nimbé de mystère, un personnage follement romanesque, dont la rédemption ne peut qu'aller de pair avec la tragédie. Il y a N/Koï, qui nous donne des clés de compréhension sur son peuple. Il est l'ami fidèle de John, présent quoi qu'il arrive. Je ne vous donne là qu'un aperçu de la galerie des personnages. Tous animent ce récit de bout en bout, tous portent quelque chose de la société dépeinte, de sa folie, de sa démesure, de ses espoirs aussi. Les 500 pages et quelques se dévorent, parce que Caryl Férey s'y entend pour construire un solide récit, pour insuffler du souffle à l'intrigue. On vibre, on a peur (pour les personnages), on rit, on est bousculé, on est bouleversé.
Et puis il y a les animaux, personnages majeurs de ce roman. Il y a des scènes bouleversantes d'amour, ou de cruauté, d'ailleurs. Caryl Férey brosse des portraits saisissants et nous offre des passages d'une beauté infinie, d'une grâce... Il y a ces moments où les animaux paient le prix de la cupidité humaine, ou de leur pure cruauté. La scène fondatrice de la "conversion" de John est terrible, traitée comme une scène de guerre, massacre d'une violence inouïe et insoutenable.
Ce roman n'est pas rassurant, il faudrait être fou pour se sentir rassuré devant l'ampleur du désastre, mais Caryl Férey parvient à insuffler de l'espoir, à rendre justice à la beauté, que ce soit la beauté d'un homme ou d'une femme, la beauté d'un animal, et il croit à la tendresse, envers et contre tout, celle qui donne de l'épaisseur à ce que nous vivons, celle qui donne des moments d'empathie, de communion, de communication tout simplement, entre les êtres vivants (merde aux spécistes). C'est pourquoi on referme le roman bouleversé, mais pas dévasté. Au coeur des ténèbres, il y a malgré tout de l'amour.
Caryl Férey, Okavango, Gallimard, Série Noire, 2023.