jeudi 24 novembre 2016

Amanda Knox de Rod Blackhurst et Brian McGinn


J’aime les documentaires, et j’aime les récits de crime. Après avoir été sidérée par Making a Murderer, j’ai regardé Amanda Knox. Comme tout le monde, je connaissais les grandes lignes de cette affaire, sans plus. Je l’abordais sans a priori. Le projet n’a évidemment pas la même portée que Making a Murderer, qui dressait à la fois le portrait d’une Amérique des marges et d’une justice détraquée. Il n’est pas question de cela ici, et nous savons peu de choses, au bout du compte, sur la victime ou les suspects, juste ce qu’il faut pour saisir les faits. Mais voilà encore une affaire qui trouble par ses dérives médiatiques et judiciaires. Je lis çà et là que le doute subsiste sur la culpabilité des deux jeunes amoureux. Mouais, admettons. Moi je ne vois pas grand chose, dans ce qui nous est ici présenté, qui les incrimine. En revanche, je vois une scène de crime souillée constamment par des services manquant de professionnalisme ; ce ne serait pas très grave sans la personnalité du magistrat, qui m’afflige au-delà du possible. Ce type n’est pas malhonnête, mais il se sent investi d’une mission morale (imprégnée de catholicisme), et tout le dérange dans la personnalité d’Amanda. Elle ne se comporte pas comme le doit selon ses standards une jeune femme de 20 ans, elle est trop libérée, elle n’entre pas dans les cadres. Et la fierté de ce type à être reconnu dans les rues de Pérouse après l’arrestation me dégoûte profondément, je ne vous le cache pas. Ce que montre le documentaire, c’est une instruction menée à charge, avec une interprétation orientée de toutes les preuves. J’ignore si Amanda Knox est innocente, mais il me semble que c’est ainsi qu’on fabrique les erreurs judiciaires.
Et puis il y a le journaliste. Il dit devoir sa vocation à l’affaire du Watergate, il se cache derrière le secret des sources, évoque le fait de relayer les infos qu’on lui donne sans avoir le temps de vérifier (vous n’y pensez pas)… Oui, moi je vois un type qui écrit des articles aux titres raccoleurs, qui balance des informations sur l’intimité des suspects sans respect (et sans se soucier de la vérité), je vois un type qui s’abrite derrière de grands modèles alors qu’il écrit de la merde et contribue à faire d’un fait divers un divertissement à rebondissement, je vois un type qui ne se soucie pas des dégâts qu’il fait, en toute impunité.
Je ne perds pas de vue que le documentaire est lui aussi une vision orientée, peu ou prou. Mais ce que j’évoque ici, ce qui m’a dérangée, n’est lié qu’aux propos des intéressés. A croire que les gens ne s’entendent pas.

Rod Blackhurst et Brian McGinn, Amanda Knox, USA, 2016, 90 mn. Sur Netflix.


jeudi 17 novembre 2016

Maggy Garrisson de Oiry et Trondheim




Présentation éditeur (tome 1)
Même dans l'agence miteuse d'un détective alcoolique, un boulot, ça reste un boulot. Et depuis le temps qu'elle en cherche un, Maggy Garrisson veut bien faire quelques concessions. D'autant qu'il y a toujours moyen de se faire quelques billets, quand on est prêt à aider son prochain et qu'on sait faire preuve d'un minimum de présence d'esprit. Ce qui semble d'ailleurs sacrément manquer à Anthony Wight, son patron, qui s'est fait passer à tabac cinq jours après qu'elle eut commencé à travailler pour lui et qui ne reprend connaissance que pour lui demander de lui apporter son vieux portefeuille à l'hôpital.

Menue monnaie, facturette, reçu de parking, coupons pour une salle d'arcade... Pas de quoi faire le déplacement, et pourtant, quand Maggy constate qu'elle est suivie dans la rue, elle flaire le coup fourré. Car sous leur aspect anodin, les coupons semblent susciter une vraie convoitise.

Ce que j’en pense
Dès le premier tome, les mésaventures de Maggy Garrisson m’ont séduite. Il y a là tous les ingrédients du polar, et de ce point de vue, Trondheim remplit le cahier des charges avec talent. On pourrait se dire, oui bon, rien d’original : un détective un peu porté sur la boisson, les habituelles affaires un peu minables, ou en tout cas sans gloire, les coups fourrés, la corruption du flic, et j’en passe. Oui mais Trondheim bouge un peu les lignes : pas d’anti-héros, mais une anti-héroïne, tout à la fois un peu fleur bleue et rentre-dedans, pas un flic corrompue mais une nana en uniforme bien pourrie. Et ça n’a l’air de rien, mais ça change bien les choses. Par ailleurs, on ne s’ennuie pas, les trois tomes se dévorent (j’ai relu les deux premiers pour aborder le troisième). Le trait de Oiry colle parfaitement au genre : décors urbains, ambiances nocturnes, ciels blafards et pluie glacée, tout y est. Il saisit aussi d’une case la solitude du personnage de Maggy, et les ambiances d’un Londres qui n’est pas celui des paillettes, des touristes ou des affaires. Non, c’est un Londres plus populaire, moins trépidant que le dessin de Oiry nous donne à voir, et ça colle parfaitement aux ambiances glauques de ces trois volumes.
Maggy Garrisson est une héroïne comme je les aime, elle n’est pas là pour minauder, être « jolie »… J’ai bien aimé passer trois tomes en sa compagnie, ça c’est certain.


Stéphane Oiry (dessin) et Lewis Trondheim (scénario), Maggy Garrison, 3 t., Dupuis, 2014-2016.

vendredi 11 novembre 2016

Le dernier Lapon d'Olivier Truc


Présentation éditeur
L’hiver est froid et dur en Laponie. À Kautokeino, un grand village sami au milieu de la toundra, au centre culturel, on se prépare à montrer un tambour de chaman que vient de donner un scientifique français, compagnon de Paul-Emile Victor. C’est un événement dans le village. Dans la nuit le tambour est volé. On soupçonne les fondamentalistes protestants laestadiens : ils ont dans le passé détruit de nombreux tambours pour combattre le paganisme. Puis on pense que ce sont les indépendantistes sami qui ont fait le coup pour faire parler d’eux.
La mort d’un éleveur de rennes n’arrange rien à l’affaire. Deux enquêteurs de la police des rennes, Klemet Nango le Lapon et son équipière Nina Nansen, fraîche émoulue de l’école de police, sont persuadés que les deux affaires sont liées. Mais à Kautokeino on n’aime pas remuer les vieilles histoires et ils sont renvoyés à leurs courses sur leurs scooters des neiges à travers l’immensité glacée de la Laponie, et à la pacification des éternelles querelles entre éleveurs de rennes dont les troupeaux se mélangent. Au cours de l’enquête sur le meurtre Nina est fascinée par la beauté sauvage d’Aslak, qui vit comme ses ancêtres et connaît parfaitement ce monde sauvage et blanc.


Ce que j’en pense
Le dernier Lapon était dans ma PAL depuis sa sortie, et je ne sais pas du tout pourquoi j’ai tant attendu pour le lire. C’est alors qu’il faisait terriblement chaud, à la fin de l’été, que je me suis lancée : envie de neige, envie de dépaysement, allez savoir. Si vous aimez les polars qui vont à mille à l’heure et qui vous étourdissent à chaque page, passez votre chemin. Le dernier Lapon parvient à concilier le suspense et une forme de lenteur.
J’ai adoré les personnages. Je n’avais aucune connaissance de l’existence d’une police des rennes, j’ai apprécié le duo d’enquêteurs atypique, du moins par rapport à ce que nous voyons dans le polar. J’ai déjà hâte de retrouver Klemet et Nina, si complémentaires dans leurs façons d’être et de travailler. Mais chaque personnage, de premier plan ou non, est dessiné avec soin, et ce n’est pas la moindre qualité du roman. Je repense à certains d’entre eux plusieurs mois après, ce qui n’est pas si fréquent (Berit par exemple, Aslak et son épouse).
L’intrigue est complexe à souhait, et tient le lecteur en haleine jusqu’au bout. Comme je l’ai dit, on n’est pas ici dans un rythme de thriller (et tant mieux), mais l’intrigue est passionnante. Simplement, Olivier Truc n’assène rien, il prend le temps de poser les personnages, les actes.
Par ailleurs, j’ai appris des tas de choses sur un peuple que je ne connaissais que de nom. Soyez sans crainte, Olivier Truc n’assomme pas son lecteur avec des pages didactiques. Non, il nous montre le peuple sami au quotidien, leurs actes, leur vie, leur manière d’appréhender la société contemporaine sont plus éloquents que n’importe quelle explication longuette. Le dernier Lapon est à mes yeux un pur roman noir, et pas un polar : la dimension sociale et critique y est cruciale. Il est question de ce qu’une société européenne (a) fait subir à un peuple, de ce qu’elle lui a pris, imposé, de ce qu’elle renie en lui et lui dénie. C’est aussi en cela que le personnage de Klemet est intéressant, déchiré et magnifique.
Oui, c’est certain, je vais poursuivre le chemin avec Klemet et Nina un de ces jours. Le volume suivant, Le détroit du loup, et La montagne rouge, qui vient de paraître, ont déjà rejoint la PAL qui, croyez-moi, n’est pas près de baisser…

Olivier Truc, Le dernier Lapon, Métailié, 2012. Disponible en Points Policier. Disponible en ebook.