mercredi 27 avril 2016

Le restaurant de l'amour retrouvé de OGAWA Ito


Présentation (éditeur)
Une jeune femme de vingt-cinq ans perd la voix à la suite d’un chagrin d’amour, revient malgré elle chez sa mère, figure fantasque vivant avec un cochon apprivoisé, et découvre ses dons insoupçonnés dans l’art de rendre les gens heureux en cuisinant pour eux des plats médités et préparés comme une prière. Rinco cueille des grenades juchée sur un arbre, visite un champ de navets enfouis sous la neige, et invente pour ses convives des plats uniques qui se préparent et se dégustent dans la lenteur en réveillant leurs émotions enfouies.

Ce que j’en pense
Mon avis est finalement assez mitigé sur ce roman. Je vais commencer par ce que je n’ai pas aimé : le récit de la relation avec la mère. Ou plutôt, son évolution très convenue. Je comprends la nécessité narrative de la réconciliation, mais ses modalités m’ennuient. Je ne peux en dire plus sans spoiler, mais disons que les révélations en cascade sont pour moi, abracadabrantes pour certaines, d’une banalité romanesque affligeante pour d’autres…
En revanche, j’ai trouvé chouette l’évocation du rapport à la nature qu’entretient cette jeune femme, à travers sa cuisine. Elle retrouve en retournant sur les lieux de son enfance une relation viscérale au monde végétal (plus particulièrement), et sa façon de cuisiner est également d’une grande force pour le lecteur. Et puis les personnages qui l’entourent sont dépeints avec une grande humanité, c’est très beau.
Est-ce que cela sera assez pour que je prête attention à d’autres titres de cet auteur ? Non, malheureusement…

Ito Ogawa, Le restaurant de l’amour retrouvé (Shokudô katatsumuri), Philippe Picquier, 2013. Traduit du japonais par Myriam Dartois-Ako. Publication originale : 2008.





samedi 23 avril 2016

The Whites de Richard Price


Présentation (éditeur)
Milieu des années quatre-vingt-dix. Le jeune Billy Graves est flic au sein d'une brigade anticriminalité de l'un des pires districts du Bronx. Il fait partie d'un groupe de policiers prometteurs, les Wild Geese, et une carrière brillante lui semble assurée. Jusqu'au jour où il tire accidentellement sur un gamin. L'affaire, fortement médiatisée, lui vaut d'être mis au placard quelque temps.
Aujourd'hui, Billy est devenu chef d'une équipe de nuit du NYPD. Son quotidien : sillonner les rues de New York, de Wall Street à Harlem, pour en assurer la sécurité, même s'il sait que certains criminels passeront toujours au travers des mailles du filet. Ces derniers, il les surnomme les « whites », ceux qui s'en sortent blancs comme neige. Chaque policier en a un qui l'obsède.
Puis vient un appel qui change tout : un meurtre a eu lieu à Penn Station. Et la victime n'est autre que le white d'un de ses anciens coéquipiers. Lorsqu'un autre white est assassiné, Billy commence à s'interroger : quelqu'un serait-il en train de régler ses comptes ? Et qui est cet homme qui, soudainement, paraît s'intéresser à sa femme et à ses enfants, au point de les suivre en filature ?

Ce que j’en pense
J’avais tenté il y a des années de lire un roman de Richard Price, et j’avais calé… et j’ai bien cru qu’il en serait de même avec The Whites. Oui, je ne sais pourquoi, j’ai eu un peu de mal à entrer dans ce roman, et si je le précise, c’est parce que je suis contente d’avoir patienté, ayant en tête les avis très élogieux que j’avais lus et qui émanaient de lecteurs en qui j’ai toute confiance. Oui, je suis contente parce qu’au bout d’une centaine de pages, j’ai été emportée et je n’avais plus la moindre envie de lâcher le livre. Dès les premières pages j’avais été soufflée par l’écriture : je ne peux juger de la qualité de la traduction, mais j’ai aimé le côté sec, brut de la narration, et le caractère percutant des dialogues qui sonnent toujours juste. Il m’a fallu plus de temps pour entrer dans l’intrigue, parce que je ne comprenais pas très bien ce qui liait les personnages de flics, je ne comprenais pas davantage qui était ce Milton Ramos… Mais quand les fils commencent à se nouer, toute l’ampleur du roman se dévoile. J’ai été secouée par ce portrait de groupe, même si le roman se focalise sur Billy Graves et Milton Ramos. Ce qui lie les uns, isole l’autre, c’est somme toute le même sentiment d’être victime et bourreau, tour à tour ou en même temps. The Whites, ce sont ces meurtriers dont la culpabilité ne fait aucun doute mais qui s’en tirent, commençant par là même à hanter ceux qui n’ont rien pu faire pour les mettre hors circuit : nos flics ont leurs whites, tous, y compris Milton Ramos… Entrelacés à ce questionnement sur la culpabilité, l’injustice, des portraits et des scènes du quotidien ordinaire de Billy, flic de nuit dans la grande Cité ; autant d’instantanés de la misère – économique, sociale – et de l’impuissance face à ces vies souvent broyées. J’ai parfois pensé à Shannon Burke (911), à Scorsese (avec qui Price a travaillé) pour cette manière d’évoquer la faune qui peuple cette ville. La construction du roman est magistrale, l’effet de crescendo extraordinaire ; Milton Ramos pourrait échapper à la tragédie, quand il pense qu’une autre vie est possible, mais comme dans toute bonne tragédie, le personnage est coupable d’hubris, et tout se referme alors. Tout est prêt pour un dénouement qui m’a stupéfiée : je ne peux en dire plus mais cette scène dans la maison de Billy, avec Carlos, comme étranger à ce qui se passe autour de lui, Milton, qui acquiert dans ce moment précis une folle humanité, m’a époustouflée. C’est tragique, beau, terrible.
Vous l’aurez compris, The Whites est à lire absolument.


Richard Price, The Whites (The Whites), Presses de la Cité, 2016. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jacques Martinache. Publication originale : 2015.

mardi 19 avril 2016

Lagos Lady de Leye Adenle


Présentation (éditeur)
Mauvaise idée de sortir seul quand on est blanc et qu’on ne connaît rien ni personne à Lagos ; Guy Collins l’apprend à ses dépens, juste devant le Ronnie’s, où il découvre avec la foule effarée le corps d’une prostituée aux seins coupés. En bon journaliste, il aime les scoops, mais celui-là risque bien de lui coûter cher : la police l’embarque et le boucle dans une cellule surpeuplée, en attendant de statuer sur son sort.
Le sort, c’est Amaka, une splendide Nigériane, ange gardien des filles de la rue, qui, le prenant pour un reporter de la bbc, lui sauve la mise, à condition qu’il enquête sur cette vague d’assassinats. Entraîné dans une sombre histoire de juju, la sorcellerie du cru, notre journaliste à la manque se demande ce qu’il est venu faire dans cette galère, tandis qu’Amaka mène la danse en épatante femme d’action au milieu des notables pervers.
Hôtels chics, bars de seconde zone, jungle, bordels, embouteillages et planques en tout genre, Lagos bouillonne nuit et jour dans la frénésie highlife ; les riches font tinter des coupes de champagne sur Victoria Island pendant que les pauvres s’entretuent à l’arme lourde dans les bas quartiers.
Un polar survolté et drôle qui plonge au cœur de la ville africaine à la vitesse d’un tir de kalachnikov. Le Nigéria n’a jamais été aussi près de Tarantino.

Ce que j’en pense
Devant les avis enthousiastes de Nyctalopes et de Jean-Marc Laherrère, je n’ai pas hésité : Lagos Lady a rejoint mes nouveautés en un clin d’œil. Envie de changer d’horizon polareux, promesse d’un polar trépidant et efficace avec un zeste d’humour, tout était fait pour me séduire. Attendais-je trop ? En tout cas je n’ai pas été tout à fait convaincue. Tout commençait bien : un démarrage bien noir, des personnages posés efficacement, une peinture sociale et politique, puisque le journaliste envoyé à Lagos doit faire un reportage sur les élections qui vont se dérouler.
Si la peinture sociale est bien là, la piste ouverte des élections se referme aussitôt. Néanmoins je ne peux prétendre que Lagos Lady n’est pas à la hauteur, l’évocation de la criminalité galopante sur fond de misère et d’ignorance, le triste constat d’une corruption généralisée et d’une soumission forte aux pouvoirs de l’argent, la prostitution comme corrélat de la pauvreté chez les femmes, tout est là, et l’auteur fait le portrait sans concession d’une société nigériane urbaine livrée au pire.
Les personnages sont bien posés, mais à part la belle héroïne à la noble cause, qui est assez convaincante, je n’ai pas beaucoup aimé les autres personnages, et surtout pas Guy, narrateur et protagoniste essentiel, à la naïveté alarmante pour un journaliste ex-avocat. Le personnage m’a agacée de bout en bout, je l’avoue.
Mais cela ne serait pas très grave et n’aurait pas provoqué d’impression négative s’il n’y avait ce dénouement… Du noir on sombre à mon sens dans le grand n’importe quoi, avec un retournement de personnage dont je ne peux rien dire pour ne pas vous gâcher le plaisir, retournement auquel je ne crois pas un instant, et qui m’a semblé plutôt motivé par la nécessité narrative, celle d’avoir un dénouement qui permettra une suite.
N’allez pas croire cependant que j’ai passé un mauvais moment : Lagos Lady est efficace, trépidant, accrocheur. Simplement, je n’adhère pas à l’issue choisie par l’auteur et cela suffit à me faire dire que je ne lirai pas la suite de ce polar, puisque je suppose qu’il y en aura une.



Leye Adenle, Lagos Lady (Easy Motion Tourist), Métailié Noir, 2016. Traduit de l’anglais (Nigeria) par David Fauquemberg. Publication originale : 2015. Disponible en ebook SANS DRM.