mardi 13 juin 2017

Sous la neige, nos pas de Laurence Biberfeld


Présentation éditeur
Elle est institutrice et mère d'une petite Juliette. Elle vient de la ville, et la ville ne lui a pas encore lâché la peau du cou. Elle est jeune et dotée d'un appétit solide, malgré la guérilla de l'enfance, la galère bariolée et féroce de l’adolescence. Elle est nommée institutrice dans l'école d'un village situé sur une commune où le nombre d'habitants au kilomètre carré n'excède pas trois. C'est un causse – un plateau karstique dont les habitants sont dénommés « caussenards ». C'est l'hiver.
L'épaisseur de neige est telle qu'elle recouvre les voitures que les imprudents ont laissées dehors.  Les voitures et la terre.
Elle se trouvait incroyablement bien dans cet endroit de la terre – incroyablement à côté de la plaque. Et elle pensait qu'ici, rien ne pouvait arriver, sinon ce que la nature avait décidé. Elle se trompait. Dans sa vie antérieure à Paris, Esther a toujours fréquenté toutes sortes de personnes. Elle a toujours eu le coeur sur la main. Et il y a notamment eu cette fille, Vanessa, mouillée dans un trafic de drogue. Et un jour, Vanessa refait surface. Elle a besoin d'aide. Sauf qu'entre temps, les gens du plateau ont Esther sous leur aile, et quand ils sentent que cette fille, Vanessa, est porteuse d'ennuis, ils vont faire en sorte de protéger Esther.
Vanessa a de la drogue sur elle, beaucoup, et deux dealers sur les talons. Alors le Causse va devenir terre de violences et de vengeance.

Ce que j’en pense
Pour ma part, cela faisait bien longtemps que je n’avais pas lu Laurence Biberfeld. Pourquoi ai-je eu envie de lire Sous la neige, nos pas, je ne sais pas trop, mais il a rejoint mon stock quasiment à sa sortie, en mars (ou était-ce avril?). Je ne vais pas vous mentir, je me lasse parfois de ce que d’aucuns appellent le « rural noir », étiquette américaine pour ces romans noirs dont le cadre est la campagne, nouveau paysage de la misère et de l’exploitation aux USA, et qui flirtent avec le nature writing. Mais si Sous la neige, nos pas, a bien cette double dimension, c’est pour en faire quelque chose de sombre et de puissant, de lumineux et de captivant. 
La peinture de la vie dans ces montagnes peu hospitalières et sidérantes de beauté n’a rien d’artificiel. Laurence Biberfeld n’enjolive rien, et si elle évoque la puissance des éléments de la nature, les solidarités de ces gens qui ont en commun une vie plutôt dure, elle ne verse ni dans un misérabilisme de mauvais aloi ni dans un angélisme stupide. J’ai aimé l’évocation de cette communauté qui ne juge pas, pour le meilleur et pour le pire, qui veille, sans bruit. Les personnages sont formidables, ils existent vite, avec netteté. Lucien est l’un des personnages principaux, tout en complexité, en sensibilité rentrée, et j’ai particulièrement aimé sa relation avec la petite Alice, jamais ambigüe, belle et forte. 
Il y a de très belles pages, de somptueuses phrases sur ce coin du Causse, la rudesse de ce plateau, la violence du froid et de la neige. Soit dit en passant, lire cela quand la température de ce mois de juin s’excite, c'est bienvenu… 
L’écriture de Laurence Biberfeld n’a jamais rien de maniéré, de forcé, de précieux. Elle utilise les mots justes pour décrire les variétés de plantes, d’herbes, d’arbres, sans pour autant exclure le lecteur moins aguerri. Elle sait faire percevoir la dureté des taches de la ferme, à travers le quotidien de Lucien. 
Enfin, le récit est formidable dans sa construction: alternant les évènements du milieu des années 1980 et les derniers mois d’Esther, elle nous concocte une intrigue captivante et pleine de surprises, sans verser aucunement dans un suspense échevelé dont on n’aurait que faire ici. On sort saisi du roman et de son dénouement, chamboulé par Juliette, Alice et Lucien, et quelques autres. 

Laurence Biberfeld, Sous la neige, nos pas, La Manufacture de Livres / Territori, 2017.