jeudi 31 janvier 2013

Retour au noir : un bilan pour janvier



Woolworth Building at night, New York City (source)*

Le bilan de ce mois sera court… car mes lectures ont été peu nombreuses.
Je passe sur la déception du Francis Dannemark, je ne m’attarde pas sur mes lectures jeunesse, peu marquantes (je vous parlerai sans tarder du Dark Eyes de William Richter).

L’année avait démarré avec Fantômes de Maïté Bernard, donc sous les auspices du roman noir. De fait, ce sont les polars lus ce mois-ci qui resteront.
Se détachent nettement : La tristesse du samouraï de Victor Del Àrbol et Chiennes de vies. Chroniques du sud de l’Indiana de Frank Bill.



Les deux illustrent des facettes assez différentes du polar, roman contre nouvelles, Histoire contre chroniques, mais c’est la même force tragique, le même constat désespéré sur le monde comme il va. 





J’ai dévoré les deux, et c’était un bonheur incroyable que d’entrer dans ces univers et de se laisser porter par ces écritures très puissantes.


J’ai l’impression de revenir vers le noir, après une année 2012 qui m’avait quelque peu détournée de ce genre que j’aime tant. 2013 est très prometteuse en la matière**, tant mieux s’il faut compter avec le noir cette année !

* Oui, je sais, il n'est pas question une minute de New York dans les romans noirs lus en janvier, mais que voulez-vous, quand je pense "roman noir", des vues nocturnes de métropoles surgissent...
** On en est aux annonces suivantes : un Dennis Lehane, un Pascal Dessaint, un Arnaldur Indridason, un George Pelecanos, un Craig Johnson, et probablement, un peu plus tard, un Antoine Chainas… Et sûrement quelques belles découvertes et autres surprises !

MAJ après le commentaire de Jean-Marc Laherrère: pour en savoir plus sur les sorties à venir, allez , et aussi

mardi 29 janvier 2013

Chiennes de vies. Chroniques du sud de l'Indiana par Frank Bill



Présentation (extrait de la quatrième de couverture)
Bienvenue dans l'Amérique profonde d'aujourd'hui, où les jobs syndiqués et les fermes familiales qui alimentaient les revendications sociales des Blancs ont cédé la place aux labos de meth, au trafic d'armes et aux combats de boxe à mains nues. Les protagonistes de Frank Bill sont des hommes et des femmes acculés au point de rupture - et bien au-delà. Pour un résultat toujours stupéfiant.


Mon avis
Attention ! Livre coup de poing… Dix-sept nouvelles écrites à l’os, qui vous sonnent comme rarement.
Le titre français est à mon sens moins bon que le titre original, retranscrit par le sous-titre. Ce sont plus que des « chiennes de vie », ce sont des vies dévastées par la violence, dans ces contrées rurales et rudes de l’Amérique. J’ai immédiatement pensé à Chris Offutt et à ses nouvelles magnifiques et tout aussi dures, mais aussi à Daniel Woodrell, dont j’ai tant aimé Un hiver de glace. Sans jamais donner dans l’émotion, sans jamais chercher à hérisser son lecteur (sous l’effet de la peur par exemple), ces nouvelles sont terribles et bouleversantes à la fois. Certains hommes sont pires que des bêtes, parce que leur animalité est soutenue par la conscience de leur asservissement et de leur misère (financière et intellectuelle). Abrutis par l’alcool ou la dope, esquintés par le travail, la guerre ou tout simplement la pauvreté, ils laissent se déchaîner leurs pulsions les plus destructrices. Frank Bill ne cherche d’ailleurs pas à leur donner des excuses : il montre, il raconte, rien de plus. Quant aux femmes, elles sont à peu près tout ce que ces hommes peuvent dominer, elles sont les seules sur qui ils peuvent exercer leur violence, et ils ne s’en privent pas. Pour autant, Frank Bill ne les victimise pas, je me souviendrai longtemps de Josephine et d’Audry, mais aussi d’Elizabeth et d’Ina.
Ces hommes et ces femmes sont, au-delà de la violence dont ils se rendent responsables, les laissés pour compte de l’Amérique. Quant les usines sont délocalisées au Mexique et que les fermes ne permettent plus de vivre, la voie est libre pour le trafic d’armes et de drogue, pour la prostitution.
J’ai dévoré les nouvelles, j’ai été particulièrement convaincue par la construction du recueil, avec ces retours de personnages, ces échos perceptibles de récit en récit (pas systématiquement), ce qui permet de changer de perspective, de point de vue. Les quatre premières nouvelles m’ont particulièrement bouleversée, ce qui ne signifie pas que le reste soit moins fort.
Si je me fie à la dédicace, qui parle de « coup d’essai », et aux remerciements, il semble bien que ce soit la première œuvre d’un auteur venant d’un milieu ouvrier. J’espère que nous aurons l’occasion de découvrir bientôt d’autres œuvres de Frank Bill. Un petit tour sur son blog permet d’apprendre qu’en mars, sort aux Etats-Unis un roman nommé Donny-Brook. A suivre, donc…


Pour qui ?
Pour les amateurs de nouvelles noires, ou de nouvelles tout court (Offutt, Carver). Pour ceux qui aiment le noir, tout simplement.

Le mot de la fin
Un coup de poing.

L’avis de Jean-Marc Laherrère est ici.

Frank Bill, Chiennes de vie. Chroniques du sud de l’Indiana (Crimes in Southern Indiana), Gallimard/Série Noire, 2013. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Isabelle Maillet. Publication originale : Farrar, Straus & Giroux, 2011.


dimanche 27 janvier 2013

A découvert de Harlan Coben



Présentation
Mickey Bolitar est le neveu de Myron Bolitar, chez qui il vit temporairement : son père est mort sous ses yeux dans un accident de voiture, sa mère va de cure de désintoxication en cure de désintoxication… Dans son lycée, il fait la connaissance d’Ema, fille atypique au look « EMO » qui est rejetée par les autres élèves, de Spoon, garçon farfelu qui fait l’objet de nombreuses moqueries, et de la jolie Ashley, qui devient sa petite amie avant de disparaître brutalement. Mickey part à sa recherche et va de découverte en découverte, à propos de la jeune fille mais aussi de son propre père.

Mon avis
Avant toute chose, je dois préciser que je n’ai lu qu’un roman d’Harlan Coben, Ne le dis à personne, il y a des années de cela, et je n’ai pas aimé. Je reconnais ses qualités, mais je n’aime guère le thriller, en règle générale. Néanmoins, cela m’intéressait de voir comment un romancier pour adultes allait s’adapter à un public adolescent. Après La tristesse du samouraï, j’ai eu envie d’une « récréation », et j’ai donc lu A découvert, qui patientait sur ma liseuse depuis quelques semaines.
Indéniablement, Harlan Coben est un très bon faiseur : il s’y entend pour accrocher son lecteur, pour ménager le suspense par des cliffhangers nombreux. On tourne les pages avec plaisir, et je n’ai pas observé dans ce roman les défauts (enfin, ce que je juge comme tel) que j’observe souvent dans les thrillers, y compris Ne le dis à personne, à savoir ces retournements impromptus, qui permettent de tout dénouer. Il y a certes des rebondissements, mais rien qui m’ait irritée. Non, j’ai lu le roman avec plaisir, et Harlan Coben m’a emmenée jusqu’au dénouement en me surprenant juste ce qu’il faut. Le roman clôt l’intrigue principale tout en tissant un fil narratif qui sera exploité dans le volume suivant, puisque A découvert se pose clairement comme le premier d’une série.
Harlan Coben exploite habilement des ressorts classiques du roman pour la jeunesse : récit à la première personne, héros adolescent attachant. Il campe de jolis personnages, en particulier Spoon et Ema, deux freaks tels qu’on les représente souvent dans la littérature et le cinéma américains.
Certes, il faut prendre ce thriller pour ce qu’il est, un divertissement plaisant et plutôt réussi, qui respecte habilement les codes du genre. Il ne faut pas en attendre le moindre gramme d’originalité, pas le moindre propos.
Lirai-je le volume suivant ? Je n’en sais rien, il y a tant de choses à lire… mais je ne dis pas non.

Pour qui ?
Les fans d’Harlan Coben et de la série Myron Bolitar. Les 12 et plus qui aiment les polars.

Le mot de la fin
Bien fichu.

A noter, un titre français que je trouve pour ainsi dire en contradiction avec le titre original…

Harlan Coben, A découvert (Shelter), Fleuve Noir, 2012. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Cécile Arnaud. Publication originale : 2011. Lu en e-book.

mardi 22 janvier 2013

La Tristesse du samouraï de Victor del Àrbol



Présentation
Nous sommes en 1941 et Isabel Mola attend fiévreusement le train qui lui permettra de fuir l’Espagne et son mari en compagnie de son plus jeune fils. Le train de Lisbonne partira sans elle, l’enfant rentrera seul chez son père.
Quarante ans plus tard, Maria Bengoechea se forge une solide réputation d’avocate en faisant condamner un officier de police qui a commis une grave bavure. Cet événement va faire ressurgir le passé, peu avant le coup d’état de février 1981, un passé qui ne passe pas. Sur fond de franquisme, les fautes des uns vont rejaillir sur les autres : la tragédie ne fait que continuer…

Mon avis
J’avais comme tout le monde beaucoup entendu parler de ce roman noir à sa sortie, avec deux avis positifs qui comptent beaucoup pour mes choix polareux: celui de mon libraire et celui de Jean-Marc Laherrère. Pourtant, je ne l’avais pas acheté (tant de choses à lire) et les mois ont passé. J’ai finalement attendu la sortie en poche, et je dois bien l’avouer, l’envie s’était un peu émoussée. J’ai donc commencé le roman sans savoir si j’allais accrocher – fatigue, difficulté à lire, boulot, je ne vous refais pas le couplet.
Vaines inquiétudes. Dès les premières pages, Victor del Àrbol m’a happée pour ne plus me lâcher, et en dépit de la fatigue et du manque de temps, j’ai avancé (assez) rapidement, j’avais hâte de retrouver mon livre, et j’étais aussi impatiente d’avaler les pages que triste de m’acheminer vers la fin.
Certes, La Tristesse du samouraï ne révolutionne pas l’écriture du polar, Victor del Àrbol fait un choix classique, celui d’un récit qui alterne les époques, les points de vue, tout en favorisant tout de même celui de Marìa. Mais si cela a été maintes fois fait, c’est ici parfaitement maîtrisé, la construction est d’une efficacité redoutable, distillant au fil des pages les faits, les informations, sans pesanteur didactique, sans céder non plus à la facilité de révélations spectaculaires. J’ai immédiatement été touchée par le personnage de Marìa, par celui d’Isabel, il faut d’ailleurs dire que Victor del Àrbol traite bien ses personnages féminins.
Surtout, c’est du roman noir comme j’aime, qui ne s’abandonne jamais au manichéisme, qui n’offre aucune issue consolatoire au lecteur. Au contraire, il l’assomme jusqu’aux dernières lignes, parce que la vision du monde, de l’Histoire proposée n’est pas là pour rassurer le lecteur. Il n’y a rien de rassurant dans ces années franquistes, rien de romantique à vivre. Noir, tragique : ce sont les termes qui caractérisent le mieux le roman à mon sens.
Personne n’est tout à fait innocent, le poids des fautes est porté pendant des générations, de nombreuses vies sont ravagées, et les pires salauds – les politiques – s’en tirent, ils traversent les soubresauts de l’Histoire espagnole sans être inquiétés.
Bref, La Tristesse du samouraï est un grand roman noir, auquel on pense lorsqu’on ne lit pas, dont les personnages vous hantent, dont la force tragique vous bouleverse.

Le mot de la fin
Indispensable.

Victor del Àrbol, La Tristesse du samouraï (La Tristeza del Samurài), Actes Sud/Actes Noirs, 2011. Traduit de l’espagnol par Claude Bleton. Edition originale : Editorial Alrevés, 2011. Disponible en Babel Noir.