Présentation éditeur
1997. Mano et Axelle, aussi passionnées que révoltées, évoluent dans le milieu engagé et militant d’une ville étudiante. Exaltées par leurs idéaux, entourées par un groupe soudé, elles rêvent d’un autre ordre social tout en laissant naître entre elles un amour fou. Jusqu’au jour où elles participent à un braquage qui tourne mal : l’une tue un policier et écope d’une lourde peine de prison, l’autre parvient à s’échapper.
Vingt-cinq ans plus tard, dans la campagne où elle a posé sa caravane, Mano attend, bouleversée, car une femme la cherche. Est-ce la possibilité de retrouvailles si longtemps rêvées ou le moment de solder les comptes ?
Ce que j'en pense
Marion Brunet est une des autrices les plus talentueuses du roman (noir) à mes yeux. Elle a cette capacité de suivre des hommes et des femmes dans leur intimité, et d'y saisir ce que l'époque, ce que l'Histoire impriment aux corps et aux esprits, de saisir à travers des trajectoires singulières la dimension sociale. J'ignore si l'on peut dire que Nos armes est son roman le plus personnel, mais elle fait le portrait de jeunes hommes et de jeunes femmes qui pourraient être ses frères, ses soeurs, tant ils lui sont proches par l'âge. Il ne me semble pas pour autant qu'elle fasse un roman générationnel : elle saisit la jeunesse, elle saisit les soubresauts de l'Histoire, et il n'y a rien de nostalgique ou de factice. Lorsque les évènements relatés commencent, nous sommes quelques temps après les grandes grèves de 1995, et quand le roman s'achève, nous sortons des mouvements de Gilets Jaunes. Entre les deux, des parcours brisés, des vies saccagées, et un désenchantement douloureux.
Mieux que personne elle sait retrouver l'énergie et la révolte de la jeunesse, à travers son groupe de grands adolescents qui rêvent de révolution. Elle dessine de délicats portraits de jeunes gens déjà malmenés mais encore pleins de fougue. C'est un talent rare : je lis tant de romans (noirs ou non) qui s'imaginent saisir l'adolescence et la jeunesse alors qu'ils en proposent une vision d'adulte nostalgique qui n'a pas grand-chose à voir avec la fêlure adolescente. Elle saisit aussi l'ivresse des corps, les élans du désir, et c'est magnifique. C'est une jeunesse fiévreuse, et j'ai pensé à ces mots d'Henri Michaux : "Si nous ne brûlons pas comment éclairer la nuit?"
Axelle et Mano, mais aussi Charly, Jicé et Nacer (Paola me semble en retrait) partagent les idéaux d'une partie de la jeunesse à la fin des années 1990. Ils ont la maladresse de leur jeune âge, en dépit d'une certaine éducation politique. Ils n'ont pas grand-chose à voir avec leurs aînés révoltés et sont plus libertaires que "gauchistes". A travers eux, Marion Brunet saisit le désenchantement qui a commencé après la chute du Mur (dont il est question vers la fin du roman). Si je suis plus âgée que les protagonistes, je n'avais pas vingt ans quand le Mur est tombé, et j'avais comme eux l'illusion que quelque chose commençait. Le roman est ainsi ponctué des séismes majeurs de la fin du XXème et du début du XXIème siècles, et ce n'est pas un détail, pas un décor. Nos armes embrasse le délitement du tissu social, la reprise en mains (avait-elle cessé?) des plus fragiles, des "précaires" comme on dit, et le constat est bien amer. Leur colère ne pèse pas lourd face à l'adversité. Police, justice, milieu carcéral, la violence d'Etat est constante, et même de plus en plus forte.
Marion Brunet entrelace avec une grande maîtrise passé et présent, récit d'Axelle et narration à propos de Mano, et déstabilise par la pirouette finale, pourtant si logique (chut!). Nos armes est un superbe roman d'amour, un amour qui est dans cette époque, ce contexte, une transgression (qui se fiche de l'être). C'est, sur fond de révolté matée, d'écrasement de toute velléité de changement social, un amour tragique (nul suspense à ce sujet).
Et puis une fois encore, Marion Brunet excelle lorsqu'il s'agit de nous broyer le coeur, et cela sans pathos. La scène où le grand-père rend pour la première fois visite à Axelle en prison m'a laissée en miettes (et qu'il est beau, ce personnage de grand-père). L'écriture est tout en finesse, d'une beauté à couper le souffle.
Nouvel opus, nouvelle réussite : Marion Brunet est une très grande autrice, mais ça, on le savait déjà, non?
Marion Brunet, Nos armes, Albin Michel, 2024.