mardi 31 janvier 2017

Mise à jour de la PAL

Image empruntée ici


Je viens d'actualiser la page de la PAL. J'y ai ajouté mes récents achats (littérature de jeunesse, polar) et je me suis rendu compte que j'avais oublié d'y noter des titres achetés... cet automne. Evidemment, elle s'allonge plus vite qu'elle ne raccourcit, mais que voulez-vous, c'est un mouvement que je crois irréversible... 

samedi 28 janvier 2017

Prendre les loups pour des chiens d'Hervé Le Corre


Présentation éditeur
Franck, environ 25 ans, sort de prison après un braquage commis en compagnie de son frère aîné. Il est accueilli par une famille toxique : le père, fourbe, retape des voitures volées pour des collectionneurs, la mère, hostile et pleine d’amertume, la fille Jessica, violente, névrosée, animée de pulsions sexuelles dévorantes et sa fille, la petite Rachel, mutique, solitaire et mystérieuse, qui se livre à ses jeux d’enfant. Nous sommes dans le sud de la Gironde, dans un pays de forêts sombres et denses, avec des milliers de pins qui s’étendent à perte de vue, seulement ponctués par des palombières. Dans la moiteur, la méfiance et le silence, un drame va se jouer entre ces êtres désaxés.

Ce que j’en pense
Bon, je vais tout de suite évoquer une chose qui m’a gênée dans le roman, un petit moment en tout cas, et il va falloir que j’évite de spoiler pour en parler. Voilà : au chapitre 3, j’avais eu une intuition que j’ai crue ensuite mauvaise mais qui était la bonne. J’avais compris ce qui était arrivé à Fabien, le frangin. Oui, le chien, la forêt, la gamine : j’avais compris ou en tout cas c’est une hypothèse que je me suis clairement formulée. Et puis ensuite j’ai cru m’être fourvoyée, et croyez-moi, j’en étais ravie. Quand il s’est avéré que j’avais vu juste, bien plus loin, cela n’avait plus d’importance. Dans de nombreux autres romans, cela aurait gâché mon plaisir, cela m’aurait déçue. Mais avec Prendre les loups pour des chiens, il n’en a rien été.
Car je le dis tout net : Prendre les loups pour des chiens est un grand roman noir, puissant, beau et merveilleusement écrit. Le personnage de Franck est somptueux, c’est un de ces personnages tragiques de roman noir comme j’aime : il fait les mauvais choix, toujours, il est le jouet d’un destin bien pourri, et le jouet des loups… Il y a la gamine, Rachel, une merveille de personnage, mais on savait déjà qu’Hervé Le Corre a un talent fou pour évoquer les enfants fracassés contre les adultes. N’empêche, cette fillette taciturne, qui change d’humeur comme un chat, est un personnage bouleversant de bout en bout. Et puis il y a les autres, entre chien et loup (suis-je drôle), ni franchement mauvais ni bons, des ordures ordinaires, des êtres eux aussi piégés par les circonstances et les mauvais choix. Il y a enfin le père, l’autre père, à la toute fin du roman, magnifique aussi. La famille, l’héritage, la filiation sont des thèmes qui habitent l’œuvre de l’auteur. Hervé Le Corre donne à tous ces personnage une force tragique qui laisse ébahi, j’étais habitée par les personnages même quand je ne lisais pas.
Et puis il y a l’écriture de Le Corre, éblouissante… Alors que, soyons clairs, je me caille sérieusement en ce mois de janvier, je ressentais la chaleur écrasante de la région bordelaise, je sentais les odeurs, la saveur de la bière fraîche. Il y a quelque chose de contemplatif et de sensuel tout à la fois dans l’écriture de Hervé Le Corre : la forêt et son ombre fraîche, le goût de la poussière, le chien étrange et inquiétant qui halète, l’impression de cul-de-sac ressentie par Franck du haut de ses 26 ans, le poids de la fatalité, tout cela est évoqué avec une puissance étonnante.
Hervé Le Corre a-t-il écrit du « country noir » ? On peut considérer comme tel ce roman : son écriture fait surgir la nature, l’odeur des pins, le craquement des feuilles mortes ; il évoque une manière de « white trash ». Mais Hervé Le Corre avait cette force d’écriture bien avant le phénomène en question, comme d’autres auteurs français. Je ne l’ai pas considéré comme tel au moment de ma lecture (because je m’en fous), c’est de la présentation de l’éditeur qu’a surgi la question. Du country noir, je ne sais, mais du très grand noir, ça oui, j’en suis certaine.


Hervé Le Corre, Prendre les loups pour des chiens, Rivages Thriller, 2017. Disponible en ebook.

mercredi 25 janvier 2017

D'ombres et de flammes de Pierric Guittaut


Présentation éditeur
Le major de gendarmerie Remangeon, «le fils du sorcier», est de retour en Sologne. La région de son enfance, pauvre et marquée du sceau de la superstition, s’est muée en source de revenus non négligeables grâce à la chasse, principale activité des propriétaires terriens. C’est aussi là qu’il y a dix ans a disparu Élise, son épouse, que personne n’a jamais revue.
Dès son arrivée, des cervidés sont braconnés sur le domaine d’un commerçant aisé, et l’élevage de faisans de son amie d’enfance périclite de façon irrationnelle… Puis il aperçoit Élise, sans pouvoir l’approcher… Afin d’éclaircir tous ces mystères, le gendarme va devoir accepter son héritage, et maîtriser enfin ce sang noir qui bouillonne en lui.

Ce que j’en pense
Je n’avais guère prêté attention à ce roman quand il était sorti, puis le billet élogieux de Jean-Marc Laherrère avait attiré mon attention. J’avais donc acheté D’ombres et de flammes mais il est resté de longs mois sur ma PAL. Dans mon zèle à appliquer mes bonnes résolutions, je l’ai donc sorti de là et j’ai plongé en Sologne (où j’ai jadis vécu un an). Mazette ! que ne l’ai-je lu plus tôt ? J’ai vraiment beaucoup aimé.
Pierric Guittaut réussit ce que peu savent faire, du moins en France : mêler un zeste de fantastique à un authentique polar. La nature solognote s’y prête, certes, mais tout de même. D’emblée un personnage inquiétant et majestueux s’impose : la forêt. Et croyez-moi, pour avoir vécu près de Romorantin, je sais ce que cette forêt a d’imposant, d’angoissant quand on la traverse la nuit, y compris en voiture. Guittaut en saisit la beauté avec une écriture qui n’appuie pas ses effets, et au-delà de l’évoquer avec une forme de réalisme, il en fait un personnage fantastique. Chapeau !
Pierric Guittaut s’empare des codes du polar avec un beau savoir-faire : retour d’un enfant du pays qui l’a fui dès qu’il a pu ; homme brisé et hanté par la perte de l’amour de sa vie ; flic – enfin gendarme – indocile tenu à l’œil par sa hiérarchie. Il en fait la substance d’un roman qui explore le thème de l’héritage (refusé), le thème de la perte et de la douleur, et c’est très beau. Son personnage, Fabrice Remangeon, est seul, tout comme sont seuls sa subordonnée exilée, son amour de jeunesse, et bien d’autres encore.
Le fantastique est utilisé avec finesse : Fabrice, fils d’un « sorcier », refuse cette filiation, refuse la part de superstition qui subsiste dans cette terre de traditions, et le talent de Guittaut est de ne jamais trancher. Faut-il croire à ces pouvoirs ?
Et puis il y a cette part de noir que j’aime tant. La Sologne n’est pas seulement une terre pétrie de croyances, c’est aussi une terre de notables, de terrains de chasses très gardées et très prisées, et à cela aussi Remangeon se heurte.
Quand j’ai refermé le roman, j’étais cependant un peu dubitative, je l’avoue : j’aurais aimé que Pierric Guittaut aille plus loin dans la noirceur, mais il est possible qu’il veuille réutiliser le personnage et cet univers. Dans ce cas-là, OK, la fin me semble pleinement justifiée. Et pour tout vous dire, j’aimerais assez retrouver ces personnages, ces ambiances…

Pierric Guittaut, D’ombres et de flammes, Gallimard Série Noire, 2016. Disponible en ebook.

                                                      

dimanche 22 janvier 2017

La mort du petit coeur de Daniel Woodrell


Présentation (pas terrible) de l’éditeur
Shuggie Atkins est un adolescent solitaire et obèse. Sa mère l'appelle son "petit cœur". Son père le traite de "gros lard" et le force à s'introduire au domicile de grands malades pour y voler les "drogues" qui leur sont prescrites. Shuggie accepte, pour l'amour de cette mère qui ne cesse de le provoquer sexuellement sans avoir l'air de s'en rendre compte.

Ce que j’en pense
Dans ce phénomène du « rural noir » ou « country noir », je trouve que, vu de France, on oublie un peu trop souvent Daniel Woodrell, qui n’a pas été pour rien dans l’émergence de cette vague de romans noirs qui se détournent des villes pour explorer la misère sociale, intellectuelle et morale des campagnes, pour narrer les vies à la fois dures et pitoyables de ces laissés pour compte de la société américaine. La mort du petit cœur est pour moi un pur roman noir, à la lisière du polar, donc j’adore. 
Le « petit cœur », c’est un adolescent en surpoids, élevé par une mère aimante et trop jolie, trop sensuelle pour ceux qui l'entourent dans ce trou du cul du monde, ainsi que par un supposé père qui a tout d’une raclure de bidet, alcoolique, toxico et délinquant, qui n’a de cesse de traiter son fils de gros lard incapable tout en l’utilisant comme petite main dans ses forfaits.
Je ne peux en dire plus sur ce qui m’a conquise dans la construction du roman sans spoiler, mais sachez que le titre est plutôt trompeur, ou qu’en tout cas il ne dit pas ce qu’on croit qu’il dit. Comme dans tout roman noir qui se respecte, on va inexorablement vers le pire, mais Woodrell déjoue les attentes avec brio.
Les personnages sont campés en quelques phrases puis prennent la profondeur tragique qui intéresse Woodrell tout au long du roman. C’est vrai pour les personnages principaux mais aussi pour ces silhouettes déjà fantomatiques que le « petit cœur » vient délester de leurs anti-douleurs, alors qu’ils tentent de guérir ou agonisent tout près de lui. Il y a quelques scènes somptueuses, des rencontres esquissées qui laissent le lecteur pantois.
D’une manière générale, Woodrell capte les ambiances et les moments dans ce qu’ils ont d’essentiel, que ce soit par la douceur qu’ils dégagent ou par leur intensité dramatique. La scène où Shuggie entre dans la cuisine dévastée (je ne peux en dire plus) est l’une des plus fortes que j’ai lues depuis longtemps.
J’ai refermé le roman un peu étourdie, le cœur serré, mais une fois de plus épatée par le talent de Woodrell.


Daniel Woodrell, La mort du petit cœur (The Death of Sweet Mister), Rivages Noir, 2002. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Franck Reichert. Publication originale : 2001.