mardi 26 février 2013

La colère de Fantômas d'Olivier Bocquet et Julie Rocheleau



Présentation
Fantômas terrifie le Paris de la Belle Epoque, il est l’insaisissable aux mille visages… Pourtant, un policier, Juve, va mettre la main sur ce terrible criminel et, tandis que l’on porte ses méfaits sur la scène d’un théâtre parisien, le génie du crime est mené à l’échafaud… Mais est-il vraiment mort ? La vengeance de Fantômas sera terrible…
Voir la présentation de La colère de Fantômas sur le site de l’éditeur, ici.

Mon avis
Je ne connais que très peu l’univers de Fantômas - je parle ici des récits écrits par Souvestre et Allain. J’en ai surtout entendu parler et par conséquent, il m’est difficile de juger de l’adéquation de La colère de Fantômas à l’univers originel. Cela ne m’a pas empêchée d’être emballée par ce premier volume d’une trilogie consacrée au terrifiant Fantômas…
Nous sommes dans le Paris de la Belle-Epoque à l’ouverture de l’album: Fantômas poursuit une femme qui confie en toute hâte son enfant à un policier. Le policier se nomme Juve et l’enfant deviendra Fandor… évidemment! Quelques années plus tard, Juve se félicite de l’arrestation du terrible criminel, qui va bientôt passer sous les bois de justice, id. l’échafaud. Paris retient son souffle… J’ai été captivée immédiatement par l’histoire, le scénario parvient à la fois à poser l’univers de Fantômas et à jeter personnages et lecteurs dans l’action, dès la première planche. Pas évident d’être aussi clair et efficace avec un tel univers romanesque, et pourtant, je trouve qu’Olivier Bocquet y parvient avec une aisance remarquable (c’est son premier scénario de BD!). J’ai hâte de connaître la suite, Les Bois de justice étant le premier volume d’une trilogie.
Par ailleurs, j’ai été très séduite par le dessin de Julie Rocheleau, dont le pinceau délicat rend justice à cet univers. J’ai beaucoup aimé la stylisation des personnages, qu’il s’agisse du « plastique » Fantômas dont nul ne connaît le vrai visage ou des autres protagonistes, de Juve à Fandor en passant par les personnages féminins, tout en dentelle (et je ne parle pas spécialement de leurs vêtements!). Son travail sur les couleurs et les volumes donne toute sa place à un Paris inquiétant et poétique tout à la fois, avec des masses sombres et noires qui contrastent avec des masses de couleurs chaudes. J’ai apprécié cette stylisation poétique du dessin (proche de l’illustration, sans sacrifier au dynamisme de la narration graphique), parce que trop souvent, dans les adaptations de classiques de la littérature populaire, on trouve un dessin réaliste qui entend restituer avec précision une époque et qui écrase l’originalité de l’univers romanesque.
Bref, je pense que La colère de Fantômas peut séduire à la fois les amateurs de Fantômas et les autres : c’est tout simplement un très bel album.
J’ajoute que La colère de Fantômas m’a donné envie de lire les romans de Souvestre et Allain et en surfant sur la toile, j’ai vu que, centenaire oblige, l’actualité du terrible criminel est riche : je suis tombée sur cette jolie exposition virtuelle, la collection Bouquins de Robert Laffont va sortir un volume contenant les premiers Fantômas (cela s’ajoutera aux trois volumes disponibles), Les Prairies Ordinaires va publier un essai signé Loïc Artiaga et Matthieu Letourneux en avril 2013,  et un film serait en préparation (ceci dit, il est annoncé depuis 2003…).

Pour qui ?
Pour les amateurs de Fantômas et pour tous ceux qui aiment les beaux albums relatant des histoires sombres…

Le mot de la fin
Noir et poétique.

Olivier Bocquet (scénario) et Julie Rocheleau (dessins et couleurs), La colère de Fantômas 1: Les bois de justice, Dargaud, 2013.

samedi 23 février 2013

No Internet !



Une panne internet… damned ! Une connexion rapide pour vous faire signe mais pas de billet et je ne mettrai en ligne vos commentaires que lorsque j’aurai du temps pour y répondre, donc lorsque j'aurai à nouveau cette précieuse, ô combien, connexion.
C’est fou comme internet a envahi mon quotidien, cela me manque terriblement. Si tout va bien, Orange aura réparé (« fiabilisé le réseau ») d’ici lundi soir, connexion possible mardi matin. Mais je ne crois que ce que je vois, donc je croise les doigts.
En attendant, je lis !
A bientôt !

lundi 18 février 2013

La douceur des hommes de Simonetta Greggio



Présentation
Fosca et Constance se sont rencontrées à la terrasse d’un restaurant vénitien et elles ne se sont plus quittées. Deux générations les séparent pourtant, mais la volubilité de Fosca s’accorde à merveille avec les silences de Constance. La vieille dame raconte sa vie, ses amours, son rapport aux hommes, à l’amour, au désir, tandis que la jeune femme accompagne les derniers mois de Fosca.

Mon avis
Une brève échappée hors du polar…
Il y a de cela trois ans j’avais lu Etoiles, offert par une amie, et si j’avais aimé la sensualité de ce court roman (ou longue nouvelle?), j’avais été un peu dérangée par le côté roman sentimental, allez savoir pourquoi. Pourtant, sur un coup de tête, j’ai acheté et lu La douceur des hommes. J’ai eu du mal à entrer dans le récit, j’ai lu trente pages, sans déplaisir mais sans être « prise ». Et puis je l’ai repris le lendemain, par un matin silencieux, alors que la maisonnée dormait encore et que le soleil illuminait la pièce (après des jours de déluge). Cette fois, la magie a opéré. Je ne sais pourquoi l’écriture et l’univers de Simonetta Greggio me font penser à Colette*, sans doute pour la sensualité qui déborde de toutes les pages (odeurs des fleurs et des arbres, nourriture, chaleur, pluie, sans oublier les plaisirs de la chair). Peut-être aussi parce qu’elle évoque les morsures des sentiments et du désir comme le faisait Colette, parce que sous l’univers enchanteur qui est dépeint il y a la cruauté et les désillusions.
J’ai aimé les deux personnages féminins de La douceur des hommes, Fosca et Constance l’une autant que l’autre, Fosca pour sa force de vie et Constance pour sa solitude.
J’ai également aimé cet univers, les trajets dans la Rolls capricieuse et les nuits bleues dans d’improbables palaces et maisons. C’est dépaysant à souhait.
Si je devais émettre une réserve, ce serait celle-ci : j’avais vu venir la révélation finale du roman. Cependant, ce n’était pas gênant.
J’ai dû me retenir pour ne pas passer immédiatement à un autre roman de Simonetta Greggio, et je sais que j’en lirai d’autres, en espérant retrouver cette magie. En attendant, je relirai Etoiles.

Le mot de la fin
Radieux.

L'avis de Loo est ici.

* A ceux qui seraient étonnés de cette comparaison, je précise que je n’ai pas lu Colette depuis mes 16 ans… Bref, ça date un peu.

Simonetta Greggio, La douceur des hommes, Stock, 2005. Réédition Le Livre de Poche, 2007. Lu en e-book.

vendredi 15 février 2013

Le silence de Jean-Guy Soumy



Présentation
Tout vacille pour Jessica lorsque son mari est retrouvé mort dans un motel alors qu’il devait se rendre à leur maison de campagne. Ce brillant mathématicien franco-américain s’est suicidé sans laisser d’explication. Pourtant, tel le petit Poucet, il laisse quelques indices à Jessica, sous forme de vers de ce poète français qu’elle aime tant et dont elle a fait son objet d’études (elle est professeur de littérature). Elle commence à remonter la piste : la vérité est terrible et fait vaciller toutes ses certitudes.

Mon avis
J’ai été captivée par le récit : j’aimais l’argument de départ, ce mathématicien brillant qui se suicide et qui laisse derrière lui de lourds secrets. J’avançais dans le roman, stupéfaite par les révélations, par l’ampleur du mensonge et son caractère tragique. J’ai beaucoup aimé les personnages, de Jessica, de plus en plus désemparée, à Phil, en passant par Lewis, peut-être celui qui m’a le plus touchée.
Par ailleurs, j’aime beaucoup l’écriture de Jean-Guy Soumy, magnifique et d’une sobriété qu’il n’avait encore jamais atteinte.
Je dois avouer cependant que je suis moins convaincue par la fin du roman, par la partie qui se déroule en Creuse. Je ne veux pas dévoiler ce qui s’y passe, je dirai simplement que l’histoire y prend un tour qui m’intéresse moins, quoique très cohérent par rapport à l’ensemble. Finalement, Alexandre gardera l’essentiel de son secret, et je trouve que le personnage reste un peu trop opaque, comme si l’auteur se désintéressait de lui pour se tourner vers les vivants, vers Samuel, Jessica et Lewis. C’est un choix que je comprends mais je suis restée sur ma faim. D’ailleurs, j’ai trouvé la fin un peu abrupte.
Reste que c’est un très beau roman, qui nous pousse à nous interroger sur notre identité, sur ce qui fait ce que nous sommes, pour nous-mêmes et pour les autres. Qu’inventons-nous de nous-même ? Qu’est-ce qui, dans notre histoire, nous constitue vraiment ?
En dépit de mes réserves, vous l’aurez compris, j’ai aimé Le silence, tout comme j’avais aimé, du même auteur, Le Congrès, superbe et terrible roman.

Jean-Guy Soumy, Le silence, Robert Laffont, 2013. Lu en e-book.

lundi 11 février 2013

Un arrière-goût de rouille de Philipp Meyer



Présentation (quatrième de couverture)
Buell, petite ville sidérurgique de Pennsylvanie, autrefois prospère, est aujourd'hui à l'agonie : les usines abandonnées et les villages fantômes ont remplacé les hauts-fourneaux. Les adolescents du coin essaient d'échapper à la désolation ambiante pour s'inventer un avenir... Avec l'aide de Billy, son meilleur ami, Isaac décide de s'enfuir en Californie. Mais très vite l'aventure tourne mal et les deux garçons se retrouvent avec le cadavre d'un vagabond sur les bras. L'espoir a parfois un arrière-goût de rouille...

Mon avis
Un arrière-goût de rouille est un grand roman noir. Voilà, c’est dit.
Bien sûr, c’est une réédition en poche d’un roman paru chez Denoël en 2010. Mais parce que j’étais complètement passée à côté, cette parution en Folio policier me fait l’effet d’une nouveauté. Et c’est une nouvelle claque (après La tristesse du samouraï et Chiennes de vie) ! Je dois avouer que j’ai trouvé les cinquante premières pages arides, j’ai eu du mal à entrer dans cet univers, j’étais déconcertée par ce curieux mélange entre action rapide (l’action se noue dès le premier chapitre) et lenteur de la narration. Cependant, je me suis accrochée et bien m’en a pris : passé ce cap, j’avais du mal à lâcher le roman.
Le récit alterne les points de vue, chaque chapitre portant le nom ou le prénom de l’un des protagonistes (hormis le premier chapitre qui pose l’action) : pour l’essentiel, Poe, Isaac et Grace. Cette construction classique est très efficace et elle permet au lecteur de « respirer », de passer d’un personnage à l’autre, en même temps que l’ensemble des chapitres fait sens et construit un ensemble parfaitement articulé et cohérent.
Il y a là tous les ingrédients de ce qui fait pour moi un grand roman noir. Un arrière-goût de rouille nous parle d’un coin des Etats-Unis, en Pennsylvanie, qui subit depuis des années déjà le contre-coup de la désindustrialisation du pays. De l’usine sidérurgique qui faisait vivre la vallée il ne reste rien, que des friches industrielles qui rappellent douloureusement que la région était prospère. Il est souvent question des conséquences humaines tragiques de ces délocalisations et faillites qui ont entraîné en cascade d’autres fermetures. Ceux qui sont restés survivent tant bien que mal mais nul n’est épargné, et chacun est conscient non seulement du désastre accompli mais aussi des sombres jours à venir. Si les ouvriers ont été les premiers perdants de la mondialisation, il en est de même désormais pour les employés en col blanc. L’analyse de la situation est toujours livrée à hauteur de personnage, sans pesanteur didactique ou idéologique, et le constat n’en est que plus glaçant, comme il est glaçant de voir ces hommes et ces femmes survivre parfois grâce au produit de leur chasse (pas de leur pêche, les rivières sont bien trop polluées).
Directement liée à cette dimension sociale, la trajectoire des personnages est marquée du sceau du roman noir. Ils sont la plupart du temps agis par les circonstances, mais il y a aussi en eux une conscience douloureuse de leur responsabilité, qu’elle soit individuelle ou collective, en même temps qu’une incapacité à changer leur vie sans déclencher la tragédie. Isaac en est un bel exemple : jeune homme aux capacités intellectuelles extraordinaires, il est coincé à Buell parce qu’il doit s’occuper de son père, handicapé à la suite d’un accident à l’usine (lorsqu’elle fonctionnait encore). Englué dans cette vie sans avenir, il sait qu’il doit partir, mais son départ est précisément le déclencheur de la tragédie.
Il faut dire un mot des personnages, merveilleusement construits. Chacun pourrait être, dans un mauvais roman, un stéréotype social : le jeune sportif un peu rustique et violent, le surdoué asocial, la mère prolo, le gentil flic… Pourtant il n’en est rien : chacun est travaillé dans toute sa complexité, sans complaisance ni angélisme, chacun est bouleversant parce que tout ce qui reste dans ce monde dévasté, c’est l’amour, l’amitié, ce que l’on offre de soi à ceux que l’on aime. Cela n’est pas simple – on n’est pas au pays des Bisounours – mais c’est la seule solution.
Le roman construit peu à peu une toile qui se referme sur les personnages, les étrangle, les condamne, mais le talent de Philipp Meyer est de réussir à ne pas aller là où on l’attend et ne jamais tomber dans le glauque. C’est ainsi qu’il parvient à proposer un final éblouissant, qui allie la noirceur et l’apaisement.
Enfin, Un arrière-goût de rouille, sans appartenir à ces romans noirs qui s’enracinent dans une terre à laquelle ils rendent hommage, évoque avec beaucoup de force la nature. Chacun des personnages, à sa manière et à des degrés différents, évoque la puissance ambivalente d’une nature tour à tour nourricière et dangereuse. Il y a un peu de Chris Offutt et un peu de William G. Tapply, en quelque sorte. Cela donne en tout cas, par moments, un côté contemplatif au roman. Les rivières sont très importantes : elles guident, elles lavent, elles empoisonnent aussi, mais leur sauvagerie originelle est d’une beauté stupéfiante.
Vous l'aurez compris, je ne saurais trop vous recommander la lecture de ce roman noir.

Pour qui ?
Pour tous ceux qui aiment les romans noirs.

Philipp Meyer, Un arrière-goût de rouille (American Rust), Gallimard/Folio Policier, 2012. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Sarah Gurcel. Première édition française: Denoël, 2010. Publication originale: Simon & Schuster, 2009.

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