lundi 29 octobre 2012

D'acier de Silvia Avallone (Prix Violeta Negra 2012)


Présentation
La ville de Piombino en Italie, l’usine sidérurgique qui n’emploie plus que deux mille ouvriers quand elle en comptait vingt mille à la grande époque, et la cité de la via Stalingrado, bâtie face à la mer, quand la municipalité communiste trouvait juste d’offrir une belle vue aux classes populaires. Au tournant des années 2000, l’économie mondialisée condamne l’usine à moyen terme et l’Italie de Berlusconi a triomphé. Anna et Francesca ont treize ans lorsque s’ouvre le roman, mais elles ont déjà la beauté du diable… Inséparables, elles quittent peu à peu l’enfance, découvrent la vie, usent de leur pouvoir de séduction, et rêvent de l’île d’Elbe qui flotte en face, proche et pourtant inaccessible.

Mon avis
J’avais entendu parler du roman à sa sortie, mais c’est lorsqu’il a remporté le prix Violeta Negra au festival Toulouse Polars du Sud que je l’ai acheté. Bien m’en a pris. J’ai pourtant eu quelques craintes au début : D’acier démarre sur les chapeaux de roue et aurait pu devenir un récit noir très glauque, autour de deux jeunes filles qui ont tout pour être détestées dans les premières pages et qui pourraient, dans un autre roman, semer la désolation autour d’elles, à grands renforts de clichés sordides… Mais les choses sont bien plus subtiles, complexes et finalement imprévisibles sous la plume de Silvia Avallone, pour le plus grand plaisir du lecteur. Je me suis très rapidement attachée à Anna et Francesca, parce qu’elles ont encore, sous leurs apparences hypersexualisées, des étonnements et des éclats d’enfants, parce qu’elles abordent la vie d’adulte avec bien plus de peurs qu’elles ne veulent en montrer, parce qu’elles sont plus libres dans leurs aspirations qu’on ne voudrait le penser (en même temps que très déterminées socialement). Dans l’évocation de leur jeunesse rayonnante et de cette cité délabrée, sous un ciel bleu à couper le souffle, il y a quelque chose de solaire, de résolument lumineux. Cela m’a fait penser, sans qu’il y ait aucun rapport dans le sujet, à Respirò, ce très beau film d’Emanuele Crialese. Chacun des personnages est abordé avec une grande tendresse : les deux amies, évidemment, leurs mères respectives, la militante Sandra et la soumise Rosa, les jeunes mâles qui environnent les jeunes filles, tous touchants à leur manière, entre dignité ouvrière et puérilité virile. Il n’y a guère que les pères d’Anna et Francesca qui ne suscitent aucun regard attendri, tant ils sont lâches ou violents, dans tous les cas défaillants. Un point important à mes yeux mérite d’être souligné : Silvia Avallone ne sombre jamais dans le pathos. Elle parvient à être au plus près des personnages et de leurs émotions sans jamais jouer la carte du tire-larme, ni de près ni de loin : j’aime ça !
D’acier est un grand roman social, désenchanté, puissant, qui offre par le biais de ses personnages et de ses descriptions une évocation de la classe ouvrière bien plus forte que bien des discours. J’ai lu çà et là qu’on compare beaucoup Silvia Avallone à Emile Zola, et c’est vrai qu’il y a du Germinal dans les monstres d’acier qui font retentir l’usine d’un vacarme assourdissant, faisant vivre les ouvriers et les broyant tout à la fois. Cependant, la jeune romancière donne une tonalité moins sombre à son histoire, aussi tragique soit-elle. Bien plus que Zola, elle m’évoque ces films sociaux italiens, ceux qui datent de l’époque du néo-réalisme ou ces films plus contemporains qui saisissent si bien une certaine réalité de la société italienne.
Enfin, le roman est merveilleusement écrit (pour autant que je puisse en juger en traduction) et construit. Avec un grand naturel, l’écriture saisit les pensées, le ressenti de tous les personnages, fait résonner leur langage, nous fait percevoir le goût du sel et l’odeur des algues, la chaleur estivale et les bruits de la plage. Les chapitres, assez brefs, se dévorent à toute allure. J’avais hâte d’avancer dans ma lecture, en même temps que je redoutais le moment où le roman serait terminé. J’ai refermé le livre en ayant le sentiment de laisser deux jeunes filles que j’aime beaucoup, à la fois triste et contente d’avoir été embarquée par cette histoire. C’est pas chouette, ça ?

Pour qui ?
Pour tous ceux qui ont envie de lire un grand roman social sans pesanteur, un récit empreint d’humanité, tout simplement.

Le mot de la fin
Solaire.

Silvia Avallone, D’acier (Acciaio), Liana Levi, 2011. Traduit de l’italien par Françoise Brun. Lu dans la réédition de poche Liana Levi/Piccolo (2012). Publication originale : Rizzoli, 2010.

vendredi 26 octobre 2012

La blonde et le bunker de Jakuta Alikavazovic


Présentation
Trois personnages principalement : Anna, la blonde, John, son mari, écrivain célèbre pour un seul roman, et Gray, l’amant. Ils cohabitent dans une maison d’architecte, le bunker : Anna au rez-de-chaussée, John dans le sous-sol, Gray étant le seul à réellement déambuler dans les deux espaces, comme par effraction dans tous les cas.
Quand John meurt, par voie testamentaire, il met Gray sur la piste d’une mystérieuse collection d’art, qui se dérobe sans cesse.

Mon avis
C’est un curieux roman que La blonde et le bunker : le titre claque comme un titre de roman noir, et ce pourrait être aussi, je trouve, un titre de Jean Echenoz (sans doute parce qu’il me fait penser aux Grandes Blondes, tout bêtement). Des stéréotypes du genre, il en est d’ailleurs question à plusieurs reprises – l’assistante du professeur, vers la fin du roman, semble tout droit sortie d’un film noir. J’avais entendu parler de ce roman par une critique dans Les Inrockuptibles, mais en feuilletant le roman dans une librairie, je n’avais finalement pas été tentée. C’est le billet de Brize qui a éveillé à nouveau ma curiosité. Cette curiosité n’a pas faibli tout au long de ma lecture.
Ce bref récit est construit comme un puzzle, qui par bien des aspects se dérobe, comme la collection Castiglioni. De nombreuses pistes sont esquissées, suscitant un instant l’attente du lecteur, sans la décevoir réellement puisque l’intérêt du lecteur est aussitôt orienté vers autre chose… John est mort mais que s’est-il passé ? Qu’est devenue Anna ? Voici quelques questions qui restent en suspens. Pour autant, comme le souligne Brize, le roman ne frustre pas son lecteur, offrant une clôture qui à défaut d’être pleinement satisfaisante donne des explications, par une pirouette intéressante, intelligente et pleine de sens.
J’ai particulièrement aimé la réflexion sur l’art que propose le roman, sur la conservation, sur l’évaporation des œuvres… Ce n’est jamais pesant. Les chapitres qui évoquent la photographie présente à l’étage (au sous-sol) de John m’ont captivée : comment construit-on une œuvre, mais aussi une représentation de soi ? Il y a quelque chose dans la construction, dans le côté très cérébral de ce récit,  qui m’a fait penser au Nouveau Roman, notamment à La Jalousie (peut-être à cause du triangle amoureux). Le roman se tisse à partir de fils narratifs qui s’entrecroisent savamment, se font écho, comme l’évocation de la photographie (des photographies, devrais-je dire), ce qui m’a fait penser aux scènes qui reviennent, comme des leitmotivs, dans le roman de Robbe-Grillet, avec de légères variations. Les descriptions – du bunker, par exemple – m’ont également fait penser à la précision glacée et superbe de certaines descriptions de Robbe-Grillet ou de Butor.
Pour autant, n’allez pas penser qu’il s’agit d’un roman froid, qui écarte le plaisir du récit dans des constructions formelles (formalistes) alambiquées : dès les premières lignes, je me suis sentie happée, j’avais envie de savoir ce qu’il en était, et l’auteure s’y entend pour instaurer une forme de tension narrative.
C’est séduisant, intelligent, et je crois qu’à l’occasion, je jetterai un œil aux autres œuvres de cette auteure singulière (son précédent roman vient de sortir en poche)…
Merci à Brize pour cette découverte et pour le prêt !

Pour qui ?
Pour ceux qui ont envie d’un roman singulier, différent, et quelque peu cérébral.

Le mot de la fin
Singulier.

Jakuta Alikavazovic, La blonde et le bunker, Editions de l’Olivier, 2012.

dimanche 21 octobre 2012

Le Démon de Ken Bruen



Présentation
Nous retrouvons Jack Taylor alors qu’il s’apprête à quitter Galway et l’Irlande pour les Etats-Unis : il ne quitte pourtant pas le sol irlandais, refoulé avant même de partir… Alors qu’il boit sa honte au bar de l’aéroport, double Jameson et pinte de Guiness par dessus ses Xanax, il est abordé par un étrange et inquiétant personnage. Il en croisera la route bien des fois au cours du roman, tandis que les cadavres s’amoncelleront sur leur passage.

Mon avis
Je suis fan de la série des Jack Taylor de Ken Bruen, découverte grâce à une collègue lectrice de polars (elle m’avait prêté Delirium Tremens). D’emblée conquise par cette univers d’une noirceur absolue, par le ton très particulier de ces romans noirs bourrés de références littéraires (polareuses ou non), j’ai dès lors suivi les mésaventures de Jack Taylor avec un immense plaisir. J’avais eu quelques craintes en lisant le précédent, En ce sanctuaire, qui aurait pu être le dernier de la série…
Dans Le démon, Jack reste donc à Galway, bon gré mal gré, et il est toujours en colère, contre lui-même, contre cette Irlande qu’il ne reconnaît plus et qui, après une embellie économique qui lui a valu de perdre son âme, sombre dans la crise. C’est dans ce contexte qu’apparaît Mr K., qui apparaît tantôt chauve, tantôt d’une blondeur christique, mais qui sème toujours la désolation et la mort derrière lui. Tous ceux qui approchent Jack et tentent de l’aider meurent dans d’atroces souffrances. Elégant et charmeur, il semble français, ou allemand, ou bien encore anglais: investisseur ? démoniaque ? C’est à vrai dire la même chose… Le roman se teinte de fantastique, mais le propos reste celui du roman noir : peindre une société à la dérive, gangrénée par une économie mondialisée qui séduit les peuples et les nations avant de les laisser exsangues et désespérés. Ici, l’enquête dont Jack accepte de se charger n’aboutit pas, parce qu’une instruction contre le diable n’a aucune chance d’aboutir. Tout au plus le détective peut-il écarter le démon de l’Irlande, mais c’est une piètre victoire.
Dans ce volume, on retrouve un Jack hanté par ses démons (si j’ose dire), sombrant dès les premières pages dans l’alcool, maniant de dangereux mélanges de substances psycho-actives mais toujours très conscient de ce qu’il fait. Si l’on croise à nouveau Stewart et Ridge, ils sont malgré tout un peu éclipsés par le duel Mr K-Jack, pour notre plus grand bonheur.
J’ai pris un immense plaisir à lire ce roman : il faut dire que Ken Bruen s’y entend pour accrocher son lecteur et lui faire tourner les pages, avec des chapitres brefs, une écriture à l’os, dépouillée de toute recherche d’effet superflu.
On peut s’attendre à une suite (peut-être déjà parue en VO, je ne sais pas), les dernières pages nous montrent un Jack Taylor à la fois apaisé et rattrapé par le mal…

Pour qui ?
Tous les amateurs de romans noirs.
Petit retour sur le déroulement de la série pour ceux qui ne connaîtraient pas :
Délirium Tremens
Toxic Blues
Le Martyre des Magdalènes
Le Dramaturge
Chemin de croix
La main droite du diable
En ce sanctuaire

Le mot de la fin
Violemment addictif.

Ken Bruen, Le démon (The Devil), Fayard Noir, 2012. Traduit de l’anglais (Irlande) par Marie Ploux et Catherine Cheval. Publication originale : Bantam Press, 2010.

Un autre avis ici

samedi 20 octobre 2012

Bad City Blues de Tim Willocks


Présentation (quatrième de couverture)
Callie, ex-prostituée camée à la cocaïne, réussit le casse du siècle en braquant la banque de son mari : un million de dollars à partager avec Luther Grimes, un vétéran du Vietnam reconverti dans le trafic de stupéfiants. Pour doubler son complice, la belle séduit son frère, Cicero Grimes, un psy déjanté. Et le capitaine Jefferson, un flic sadique, espère bien récupérer sa part du butin…
(franchement, j’ai renoncé à faire mieux, par paresse, mais ce prière d’insérer n’est pas terrible, il rabaisse le roman à du déjà-vu)

Mon avis
Après Doglands, cap sur la production adulte de Tim Willocks. Comme je ne voulais pas me lancer dans la lecture de La Religion, j’ai opté pour ce roman noir, Bad City Blues, titre prometteur s’il en est… Je n’ai pas été déçue.
Une fois de plus, c’est du très très noir, ultra-violent, et je reconnais qu’on n’est pas obligé d’aimer. Les personnages sont tous aussi déjantés les uns que les autres, hors normes, et tout n’est ici que sexe, violence et larmes. L’intrigue en elle-même, si on la résume, n’est pas si originale : une femme, deux hommes qui sont ses amants, un flic pourri jusqu’à la moelle, et un fabuleux magot convoité par chacun d’entre eux (je simplifie). Mais l’essentiel n’est pas là, l’écriture et le traitement des personnages font tout l’intérêt de ce roman.
Aucun personnage n’est aimable, tous sont intéressants. Enfin, je dis tous, mais à la vérité, on a là du roman fortement « testostéroné » (j’invente un mot, non ?). Callie et la fugitive Anna, à mon sens, n’acquièrent pas de véritable épaisseur. Certes, on sent bien que la seule chose qui importe à Callie est son indépendance, la volonté de ne plus être soumise à la volonté d’aucun homme, mais les personnages qui intéressent l’auteur, et le lecteur avec lui, sont les personnages masculins. Tous sont à mon sens détestables et passionnants tout à la fois. Jefferson est un spécimen réussi d’ordure complexe, mais j’ai été beaucoup plus touchée par les trois membres de la famille Grimes. Jefferson, George, Luther et Eugene Grimes, ainsi que Carter, présent au tout début du roman, interrogent chacun à leur manière notre rapport à la violence, celle de l’autre, la leur surtout, liée à leur histoire. A un extrême, on a Carter, bigot et banquier qui fait le choix de l’hypocrisie, masquant ses pulsions de domination sous sa foi religieuse ; à l’autre extrême on a Jefferson, qui est très tôt confronté à la violence (sous l’une de ses formes les plus abjectes probablement) et qui connaît celle qu’il porte, celle des autres, et en use et abuse, sans illusion sur lui-même et les autres. Si ce n’est qu’il emprunte le masque de la respectabilité que lui confèrent ses fonctions (Carter en fait les frais), on sent bien qu’il n’y a pas d’hypocrisie en lui. La famille Grimes est elle aussi enfermée dans un cycle de violence (auto)destructrice. Le père, personnage magnifique à mes yeux, a usé de sa violence en essayant de lui donner du sens (la révolte sociale), tout en sachant quelles pulsions destructrices l’animaient alors, conscient aussi des conséquences terrifiantes que ses choix ont eu sur ses fils. Luther, le fils aîné, a fait très tôt le choix de la violence la plus extrême, devenant un « psychopathe discipliné en quête de la mort » : un soldat. Combattant redoutable, il commet l’irréparable violence qui bouleverse la vie de son frère avant de prendre la fuite, lequel s’est juré de le retrouver et de le tuer. Ce frère, justement, Eugène Grimes, est tout aussi torturé que son aîné : il est celui qui tient le plus efficacement sa violence en laisse, du moins jusqu’à sa rencontre avec Callie, dont son frère est l’artisan. Ses pulsions sont tout aussi sombres que celles de Luther.
Chez Willocks, personne n’est innocent, personne n’échappe à la violence du monde, pas plus qu’à ses pulsions de mort. C’est tout l’intérêt à mon sens de ce roman : la vision, extrêmement sombre, de l’humain, qui est en même temps une vision déchirante, tragique, bouleversante. Personne n’est innocent, mais tout le monde essaie de composer avec cette donnée – à part Jefferson, plus désabusé que les autres personnages – et de limiter les dégâts.
Il y a quelques scènes particulièrement réussies ou qui en tout cas m’ont davantage touchée : le face-à-face entre Luther et son père, les dialogues entre Jefferson et Grimes. L’ensemble du roman est parfaitement maîtrisé : on ne souffle pas mais on ne s’essouffle pas non plus. C’est un univers oppressant comme le bayou, poisseux comme les bas-fonds de la Nouvelle-Orléans, d’une noirceur telle qu’il est un peu difficile de passer à autre chose, d’entrer dans un autre roman. Un conseil : avant de refermer le livre, relisez le prologue, qui prend alors tout son sens (mais qui est un peu cryptique à la première lecture)…

Pour qui ?
Pour les amateurs de roman noir TRES noir.

Le mot de la fin
Je le laisse à Tim Willocks, dans une évocation de la Nouvelle Orleans qui synthétise toute la noirceur de cet univers :
« La ville était un puzzle dément de splendeur et de ruine, de joie et de tristesse, de régénération et de pourriture. Contrairement aux villes plus récentes à la croissance démesurée qui, sur les côtes Est et Ouest, attiraient l’attention par leurs cris, ou au monstre austère, tapi sur les rives du lac Michigan, la ville existait depuis trop longtemps et elle en avait trop vu pour ressentir la nécessité de porter un masque particulier. C’était un sac rempli pêle-mêle de tout ce putain de monde, que l’on avait secoué et vidé sur une langue de terre, à la lisière du continent où, avec un peu de chance, le reste du pays ne lui prêterait pas trop attention. »

Tim Willocks, Bad City Blues (Bad City Blues), Editions de l’Olivier, 1999. Traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Elisabeth Peellaert. Lu dans l’édition Points/Roman noir. Publication originale : Random House, 1991. 

Et hop! un roman qui entre dans le challenge de Myrtille:


mercredi 17 octobre 2012

Coelacanth de Kayoko Shimotsuki


Présentation
Le lycée est bouleversé par une nouvelle inattendue : un des professeurs a été assassiné. Hisano est l’une des seules à ne pas être bouleversée. En revanche, l’événement la ramène à une autre tragédie, qui s’est produite dix ans auparavant : une explosion a détruit l’immeuble où elle vivait petite fille, tuant un jeune couple. Elle ne se trouvait pas sur les lieux, mais alors qu’elle rentrait à la maison, elle a été renversée par un petit garçon, l’un de ses voisins, le fils d’une des victimes. En percutant Hisano avec son vélo, les vêtements pleins de sang, il a laissé tomber une pierre en forme d’écaille que la fillette a gardé comme un porte-bonheur. Dix ans plus tard, alors que la police enquête sur la mort du professeur, un mystérieux garçon surgit dans la vie de Hisano : il pourrait être le garçonnet en fuite, en tout cas il possède un bijou d’où provient la pierre gardée par la jeune fille. Qui est-il ? Que veut-il à Hisano ?...

Mon avis
Le titre et la somptueuse couverture ont attiré mon attention sur Coelacanth. Comme pour Souvenirs de demain, un affichage éditorial en shojo manga, que je trouve pour le coup bien moins évident… Ou disons que Coelacanth est du shojo thriller (je ne sais pas si ça existe…). D’emblée, l’atmosphère est très troublante : si l’héroïne est émue par le mystérieux garçon possesseur du bijou, on est très loin d’une bluette sentimentale. Hisano est très perturbée : elle est constamment accompagnée d’un mouton, qui commente ses actes et ses pensées, en la mettant à jour. Je ne sais s’il s’agit d’un motif de la culture japonaise, mais au moins pour le lecteur occidental peu familier des codes (moi, donc !), cela insuffle une atmosphère très particulière au récit. Surtout, on est très rapidement propulsé dans une histoire très sombre, tant par l’évocation du passé tragique (notamment pour le garçonnet, qui évoluait dans un contexte familial terrible) que par les dangers qui semblent peser sur les épaules de Hisano. Le premier volume se clôt sur un suspense insoutenable : il faudra patienter jusqu’en janvier 2013 pour connaître la suite (et la fin, heureusement, c’est une histoire en deux volumes seulement).
Vous l’aurez compris, j’ai beaucoup aimé, ma récente moisson manga fut donc des meilleures… L’histoire est assez complexe : beaucoup de non-dits (nécessaires au suspense), plusieurs fils narratifs (le meurtre du professeur, le passé de Hisano, l’histoire du garçonnet, le jeune homme et son entourage), tout cela fait de Coelacanth un volume assez exigeant. Le tout est servi par un graphisme efficace, un trait plutôt précis, dans un dessin qui réussit à être à la fois dépouillé et précis. C’est une histoire très sombre, tant par les événements passés qui sont évoqués que par la tension narrative qui s’installe très rapidement. J’ai hâte de connaître la fin de l’histoire !


Pour qui ?
Pour tous les amateurs de manga : ne pas s’arrêter à l’étiquette shojo… Pour ceux qui aiment les récits policiers, du genre thriller, en bande dessinée.

Le mot de la fin
Quel suspense ! ;-)



Kayoko Shimotsuki, Coelacanth (シーラカンス), vol.1,  Soleil Productions, 2012. Traduit du japonais par Patrick Alfonsi. Publication originale: Kôdansha, 2008.

mardi 16 octobre 2012

L'Herbe des nuits de Patrick Modiano


Présentation
Franchement, présenter ce roman est bien difficile. Alors, disons que Jean se souvient du jeune homme qu’il a été au siècle passé, de cette mystérieuse jeune femme, Dannie, impliquée dans une sale affaire, de l’Unic Hôtel à Montparnasse, de cet interrogatoire quai de Gesvres par un policier à la fois sympathique et inquiétant… Les pièces du puzzle se reconstituent peu à peu, mais là n’est pas l’essentiel, dans un roman de Modiano.

Mon avis
Oui, Modiano écrit toujours le même livre, distillant une petite musique à la fois nostalgique et déchirante, et je tombe sous le charme à chaque fois. L’Herbe des nuits ne déroge pas à la règle. Deux niveaux temporels, un narrateur qui déambule dans Paris et se souvient de sa jeunesse, de ses fréquentations, de l’atmosphère un peu étrange qui était celle d’un Paris interlope, vaguement dangereux. Les rues de Paris sont pleines de fantômes, celui de Dannie, celui des hommes qui l’entourent, celui de l’affaire Ben Barka, mais tout est évoqué en pointillés, embrumé par le souvenir et la mélancolie. Comme toujours, le récit livre des bribes d’informations, et nous reconstituons peu à peu une affaire à la fois extraordinaire et banale, qui implique Dannie, ou celle qui se fait appeler ainsi.
Lire L’Herbe des nuits, c’est accepter de plonger dans cette atmosphère mélancolique, poétique, accepter de se laisser porter par les déambulations du personnage, Jean, par ses rêveries, et sombrer soi-même dans une sorte de rêve éveillé. On aime ou non, c’est évident. Moi j’aime énormément, toutefois je ne conseillerais pas de commencer par ce livre-là pour découvrir Modiano.
Je suis toujours amusée par les critiques, qui semblent découvrir à chaque fois que Modiano flirte avec le roman noir. Oui, il y a une ambiance qui rappelle les romans noirs des fondateurs du noir en France, pour ma part je pense à André Héléna… Mais s’il en manipule certains codes, Modiano est très éloigné du propos du noir : il n’entend pas peindre son époque dans toute sa réalité sociale, il se perd dans les méandres du passé avec mélancolie.

Pour qui ?
Pour les lecteurs de Modiano. Pour les mélancoliques.

Le mot de la fin
Modianesque (donc irrésistible pour moi).

Patrick Modiano, L'Herbe des nuits, Gallimard, 2012.

lundi 15 octobre 2012

Toulouse Polars du Sud édition 2012



Voilà. C’était mon premier Toulouse Polars du Sud, festival international des littératures policières. Et ce n’est pas le dernier, je vous prie de me croire !

Impossible de s’arracher au travail vendredi. Nous avons donc pris la route dès que possible, mais ce n’est que samedi matin que nous nous sommes rendus au Forum de la Renaissance pour assister aux réjouissances. Tout d’abord, salve de discours d’inauguration (dont celui, toujours impeccable, du président Claude Mesplède), remise des prix et premiers tours sous le chapiteau où se tenaient d’ores et déjà de nombreux auteurs (liste ici). 
Là, une vue du chapiteau entre 10 et 11 heures le samedi matin :
 
L’après-midi, nous avons un peu failli à nos devoirs de festivaliers. Le festival s’était associé à la Novela, festival scientifique de la ville de Toulouse : du coup, certaines tables rondes et rencontres se déroulaient dans le centre de Toulouse, au Muséum d'histoire naturelle. Cela interessait vivement mon cher et tendre (moi mon coeur balançait entre toutes les rencontres...). Fort bien. Nous avons donc quitté la Renaissance et Basso Cambo. Mais nous ne sommes pas toulousains, nous sommes partis sur les chapeaux de roue de notre ville sans rien préparer, sans même demander des indications aux organisateurs, et patatras… Nous avons perdu beaucoup de temps pour nous rendre au musée, et surtout, une fois sur place, nous n’avons pas trouvé le lieu exact de la rencontre, et personne n’a su nous renseigner (il y avait aussi les manifestations de la semaine de la science). Un peu découragés et fatigués, nous sommes partis nous promener dans Toulouse.
Dimanche, retour au Forum de la Renaissance, et nous avons assisté à deux tables rondes et avons écouté tour à tour R.J. Ellory, Arni Thorarinsson et Tim Willocks… Je ne vous parlerai que de ces rencontres (vous n’avez pas toute la vie pour me lire, non plus).

R.J. Ellory ne révolutionne sans doute pas le polar, mais il est passionnant : l’écouter a été de loin le moment le plus fort à mes yeux, parce qu’il a parlé de ce qui m’intéresse le plus, sa façon de travailler (entre autres choses). Il a conquis mon cher et tendre, qui a très envie de le lire (attention, il est bien plus exigeant que moi, on verra ce que ça donne…). Nous sommes allés le voir ensuite au stand de dédicaces et avons échangé quelques paroles avec lui (il a la bonté de comprendre mon anglais, God bless R.J. Ellory !) tandis que je faisais l’acquisition des Anges de New York, que m’a aussitôt confisqué mon cher et tendre. Bon, j’ai désormais l’ensemble des œuvres de R.J. Ellory traduites en français. Même si j’ai des réserves sur les deux romans que j’ai déjà lus, je dois reconnaître que je prends du plaisir à le lire et que l’homme est tellement sympathique et intéressant que cela me rend plus indulgente (oui je sais, c’est idiot).


 Tim Willocks m’a beaucoup impressionnée, à tel point que je n’ai pas osé aller le voir sur son stand (une vraie gamine !) : mais j’ai acheté en rentrant Bad City Blues, qui m’a l’air bien tordu, violent et noir… J’ai adoré Doglands, mais je suis peu tentée par La Religion : je n’aime pas beaucoup les fictions historiques, j’hésite donc à me lancer dans cette somme de 850 pages (vos avis et encouragements sont toutefois les bienvenus). Je ne suis pas toujours d’accord avec sa vision de l’humain, du moins telle qu’il l’a exprimée dans l’interview, mais entre nous, ça lui fait une belle jambe, et ce n’est pas pour ça que je ne serai pas conquise par Bad City Blues



J’ai en revanche été déçue par la rencontre avec Thorarinsson, coincée entre les deux géants anglais. J’avais pourtant aimé Le temps de la sorcière, lu il y a un an ou deux. Je n’avais pas éprouvé le besoin de me précipiter sur les autres volumes de la série, mais je m’étais promis d’en lire d’autres. A quoi ma déception tient-elle ? L’homme est adorable, drôle. Mais j’ai eu le sentiment de ne pas apprendre grand-chose sur sa façon d’écrire, et j’ai  trouvé la rencontre un peu poussive, vaguement ennuyeuse. C’est peut-être moi, ma fatigue, allez savoir.
J’arrête là mes résumés et impressions des rencontres. J’ai raté beaucoup de choses, vous l’avez compris. D’une certaine manière, c’est bien ainsi. Nous avons été TRES raisonnables dans nos achats, sachant que nous nous sommes restreints :
Silvia Avallone, D'Acier, Liana Levi. Prix Violeta Negra (prix du festival)!!!
Bézian, Trilogie Adam Sarlech, Les Humanoïdes Associés. 
R.J. Ellory, Les Anges de New York, Sonatine.
Jean-Hugues Oppel, French Tabloïds et Chaton: trilogie (pour un ami), Rivages/Noir.
Karim Madani, Le "Journal infirme" de Clara Muller,Sarbacane.
Paco Ignacio Taibo II, Défunts disparus (pour mon cher et tendre, grand fan), Rivages/Noir.
Ignacio del Valle, Empereurs des ténèbres, Phébus/Libretto.
  
Sont restés dans l’ombre pour moi la plupart des auteurs hispanophones (excepté Ignacio Del Valle parce que mon cher et tendre était très tenté par l’un de ses romans, que je lirai aussi, évidemment), c’est dommage, je sais…

D’une manière générale, j’ai adoré être au festival : il est très bien organisé (chapeau bas aux organisateurs et aux bénévoles) et il y a quelque chose de très apaisant dans le fait d’être aux lisières de Toulouse, avec des gens qui savent pourquoi ils sont venus (tout le monde porte un intérêt au polar, pas de défilé devant les auteurs comme dans un zoo), dans un chapiteau dont les stands donnent de furieuses envies de lecture. Je n’ai jamais ressenti cela dans les festivals ou salons généralistes, que ce soit en province ou à Paris. J’avais envie de tout essayer, de tout lire (ou presque), je me sentais un peu hors du monde, hors d’atteinte et c’était bien… Les auteurs sont éminemment abordables, d’une gentillesse extrême. Certes, je n’ai pas osé aborder Tim Willocks, pas plus que l’immense éditeur François Guérif, parce que j’ai une telle admiration pour son travail passé chez Rivages que je suis tétanisée face à lui (et puis que lui dire, sinon des banalités ?).
En revanche, j’ai guetté et apostrophé le très gentil Karim Madani : je voulais me faire dédicacer Le Journal infirme de Clara Muller et je me demandais s’il allait à son stand, captivé qu’il était par de nombreux autres auteurs et livres. Il a dû se demander qui étaient ces deux fous qui le pressaient, mais tant pis ! Nous avons échangé quelques mots sur Le Jour du fléau, sur ses influences, sur ses projets d’écriture.
J’ai renoncé à me faire dédicacer Mapuche : d’abord le dimanche il n’y avait plus un seul exemplaire de La jambe gauche de Joe Strummer, que mon cher et tendre, en bon fan des Clash, voulait acheter, et surtout, j’ai l’impression que Caryl Ferey a surtout signé pendant que j’écoutais des tables rondes et des interviews. Je n’ai pas réussi à le voir à sa table de dédicaces… Tant pis ! Le sort s’acharne : je l’ai raté dans ma ville lorsqu’il est venu en dédicace (grève SNCF puis nouvelle date à laquelle j’étais en déplacement), j’en déduis donc qu’il y a un complot international (au moins) contre moi… Plus sérieusement, je sais que je lirai Mapuche. Si j’ai été réservée sur Haka, lu il y a fort longtemps et dont j’ai presque tout oublié, j’ai été « espantée » par Zulu, que je considère comme un grand roman noir.

J’ai enfin eu le plaisir de revoir Claude Mesplède et son épouse et d’échanger quelques mots avec Jean-Marc Laherrère, qui est à mes yeux LA référence critique en matière de noir depuis des années déjà.

Bref : j’ai adoré le festival, mon cher et tendre a pris goût aux dédicaces et aux échanges avec les auteurs (et il n’était pas convaincu d’avance sur ce point). Sauf problème, nous retournerons à TPS l’an prochain et je vais même guetter la constitution de la liste des invités (pressenti : Luis Sepùlveda, dixit Claude Mesplède dans son discours d’inauguration) comme je surveille la set-list de Rock en Seine ! Une fan de polars, quoi !


vendredi 12 octobre 2012

Nord et Sud d'Elizabeth Gaskell


Présentation (éditeur)
C'est le choc de deux Angleterre que le roman nous invite à découvrir : le Sud, paisible, rural et conservateur, et le Nord, industriel, énergique et âpre. Entre les deux, la figure de l'héroïne, la jeune et belle Margaret Hale. Après un long séjour à Londres chez sa tante, elle regagne le presbytère familial dans un village du sud de l'Angleterre. Peu après son retour, son père renonce à l'Eglise et déracine sa famille pour s'installer dans une ville du Nord. Margaret va devoir s'adapter à une nouvelle vie en découvrant le monde industriel avec ses grèves, sa brutalité et sa cruauté. Sa conscience sociale s'éveille à travers les liens qu'elle tisse avec certains ouvriers des filatures locales, et les rapports difficiles qui l'opposent à leur patron, John Thornton. En même temps qu'un étonnant portrait de femme dans l'Angleterre du milieu du XIXe siècle, Elizabeth Gaskell brosse ici une de ces larges fresques dont les romanciers victoriens ont le secret.

Mon avis
Je suis totalement conquise. Je ne connaissais pas du tout Elizabeth Gaskell (même pas de nom, shame on me !) et je remercie l’amie (qui se reconnaîtra) qui m’a suggéré ce titre après nos échanges sur Jane Eyre. Certes, le roman n’a pas, dès le début, le souffle romanesque des récits des sœurs Brontë : il y a chez Gaskell un souci du contexte qui empêche dans un premier temps le déploiement d’un lyrisme échevelé… Attention ! cela ne rend pas le roman ennuyeux, pas le moins du monde, et c’est même l’un des intérêts du récit que de peindre l’Angleterre de cette époque, qu’il s’agisse des régions rurales, dans le sud, ou des contrées industrieuses alors en plein essor, dans le nord. Il n’y a pas le moindre manichéisme ou simplisme ici : on n’oppose pas les bucoliques villages où il fait bon vivre aux noires cités enfumées. La vie est dure dans les campagnes, pour les plus humbles, et les cités du nord sont pleines d’énergie. Aucun simplisme non plus dans l’évocation des classes sociales – je n’ose dire la lutte des classes mais c’est pourtant l’un des sujets du roman – car Elizabeth Gaskell propose tour à tour des points de vue ouvriers et patronaux, sans en idéaliser aucun, sans en outrer les positions non plus. Bien entendu, la peinture de ces classes et le propos développé sembleront datés à certains et empreints de romanesque, mais on ne peut reprocher à l’auteure d’avoir les idées de son époque (tout de même très progressistes), ni d’écrire un roman…
J’ai beaucoup apprécié chacun des personnages : Margaret, quoique dotée de la naïveté d’une jeune fille de son époque, est un personnage complexe, et surtout, surtout, elle n’a rien d’une nunuche ! Le roman comporte une histoire d’amour (j’y viens, j’y viens) mais il nous relate avant tout la conquête de son indépendance par une très jeune femme de milieu modeste et éduquée. Sans effronterie, Margaret fait toujours entendre son point de vue, ou ses interrogations. Elle n’est pas dépourvue de préjugés mais elle sait réfléchir et changer d’opinion, elle ne parvient pas à se cantonner au rôle de la jolie jeune femme en société, toujours plus intéressée par les conversations sérieuses des hommes que par les mondanités et frivolités des femmes. A côté d’elle, Elizabeth Gaskell fait exister chacun des personnages, des plus importants – Mr Hale ou Mr Thornton – aux plus discrets – Fanny par exemple – en passant par des personnalités hautes en couleur, comme Mme Thornton (peu sympathique mais que l’on comprend fort bien) ou Mr Bell, que j’ai adoré et qui insuffle un brin d’humour dans le roman.
L’histoire d’amour est introduite rapidement, mais j’emploie l’expression faute de mieux. Les personnages ne savent pas eux-mêmes qu’ils sont amoureux, dans un premier temps, même si Thornton en prend conscience bien plus rapidement que Margaret. Vous allez dire que je me la pète, mais tant pis : pour ces deux-là, tout se passe comme dans les pièces de Marivaux (ben oui, on a jadis lu quelques classiques, on a aimé ça et on s’en souvient). Oh ! pas de marivaudage en vue, ils ne sont pas assez légers pour ça (et ils évoluent dans un monde trop dur pour badiner) : mais la révélation du sentiment amoureux advient de la même manière. Dans un premier temps, il y a une logique de défiance, d’affrontement, de rejet apparent. Margaret est rebutée par les manières rustres du « boutiquier » (cela fait partie de ses préjugés sociaux), tandis que Thornton aborrhe son caractère hautain. Puis les corps parlent, malgré eux : on rougit, on se trouble, on tremble, la respiration est altérée… L’émoi amoureux échappe complètement aux personnages, ils ne comprennent pas forcément leur trouble ou se méprennent (l’interprétant comme du rejet). Enfin viennent la révélation à soi-même, la prise de conscience, tardives pour Margaret… Voilà : j’ai adoré cette évocation subtile, anti-sentimentale en quelque sorte, de l’émoi amoureux, qui s’empare du corps avant d’être verbalisé. Cela rend le roman follement romanesque tout en lui évitant l’écueil du sentimentalisme et de la mièvrerie. D’ailleurs, à cet égard, le roman se clôt presque brutalement. Ce qui compte, c’est que Margaret ait conquis son autonomie, qu’elle sache ce qu’elle veut. La réalisation amoureuse vient à partir de là, elle n’est pas le but ultime : et ça me plaît !
Aucun temps mort dans le roman : si j’ai mis longtemps à le lire, c’est que j’étais trop fatiguée pour poursuivre ma lecture comme je l’aurais voulu, mais j’avais hâte de m’y replonger. Le rythme est parfaitement maîtrisé, avec une progressive montée en puissance. En dépit du temps que j’ai mis à lire ce roman, je peux dire que je l’ai dévoré !

Pour qui ?
Pour tous les amateurs de romans victoriens. Pour tous ceux qui ont envie d’un roman social ET romanesque à souhait. Pour ceux qui ont envie de voir une héroïne pas nunuche.
Pour tous, en fait.

Le mot de la fin
Encore !

Elizabeth Gaskell, Nord et Sud (North and South), Fayard, 2005. Traduit de l'anglais (Royaume-Uni) par Françoise du Sorbier.  Disponible en Points Seuil. Lu en e-book. 

jeudi 11 octobre 2012

Souvenirs de demain par Ayuko


Présentation
Quatre récits (je n’ose dire « nouvelles ») qui se déroulent de nos jours ou dans un futur proche, chacune ayant pour héroïne une jeune fille (ou plusieurs), une adolescente dont la vie bascule, généralement à cause d’une rencontre heureuse ou malheureuse. Parce que nous sommes dans le genre du shojo, qui s’adresse aux jeunes filles, il est question d’amour, mais ce n’est pas l’essentiel : le shojo est ici « perturbé » par la science-fiction ou le fantastique… Un messager venu du futur vient troubler les sentiments qui unissent deux adolescents dans « Avant de traverser le temps » ; le comportement du « Petit frère » vient modifier les relations entre Nagi et le séduisant Takumi ; dans le « Café des cœurs brisés », un groupe de jeunes filles se découvre un petit ami en commun ; dans « Us, you and me », Eri fait ses premiers pas de mangaka aux côtés de Ranko ; enfin, dans « Souvenirs de demain », deux jeunes filles doivent découvrir ce qui les rend inséparables (littéralement) dans les moments qui ont précédé leur mort.

Mon avis
Je ne suis pas une grande lectrice de mangas : la longueur de certaines séries me décourage – pas de patience, trop de place occupée sur les étagères – et j’ai parfois du mal à me repérer dans cette production pléthorique. J’affectionne donc les one shot, ou les séries courtes, exception faite pour le charmant Yotsuba, dont le fonctionnement en strips me permet de ne pas perdre le fil entre deux volumes…
Samedi dernier, en parcourant les rayons d’une librairie, je suis tout de même tombée sur des mangas qui m’ont fait envie, par leur illustration de couverture et/ou leur titre. Tous étaient rangés en shojo : je me méfie de ce genre de mangas, que je soupçonne souvent de mièvrerie, je le confesse… Le titre, Souvenirs de demain, m’a intriguée. De fait, c’est du shojo : comme je disais dans ma présentation bien maladroite (je me suis pourtant donné du mal, juré !), il est toujours question d’amour. Mais ce sont des portraits d’adolescentes qui sont saisis, et également, en contrepoint, d’adolescents, dans leurs relations sentimentales, familiales, amicales, avec pour arrière-plan le lycée, qui n’est pas forcément un lieu paisible, pas plus que la famille, d’ailleurs. Les histoires sont un peu inégales, j’ai moins aimé « Us, you and me » : je pense que c’est normal dans un recueil de récits parfois écrits à des moments différents (voir la postface de l’auteure)… Mais globalement, ce one shot m’a séduite, surprise parfois, et sans être le moins du monde une spécialiste, j’ai eu le sentiment que les codes du shojo se trouvaient délicatement retravaillés, sans la mièvrerie redoutée. L’émotion est au rendez-vous dans les histoires qui composent Souvenirs de demain (plus dans certaines que dans d’autres à mes yeux), parfois sur un mode tragique ; on est ici dans un shojo assez sombre, et c’est ce qui m’a plu.  
Comme il est logique avec ce type d’histoires, le dessin se concentre beaucoup sur les visages, leurs expressions, et il ne me semble pas que le volume déroge beaucoup au style du genre, mais cela n’a rien de gênant. Il y a une grande douceur dans le trait de Ayuko, justement quand elle dessine ces jeunes filles un peu perdues. Et elle s’y entend à merveille pour restituer certaines atmosphères, par des décors, des paysages. Bref, un très agréable moment de lecture !

Pour qui ?
Pour adolescentes, évidemment. Pour ceux et celles qui ont envie de lire un shojo manga un peu différent.

Le mot de la fin
Après le bouleversant Mad World, découvert cet été et dont j’attends avec impatience le tome 2, une jolie découverte. Je pense que je jetterai un coup d’œil sur les deux autres titres d’Ayuko publiés par Glénat, qui semble parier sur cette mangaka : Proche horizon (un autre recueil de récits, si j’ai bien compris), et The Earl and the Fairy, série brève qui se situe dans l’Angleterre de la fin du 19ème siècle…

Ayuko, Souvenirs de demain, Glénat, 2012. Traduit du japonais par Satoko Fujimoto et Anthony Prezman. Publication originale : 2009.

lundi 8 octobre 2012

Comme un lundi…




Bon, une nouvelle semaine qui commence, et pas assez de temps consacré à la lecture ce week-end, du moins à mon goût … Ceci dit, j’avance lentement mais sûrement dans Nord et Sud d’Elizabeth Gaskell, qui me plaît.
Ce samedi, dans les rayons bande dessinée, mon œil a été attiré par deux mangas qui viennent d’être publiés : je suis repartie avec le premier volume de Coelacanth de Kayoko Shimotsuki (chez Soleil), et Souvenirs de demain de Ayuko (chez Glénat). Je vous en reparle très vite.
J’ai également décidé de participer au challenge « La Nouvelle Orléans et la Louisiane » de Myrtille, j’attends que M. le Postier m’amène le roman commandé à cette occasion, même si j’hésite encore entre l’ouvrage acheté exprès (ben oui, l’idée, c’est aussi de découvrir des auteurs, non ?) et une histoire de vampires qui traîne sur mes étagères depuis… pouf ! je n’ose pas dire depuis quand…
Il n’est pas certain que je lise beaucoup cette semaine (beaucoup de travail), et le week-end prochain, je file à Toulouse pour le festival Toulouse Polars du Sud ! 

C’est la première fois que j’y vais, je suis bien contente ! Il sera beaucoup question de livres, de lecture, je suppose que je reviendrai avec de nouveaux polars, mais à coup sûr, je ne lirai pas beaucoup…
Bonne semaine !

samedi 6 octobre 2012

Luther Saison 1



Présentation
Le personnage qui donne son nom à la série est John Luther, un officier de police londonien affecté à la brigade criminelle : récemment séparé de sa femme qui ne supporte plus de le voir vivre avec les morts bien plus qu’avec les vivants, il est à la fois un enquêteur hors pair et un homme sombre et torturé, bien souvent tenté de franchir la limite pour arrêter les criminels… Le premier épisode le voit aux prises avec une redoutable tueuse, qu’il suspecte d’avoir massacré ses parents.

Mon avis
J’avais acheté les deux premières saisons de Luther, série produite par la BBC, lors d’un séjour à Londres en décembre 2011, mais je n’avais pas pris le temps de les regarder. J’en avais entendu parler dans Les Inrockuptibles, qui soulignaient la grande qualité de cette série très noire. Je me suis enfin plongée dans la première saison le week-end dernier, sachant qu’elle ne comprend que six épisodes.
Et bon sang ! après un premier épisode qui m’a décontenancée, je n’ai pas été déçue. Les premières scènes posent le personnage dans toute sa noirceur : avant de découvrir l’extraordinaire enquêteur, on aborde un personnage digne de Chandler et de ce que le roman noir a fait de meilleur. L’homme est torturé, mais il a des valeurs, même si celles-ci le conduisent parfois à des actes peu en accord avec ses fonctions. Dans le premier épisode, j’ai craint un instant que la série ne tombe dans des ornières bien connues : son affrontement avec Alice la tueuse me laissait penser que le personnage allait être trop « héroïsé », si vous m’autorisez le barbarisme, et que le duel avec la jeune femme allait être à la fois éprouvant pour mes nerfs et nimbé d’un goût de déjà-vu… Mais le deuxième épisode m’a rassurée. Certes, John Luther est un héros comme la grande tradition de la littérature populaire a pu en fournir : il est grand, il est beau, il est fort, il est intelligent. Mais parce qu’il est aussi travaillé comme un personnage de hardboiled, il est complexe, sombre et dangereux. Le personnage d’Alice est très intéressant : le scénariste retravaille le cliché de la perverse narcissique, et de fait, elle est à la fois la némésis de Luther et sa plus précieuse alliée, sans doute parce que, comme tout bon méchant (qu’on songe à Moriarty), elle est aussi le double sombre de Luther, elle le comprend mieux que personne. Elle reste effrayante, et Luther lui-même lui avoue avoir peur d’elle, mais elle offre au spectateur le spectacle d’une sorte de déchaînement pulsionnel maîtrisé (je sais, la formulation est bizarre) tout à fait jubilatoire. 
Les intrigues sont elles aussi remarquables. Bien sûr, il y a eu des moments où j’ai trouvé le scénario un peu trop axé sur Luther-sa-vie-son-œuvre-ses-tourments, et les deux derniers épisodes (surtout le dernier) auraient pu me décevoir. En outre, les cas sont parfois invraisemblables (que de tueurs en série !), mais ils sont contrebalancés par une certaine rigueur dans le déroulement de l’investigation. En tout cas, je dois admettre qu’il y a là une montée en puissance, en termes de tension narrative, parfaitement maîtrisée, quelques surprises aussi. J’avoue ma préférence pour les épisodes où Luther enquête, tout simplement, avec mention spéciale pour les épisodes 2 et 4… Le deuxième épisode m’a vraiment emballée, c’est du noir comme j’aime, avec un personnage d’assassin à la fois monstrueux et tragique, et un scénario dépourvu de manichéisme. Le quatrième épisode est également terrible, il parvient à revisiter le motif archi-rebattu du tueur en série par le développement de l’intrigue : la fin est insoutenable tant elle tient en haleine, et l’ultime scène est noire à souhait…
Le tout est impeccablement filmé : c’est très anglais, très londonien devrais-je dire, la mise en scène est nerveuse, jamais affectée, toujours efficace. Les comédiens sont tous impeccables : Idrissa Elba est somptueux, et j’ai aimé retrouver Ruth Wilson, certes dans un registre différent de Jane Eyre !
A mentionner, un clin d’œil dans l’avant-dernier épisode de la saison 1 à New York Unité Spéciale : l’un des détectives fait appel, pour identifier deux gangsters américains, à un certain Munch, détective à l’unité spéciale pour les victimes de New York. Sachant que Munch est mon personnage préféré dans cette série pas terrible (en tout cas très largement inférieure à New York Police Judiciaire dont elle est un spin-off), j’ai apprécié…
En conclusion : j’ai failli être déçue par l’héroïsation outrée du personnage de Luther, et d’habitude je n’aime guère qu’on me mette sous tension comme on le fait ici. Mais parce que ça fait du bien de voir du hardboiled, j’ai tout de même aimé. Pour tout vous dire, je vais enchaîner avec un plaisir immense sur la deuxième saison, d’autant que la première se termine in medias res. Oui je sais, d’habitude, on commence in medias res, et j’en entends certains dire « oui, elle veut dire que c’est un cliffhanger, mais elle fait sa crâneuse avec le latin ». Eh bien pas du tout ! Ce n’est pas un cliffhanger parce qu’il clôt (et de manière assez satisfaisante) l’action dans ses grands traits, sans nous laisser sur un suspense insoutenable ; n’empêche qu’il ne conclut pas tout à fait et qu’on se demande bien comment tout va s’apaiser… On laisse les personnages sur le quai (littéralement), donc en pleine action. In medias res, je vous dis.

Pour qui ?
Pour les amateurs de polar, plus précisément de hardboiled. Pour ceux qui aiment les bonnes séries, tout simplement.

Le mot de la fin
Inférieur à The Wire, mais tout de même, waouh !

Luther, saison 1, série produite par la BBC, créée par Neil Cross, diffusée en 2010, Grande Bretagne. Disponible en DVD. 

jeudi 4 octobre 2012

Velvet de Mary Hooper


Présentation
Londres, dans les premières années du 20ème siècle. Velvet est une orpheline parmi tant d’autres, jadis maltraitée par un père joueur qui s’est noyé dans la Tamise. Elle travaille dans une blanchisserie, qu’elle va bientôt quitter pour entrer au service de Madame Savoya, célèbre médium qui fait fureur dans une bonne société londonienne férue de spiritisme. Elle découvre, fascinée, l’univers confortable de sa maîtresse, les attentions du beau Georges, assistant de Madame, et découvre peu à peu les coulisses du spiritisme…

Mon avis
C’est la première fois que je lis un roman de Mary Hooper : nombre d’avis, autour de moi ou sur des blogs, m’avaient tentée pour Waterloo Necropolis, mais c’est finalement sur le tout récemment paru Velvet que j’ai jeté mon dévolu, encouragée par l’avis enthousiaste d’une amie. Mon impression est pourtant mitigée.
J’ai pris un plaisir certain à cette lecture : j’ai plongé dans le Londres des années 1900, restitué avec un souci d’exactitude et de réalisme qui rend l’évocation parfois saisissante. J’ai ainsi aimé que l’on peigne le milieu des blanchisseuses auquel s’arrache, très rapidement, la jeune Velvet. J’ai adoré croiser mon cher Conan Doyle, qui, en effet, s’était à cette époque-là entiché de spiritisme (au point de se ridiculiser, d’ailleurs). Mary Hooper écrit bien et le récit est construit de manière plaisante, on ne s’ennuie jamais.  Enfin, j’ai trouvé le sujet original : la mode du spiritisme, qui atteint peut-être son apogée au tournant du siècle, fournissait un beau potentiel romanesque. J’ai beaucoup aimé les scènes où l’on voit Madame Savoya à l’œuvre, ainsi que les réactions du public.
Pourtant, j’ai été déçue, au point que je ne sais pas si je lirai un autre roman de l’auteure. L’action, pour bien construite qu’elle soit, est rapidement très prévisible et c’est un peu dommage. Je crois que je m’attendais à une atmosphère plus fantastique (la faute à l’illustration de couverture, en partie), peut-être avais-je envie de frissonner un peu, je ne sais pas… Mais il n’en est rien, Mary Hooper non seulement ne travaille pas son intrigue dans cette direction (et c’est bien son droit !) mais elle ne cherche pas à inquiéter son lecteur, pas même lors des premières rencontres avec la médium en pleine action. Nombre de passages, en italiques dans le roman, sont consacrés aux rencontres « privées », en tête-à-tête, de la médium avec certains clients fortunés : c’est à cette occasion que le lecteur est informé, assez rapidement, de la facticité des talents de Madame, tandis que notre héroïne, Velvet, n’en soupçonne rien encore. Pour moi, c’est là que le bât blesse, et à double titre. Tout d’abord, nous sommes peu à peu informés de l’escroquerie, mais suffisamment tôt pour que la suite du roman en devienne très prévisible. Pour le dire autrement, là où certains auteurs travailleraient plus longtemps sur l’ambiguïté, Mary Hooper grille un peu tôt ses cartouches, si vous me passez l’expression.
Mais cela n’est pas le plus important, d’autant que l’on pourrait m’objecter que le livre s’adresse à de jeunes lecteurs, qui n’ont pas forcément la même expérience de lecture que moi (comment ça, je me la pète ?! Non, je signale juste que je suis vieille) et qui abordent l’intrigue avec plus de fraîcheur… Non, cela m’a gênée pour une autre raison. Le reste du récit est traité selon le point de vue de Velvet, avec son innocence, son émerveillement, ses espoirs. Or, ces passages, qui dérogent à cette unité de point de vue, permettent au lecteur d’en savoir plus que l’héroïne. Par contraste, elle semble bien crédule, un brin naïve, et pour le dire carrément, un peu niaise. Or, c’est injuste : c’est simplement une très jeune fille, et elle n’est pas plus sotte que les clients fortunés, très éduqués et adultes de Madame Savoya. Mais donner les clés au lecteur crée cette impression d’une héroïne « pas ben futée »… Cela m’a d’autant plus embêtée au cours de ma lecture que Velvet se montre également sentimentalement naïve et qu’elle connaît sur ce plan un revirement final bien peu crédible, en tout cas mal préparé par la romancière selon moi. Cette remarque m’amène à un autre point : je trouve que Mary Hooper sous-exploite les personnages secondaires que sont Lizzie et ce pauvre Charlie, qui se trouve finalement ravalé au rang d’utilité narrative (surtout à la fin du roman), alors que c’est un personnage intéressant. Là encore, dommage…
Par conséquent, si j’ai lu le roman avec plaisir, je n’ai à aucun moment vibré pour l’héroïne, je n’ai pas été embarquée par une fiction que j’ai trouvée un peu plate. Et je trouve la fin un peu expédiée : je n’en dis pas plus pour ne pas dévoiler davantage l’intrigue, mais le dénouement est rapide, à la fois parce que la tension dramatique se résorbe en deux pages là où un peu de suspense n’aurait pas fait de mal, et parce que les réponses sont à mon sens bâclées. Par exemple, quid du père de Velvet ? voilà un fil narratif bien négligé, expédié en une réplique dans les dernières pages. Et les méchants ? Hop ! envolés, et voilà tout.
Qu’on me comprenne bien : Velvet reste à mon sens une littérature de jeunesse de grande qualité, le roman n’a rien d’une bluette pseudo-historique exaspérante (je ne citerai personne, allez voir du côté de chez Deuzenn pour un récent exemple…), l’ensemble reste hautement recommandable. Mais les choix narratifs de l’auteure me laissent un peu perplexes et font que Velvet n’est pas tout à fait à la hauteur de mes espérances.

En conclusion
Du roman historique de bonne tenue mais une construction et un personnage un peu décevants… Ce n’est que mon avis, évidemment.

Le mot de la fin
Encore un que j’aurais aimé aimer…

Mary Hooper, Velvet (Velvet), Editions des Grandes Personnes, 2012. Traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Fanny Ladd et Patricia Duez. Publication originale : Bloomsbury Publishing, 2011.


mardi 2 octobre 2012

Le jour du fléau de Karim Madani



Présentation
 Paco Rivera vient d'être muté à la brigade des mineurs, dans la ville d'Arkestra. Il vient des stups, où il a vécu des événements tragiques. Une enquête délicate a conduit son informatrice (et maîtresse) à la mort. Paco Rivera est un homme à la dérive, accro au sirop codéiné, hanté par ses fantômes, et ce n'est pas le quotidien de la brigade des mineurs qui va arranger les choses. Avec sa co-équipière Gina, il se lance aux trousses d'un mystérieux Photographe  qui oeuvre pour le Vatican (qui n'est pas très catholique) et à la recherche d'une adolescente disparue, Pauline. La descente aux enfers peut commencer... 

Mon avis
Le jour du fléau n’est pas un roman à mettre entre toutes les mains. Il appartient à la veine la plus sombre du roman noir, la plus désespérée. La violence y est constante, avec des passages particulièrement durs. Il y a chez Karim Madani, me semble-t-il, une parenté avec Antoine Chainas (je pense ici à Versus), mais j’ai aussi pensé à Jack O’Connell. Son Arkestra m’a en effet rappelé la cité imaginée par l’Américain, Quinsigamond (si je n’écorche pas le nom). Il est difficile de dire « j’ai aimé », parce qu’il y a des moments où l’on se demande : « mais pourquoi est-ce que je m’inflige une lecture aussi éprouvante ? » Pourtant, j’ai été embarquée dans cet univers, donc je crois pouvoir dire que j’ai aimé… Moins que Chainas, sans doute, moins que O’Connell, sûrement. L’écriture de Karim Madani est parfois un peu affectée, un peu outrée dans la stylisation. L’intrigue est somme toute assez classique : le parcours de Paco Rivera, le narrateur, est sans surprise. De perte en perte, il n’est question pour lui que de souffrance, dans une trajectoire d’expiation dont on sait bien comment elle devra se terminer. Pour certains, Paco sera un anti-héros : pour moi, c’est plus compliqué que cela. Bien sûr, il n’est pas un héros positif, une figure d’identification possible pour le lecteur (encore que, allez savoir…). Mais quoi qu’il fasse, le héros de Madani a quelque chose d’aimable, de tragique et de bouleversant ; il ira jusqu’au bout, tel le justicier de la nuit qu’épinglent certains personnages gangrénés par la corruption et le Mal. Héros, justicier (de l’inutile, cependant), face au Mal, au mal suprême, et une force exceptionnelle qui s’avère plus résistante que prévu pour ceux qui s’attachent à le détruire. Il est certain que Madani ne va pas aussi loin avec son héros que Chainas avec Nazutti…
Ceci étant dit, le roman ne manque pas de (grandes) qualités. Karim Madani travaille une langue qui, dans sa stylisation même, permet de doter l’univers d’Arkestra d’une beauté vénéneuse, et c’est aussi ce qui rend la lecture supportable. Il a en outre un vrai talent pour planter ses personnages, avec mention spéciale pour la co-équipière Gina et pour Marcel (et ses Dragibus). Les dialogues sont percutants, brillants. Il est vrai qu’on ne respire guère, dans cet univers oppressant, toxique. Mais le rythme est parfaitement maîtrisé, le roman assez court et découpé en chapitres brefs, la lecture a quelque chose de dynamique qui permet de supporter les événements relatés.
Au final, je me dis que Karim Madani, qui n’en est pas à son coup d’essai, est une plume à suivre. C’est du bon roman noir, vénéneux, poisseux. Evidemment, il faut être en forme pour lire ça, et aimer ce type d’univers…  Je pense que j’irai voir aussi du côté de ses publications pour adolescents, j’avais lu une chronique du Journal infirme de Clara Muller qui m’avait fait envie. En tout cas, vu l’univers du bonhomme, ça promet…
 
Pour qui ?
 Pour les amateurs de noir, de très très noir... Âmes sensibles s'abstenir.

Le mot de la fin
Vénéneux


A lire, l’avis de Jean-Marc Laherrère, par lequel j’avais eu connaissance de ce roman, avant que mon libraire ne me le recommande.

Karim Madani, Le jour du fléau, Gallimard/Série Noire, 2011.