Présentation
La ville de Piombino en Italie, l’usine sidérurgique qui n’emploie plus
que deux mille ouvriers quand elle en comptait vingt mille à la grande époque, et
la cité de la via Stalingrado, bâtie face à la mer, quand la municipalité
communiste trouvait juste d’offrir une belle vue aux classes populaires. Au
tournant des années 2000, l’économie mondialisée condamne l’usine à moyen terme
et l’Italie de Berlusconi a triomphé. Anna et Francesca ont treize ans lorsque
s’ouvre le roman, mais elles ont déjà la beauté du diable… Inséparables, elles quittent
peu à peu l’enfance, découvrent la vie, usent de leur pouvoir de séduction, et
rêvent de l’île d’Elbe qui flotte en face, proche et pourtant inaccessible.
Mon avis
J’avais entendu parler du roman à sa sortie, mais c’est lorsqu’il a
remporté le prix Violeta Negra au festival Toulouse Polars du Sud que je l’ai
acheté. Bien m’en a pris. J’ai pourtant eu quelques craintes au début : D’acier démarre sur les chapeaux de roue
et aurait pu devenir un récit noir très glauque, autour de deux jeunes filles
qui ont tout pour être détestées dans les premières pages et qui pourraient,
dans un autre roman, semer la désolation autour d’elles, à grands renforts de
clichés sordides… Mais les choses sont bien plus subtiles, complexes et
finalement imprévisibles sous la plume de Silvia Avallone, pour le plus grand
plaisir du lecteur. Je me suis très rapidement attachée à Anna et Francesca,
parce qu’elles ont encore, sous leurs apparences hypersexualisées, des
étonnements et des éclats d’enfants, parce qu’elles abordent la vie d’adulte
avec bien plus de peurs qu’elles ne veulent en montrer, parce qu’elles sont
plus libres dans leurs aspirations qu’on ne voudrait le penser (en même temps
que très déterminées socialement). Dans l’évocation de leur jeunesse rayonnante
et de cette cité délabrée, sous un ciel bleu à couper le souffle, il y a
quelque chose de solaire, de résolument lumineux. Cela m’a fait penser, sans
qu’il y ait aucun rapport dans le sujet, à Respirò,
ce très beau film d’Emanuele Crialese. Chacun des personnages est abordé avec
une grande tendresse : les deux amies, évidemment, leurs mères respectives,
la militante Sandra et la soumise Rosa, les jeunes mâles qui environnent les
jeunes filles, tous touchants à leur manière, entre dignité ouvrière et
puérilité virile. Il n’y a guère que les pères d’Anna et Francesca qui ne
suscitent aucun regard attendri, tant ils sont lâches ou violents, dans tous
les cas défaillants. Un point important à mes yeux mérite d’être souligné :
Silvia Avallone ne sombre jamais dans le pathos. Elle parvient à être au plus
près des personnages et de leurs émotions sans jamais jouer la carte du
tire-larme, ni de près ni de loin : j’aime ça !
D’acier est un grand roman social, désenchanté, puissant, qui offre par le
biais de ses personnages et de ses descriptions une évocation de la classe
ouvrière bien plus forte que bien des discours. J’ai lu çà et là qu’on compare
beaucoup Silvia Avallone à Emile Zola, et c’est vrai qu’il y a du Germinal dans les monstres d’acier qui
font retentir l’usine d’un vacarme assourdissant, faisant vivre les ouvriers et
les broyant tout à la fois. Cependant, la jeune romancière donne une tonalité
moins sombre à son histoire, aussi tragique soit-elle. Bien plus que Zola, elle
m’évoque ces films sociaux italiens, ceux qui datent de l’époque du
néo-réalisme ou ces films plus contemporains qui saisissent si bien une
certaine réalité de la société italienne.
Enfin, le roman est merveilleusement écrit (pour autant que je puisse
en juger en traduction) et construit. Avec un grand naturel, l’écriture saisit
les pensées, le ressenti de tous les personnages, fait résonner leur langage,
nous fait percevoir le goût du sel et l’odeur des algues, la chaleur estivale et
les bruits de la plage. Les chapitres, assez brefs, se dévorent à toute allure.
J’avais hâte d’avancer dans ma lecture, en même temps que je redoutais le
moment où le roman serait terminé. J’ai refermé le livre en ayant le sentiment
de laisser deux jeunes filles que j’aime beaucoup, à la fois triste et contente
d’avoir été embarquée par cette histoire. C’est pas chouette, ça ?
Pour qui ?
Pour tous ceux qui ont envie de lire un grand roman social sans
pesanteur, un récit empreint d’humanité, tout simplement.
Le mot de la fin
Solaire.
Silvia Avallone, D’acier (Acciaio), Liana Levi, 2011. Traduit de
l’italien par Françoise Brun. Lu dans la réédition de poche Liana Levi/Piccolo
(2012). Publication originale : Rizzoli, 2010.