jeudi 31 juillet 2014

Les vieux fourneaux de Lupano et Cauuet




Présentation (éditeur) 
Pierrot, Mimile et Antoine, trois septuagénaires, amis d'enfance, ont bien compris que vieillir est le seul moyen connu de ne pas mourir. Quitte à traîner encore un peu ici-bas, ils sont bien déterminés à le faire avec style : un oeil tourné vers un passé qui fout le camp, l'autre qui scrute un avenir de plus en plus incertain, un pied dans la tombe et la main sur le coeur. Une comédie sociale aux parfums de lutte des classes et de choc des générations, qui commence sur les chapeaux de roues par un road-movie vers la Toscane, au cours duquel Antoine va tenter de montrer qu'il n'y a pas d'âge pour commettre un crime passionnel.



Ce que j'en pense
Je ne suis ni la première ni la dernière à m'être laissée charmer par ces Vieux fourneaux. Mais bon sang, si vous aimez la bande dessinée et que vous n'avez pas encore craqué, allez-y, vous ne le regretterez pas. J'ai aimé me laisser embarquer par ces vieilles canailles, suivre leur périple, et faire connaissance avec l'ensemble de la troupe. J'ai adoré leur irrévérence, leur mauvaise foi (à l'occasion), leur côté teigneux, j'ai ri plus souvent qu'à mon tour. Mais le scénario n'est pas qu'une gentille blague, l'humour touche juste, qu'il s'agisse d'évoquer les aléas de la vieillesse ou de brosser le portrait d'une génération qui a parcouru la seconde moitié du XXème siècle, avec ses bouleversements, ses soubresauts et son legs, pas si glorieux. 
Et puis il y a le dessin, vif, précis, qui donne un visage - et un corps - à ces vieux fourneaux, et qui s'y entend pour évoquer le passé. J'ai adoré les superpositions entre passé et présent, parfois dans la même case. 
Les vieux fourneaux auront une suite, j'espère qu'elle sera à la hauteur de ce premier volume. Cela n'a pas été le coup de cœur, la grande émotion d'Un thé pour Yumiko, mais c'est tout de même un des grands plaisirs BD de cette année! 

Lupano (scénario) et Cauuet (dessin), Les Vieux fourneaux. T01, Ceux qui restent, Dargaud, 2014.

jeudi 24 juillet 2014

Literary Life de Posy Simmonds


Présentation (prière d'insérer)
«Ces chroniques ont paru chaque samedi entre 2002 et 2005 dans The Gardian Review, supplément littéraire du célèbre quotidien britannique. Ma seule consigne était que tout devait tourner autour de la vie des lettres. Je travaillais en flux tendu - recherche d'une idée le lundi, fol espoir de l'avoir trouvée le mardi, et le mercredi, jour de remise, frénésie de travail matinal, en robe de chambre parmi les miettes de toast. Puis à 11 h 50, course jusqu'au bureaux du journal, au bout de la rue (mais pas en robe de chambre) pour livrer ma planche. Le reste du mercredi était en général consacré à un lunch bien mérité.» Posy Simmonds.

Ce que j'en pense
Avant tout il faut que je vous dise. Je n'ai pas beaucoup aimé Tamara Drew, qui a quelque chose de statique et qui relève plus de l'illustration que de la bande dessinée à mes yeux. Et puis il y a deux ans, je crois, j'ai vu l'expo consacrée à Posy Simmonds au musée de la bande dessinée de Bruxelles et j'ai adoré le reste de son travail, pour la presse notamment. Je n'ai donc pas hésité à acheter Literary Life, recueil de dessins de presse, de strips parus dans The Guardian, pour le supplément littéraire. Thème imposé évidemment: la vie littéraire. Écrivains, libraires, éditeurs et dans une moindre mesure lecteurs, tout ce petit monde est égratigné avec tendresse, espièglerie, et on sourit souvent en tournant les pages. On retrouve le talon de dessinatrice de Posy Simmonds, qui m'évoque un curieux mélange entre Quentin Blake et Sempé.

J'ai donc passé un bon moment… Dire que ce fut un moment inoubliable serait toutefois exagéré, et je ne pense pas relire cet album, qui s’estompe déjà, balayé par d’autres bandes dessinées, bien plus fortes. Il manque à l’ensemble ce petit truc en plus qui rend un dessin percutant. Le regard est malicieux et pertinent mais il ne surprend pas, et le regard sur les écrivains est parfois bien convenu. Bref, j’aurais aimé que tout ça soit un peu plus corrosif. Il faut préciser aussi que plus de dix ans se sont écoulés entre la publication originale et la traduction française: le milieu de l'édition a changé depuis, le monde des libraires et des lecteurs aussi... 

Posy Simmonds, Literary Life. Scènes de la vie littéraire (Literary Life), Denoël Graphic, 2014. Traduit de l'anglais (Grande-Bretagne) par Lili Sztajn et Corinne Julve. Publication originale: 2003.

samedi 19 juillet 2014

Vilaines filles de Megan Abbott


Présentation (éditeur)
Addy et Beth sont fortes, dures à cuire, inséparables et invincibles. Membres de l'équipe de pom-pom girls du lycée, « parce qu'il faut bien quelque chose pour occuper le vide de l'adolescence ». Elles sont parfaites : leurs jambes galbées, leur ventre plat, leurs queues-de-cheval de la même longueur, leur maquillage irréprochable.Une nouvelle coach arrive au lycée et les choses commencent à changer. Grande, belle, intimidante, elle est parfaite elle aussi et place beaucoup d'espoir dans l'équipe. Toujours élégante, autoritaire, la coach mène la danse et les filles tombent vite sous sa coupe. Elles sont prêtes à tout pour obtenir ses faveurs : devenir sans cesse plus rapides, plus fortes, plus résistantes et plus minces, quitte à se faire vomir. Leur monde insipide et sans profondeur se resserre.Mais un jour, la coach franchit la ligne de trop...

Ce que j'en pense
J'ai tant aimé le roman qui m'a fait découvrir Megan Abbott que je me suis réjouie en voyant cette nouvelle parution. Je suis pourtant nettement moins convaincue par ces Vilaines filles. Ce roman ne manque pas d'atouts : des personnages rapidement dessinés, une intrigue parfaitement construite (même si je trouve le rythme un peu lent), une atmosphère vénéneuse à souhait. Il y a de belles pages sur le rapport au corps, à l'effort physique excessif, au contrôle exercé sur soi ou sur les autres. Le rapport coach/cheerleaders est fort, pourtant....
Pourtant je suis restée en dehors. Sans m'être réellement ennuyée je n'ai pas été passionnée, tout simplement parce que tout m'a semblé assez prévisible. Je ne dis pas que j'avais deviné chaque péripétie, non, mais on voit où Megan Abbott nous emmène, et le dénouement est sans surprise. Dans le genre roman sur l'adolescence vénéneuse, j'ai nettement préféré Rêves de garçons de Laura Kaschiske, ou même le roman de Marisha Pessl, La Physique des catastrophes... Bref, j'ai eu le sentiment d'avoir déjà lu cette histoire. 

Je préfère Megan Abbott quand elle lorgne sous les jupons sales de Hollywood et se penche sur les destinées de jeunes femmes broyées par une réalité trop dure. J'avoue ne pas avoir été touchée par ces jeunes filles, qui jusqu'au bout sont restées à mes yeux des caricatures. 

Megan Abbott, Vilaines filles (Dare me), Lattès/Thrillers, 2013. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jean Esch. Publication originale: 2012. Disponible en ebook.

mercredi 9 juillet 2014

Les chiens de Belfast de Sam Millar


Présentation (éditeur)
Il s'en passe de belles, à Belfast, cet hiver-là... Deux mains gauches sont découvertes dans les entrailles d'un sanglier abattu à la chasse. Vingt ans plus tôt, c'étaient des chiens sauvages échappés du zoo qui déchiquetaient les corps... Et il ne fait pas bon s'attarder dans les bars : une femme mystérieuse - pute ou pas pute? - attire plusieurs hommes de la ville dans ses filets, puis s'offre à leurs dépens des séances de torture raffinées avant de les achever. Le soin de démêler les fils sanglants de cette série macabre échoit à Karl Kane, détective privé cabossé par la vie et hanté par un drame digne d'un fantasme de James Ellroy. Et ce n'est pas la police qui va l'aider. L'humour noir, très noir, mais cultivé, de Sam Millar est de nouveau présent dans ce premier volet d'une trilogie policière pas comme les autres.

Mon avis
J’avais lu il y a quelques temps la chronique élogieuse de Jean-Marc Laherrère, et parce que j’ai eu la chance d’aller deux fois à Belfast cette année (pour le travail), j’avais très envie de lire ce roman de Sam Millar. Je me suis lancée et c’est un de mes plus jolis revirements de lecture de ces derniers temps. En effet, quand j’ai commencé ma lecture, la rudesse des premiers chapitres a failli me décourager. J’étais pourtant prévenue sur la noirceur des Chiens de Belfast, et je n’avais rien à dire sur l’écriture. Mais ma fatigue du moment entrait en collision, en quelque sorte, avec l’extrême noirceur et la violence de ce début de roman, et j’ai failli renoncer, me disant que Sam Millar trouverait son moment et que j’avais besoin d’un peu plus de douceur dans l’immédiat. Je me suis dit tout cela sans rien décider vraiment, et j’ai repris ma lecture le soir suivant, accordant aux Chiens de Belfast une dernière chance avant abandon (provisoire).
Et puis voilà, continué. Terminé. Adoré.
Ames sensibles s’abstenir : il ne faut pas avoir peur de la violence et de la noirceur, et le ton est donné dès les premières pages, insoutenables. Les chapitres suivants ne donnent guère de respiration. C’est dans un premier temps ce qui m’a rebutée : on va de mort violente en mort violente, sans bien saisir ce qui se passe (ce qui est normal), car l’action est dense, très dense.
Ce resserrement est l’une des choses qui m’a séduite : pas de temps mort, pas d’étirement, un roman à l’os (l’expression n’étant pas de bon goût dans ce cas précis), ça va vite, sans précipitation non plus. Sam Millar ne délaye pas et c’est bien.
J’ai finalement assez vite replongé dans la noirceur que j’aime, au fond… Belfast n’a rien à envier aux grandes cités explorées dans le roman noir depuis ses origines : glauque, sale, en proie à la corruption, prompte à dévorer les plus faibles, et marquée par une violence particulière, liée à son histoire tragique.
Autre élément du noir parfaitement intégré par Sam Millar : les personnages. Il y a quelques belles ordures, de somptueuses et déchirantes victimes, et puis il y a le détective, le privé, Karl Kane, flanqué d’une secrétaire et maîtresse qui ne s’en laisse pas compter, comme on les aime dans le roman noir. Le privé est abîmé à souhait, désabusé sans être cynique, prompt à se jeter tête la première dans les pires des embrouilles.
Enfin, Sam Millar maîtrise à la perfection l’art du dialogue, ça claque, c’est parfois jubilatoire et drôle, même si la tragédie reprend vite le dessus.
Le seul bémol pour moi est que l’intrigue est un poil classique, il manque pour le moment à ce qui est le premier tome d’une série un brin de lyrisme, mais Sam Millar met en place un univers, ça va peut-être venir. Je n’en suis pas sortie bouleversée comme j’ai pu l’être par Lehane dans ses meilleurs opus, par O’Connell, Ebersohn (les premiers) ou même par certains Scudder sous la plume de Lawrence Block (et ce ne sont que quelques exemples). Mais il y a là quelque chose comme une promesse, d’autant que Sam Millar lâche quelques infos sur le passé tragique de son privé qui pourraient bien nourrir les volumes à venir. Je parie en tout cas sur une montée en puissance émotionnelle. En attendant, j’ai lu un roman noir de chez noir, parfaitement maîtrisé, écrit à l’os, posant de somptueux personnages : si je n’en ressors pas bouleversée, j’en ressors enthousiaste.

Lisez aussi l'avis de la Petite Souris, de Yan

Pour qui ?
Pour ceux qui ne sont pas rebutés par du noir d’encre.

Le mot de la fin
L’Irlande, l’autre pays du polar.


Sam Millar, Les Chiens de Belfast (Bloodstorm), Seuil Policiers, 2014. Traduit de l’anglais (Irlande) par Patrick Raynal. Publication originale : 2008. Disponible en ebook.