Présentation éditeur
Sébastien, documentariste en mal de projets, réussit à convaincre son producteur de l’envoyer à Nice en repérage pour un film sur les orques, ces prodigieux cétacés. Mais le spectacle auquel il assiste au parc aquatique Océland tourne au désastre lorsqu’une vieille orque entraîne son dresseur Ludo au fond de la piscine. La mort suspecte de ce dernier quelques jours plus tard à l’hôpital, alors qu’il est quasiment rétabli, ainsi que celle de son ami journaliste à La Provence persuadent Sébastien qu’Océland baigne dans un milieu aussi saumâtre que l’eau de ses bassins. Depuis le couple qui dirige l’établissement jusqu’aux mafias de l’Est et du Proche-Orient, en passant par des rumeurs de sextapes dans le club de foot local : ça craint, c’est dangereux. Sébastien escomptait réaliser un film sur l’harmonie du vivant, le voilà emporté dans le tourbillon de la grande chasse d’eau des basses-fosses humaines.
Ce que j'en pense
Vous vous souvenez que j'ai découvert il y a peu, grâce à sa sortie en poche, Vincent Maillard (avec L'os de Lebowski, FOR-MI-DABLE)? Eh bien c'est à l'occasion d'Un aller-retour dans le noir à Pau que j'ai également constaté que l'auteur avait sorti, voici quelques mois (et sans doute quand le précédent est sorti en poche), un nouveau roman, Le smoking des orques.
Pour ma part, si j'ai visité nombre de zoos, dans lesquels se trouve parfois un espace de démonstration avec de gentils dauphins, je n'ai jamais vu un tel "spectacle" ni fichu les pieds dans les parcs aquatiques dont il est ici question. La raison est que c'est bourré d'enfants qui hurlent, mais passons.
Vincent Maillard nous offre avec Sébastien un de ses personnages un peu décalés, une sorte d'inadapté au milieu dans lequel il devrait pourtant trouver sa place, le monde de la télévision. Il projette de réaliser un documentaire sur les orques, et alors qu'il se rend dans un parc aquatique de la Côte d'azur pour prendre des contacts et commencer à construire son documentaire, un des soigneurs/animateurs du numéro des orques est "attaqué" par Bulko, en l'occurrence maintenu un peu trop longtemps sous l'eau et secoué comme un pantin par le splendide animal soudain incontrôlable. Deux morts suivront.
Le smoking des orques (titre superbe) est la quête sentimentale et existentielle d'un anti-héros qui ne parvient pas à jouer le jeu de son univers professionnel, superficiel, bling-bling, où la bêtise et l'argent règnent en maître. Et il est bien trop lucide et malin pour ne pas comprendre que la soudaine révolte de Bulko sent mauvais.
Si le roman n'est en rien un polar avec enquête et tout et tout, c'est bel et bien, à mon sens, un roman noir. Le prologue crée une attente (au sens de l'horizon d'attente) typique du roman noir, oriente d'emblée notre regard de lecteur. Il ne sera donc pas question d'une simple errance sentimentalo-existentielle, ni d'un roman naturaliste sur les orques, ou plutôt, ces deux aspects sont liés à un regard démystificateur, celui d'un roman noir sur une société et un monde politique corrompus, qui sacrifient sans l'ombre d'un scrupule l'équilibre d'un milieu naturel et des espèces qui l'habitent à leur intérêt (politique et surtout économique) personnel. Le smoking des orques est un roman noir parce qu'il soulève le tapis et nous montre les merdes qui sont planquées dessous, à partir d'un élément de rupture (des morts qui n'ont rien de naturel). Il le fait avec son héros mi-candide mi-désabusé, avec un propos solidement documenté (sur les orques, en particulier), et une fin ouverte qui m'a enchantée.
Et puis on retrouve ici le style caustique de Vincent Maillard, très (trop?) appuyé dans une première moitié du roman, son sens de la formule qui fait mouche ; ensuite le ton se fait plus doux-amer, et j'avoue que j'ai aimé la couleur que prend le roman lorsque Sébastien est à Vancouver. Il y a des passages superbes sur la beauté de ce milieu naturel, sans que l'on perde de vue l'auto-dérision du personnage. Mais elle passe en "moderato", en quelque sorte. Comme dans son précédent roman, il y a une forme de désespoir, un sens du tragique (oui oui, je trouve) qui me plaisent énormément, et qui font que Vincent Maillard est plus dans le noir que dans la "comédie policière". J'ai adoré également les passages intermédiaires où se font entendre les orques : si loin si proche...
En résumé : Le smoking des orques, superbe titre pour un roman à lire absolument, par un auteur qui a sa petite musique singulière dans le roman noir, le tout dans un grand format très très beau (oui je suis superficielle).
Vincent Maillard, Le smoking des orques, Philippe Rey, 2023.