Présentation éditeur
Los Angeles, 4 août 1962. La ville est en proie à la canicule, Marilyn Monroe vient de succomber à une overdose dans sa villa, et Gwen Perloff, une actrice de série B, est kidnappée dans d’étranges circonstances. Cela suffit à plonger le LAPD dans l’effervescence. Le Chef Bill Parker fait appel à une éminence grise d’Hollywood, l’électron libre Freddy Otash, qui va mener une enquête aux multiples ramifications et rebondissements.
Ce que j'en pense
Je le confesse, j'avais un peu laissé tomber Ellroy ces dernières années, me contentant de relire Le Dahlia noir. Après avoir lu Panique générale, j'ai attaqué Les Enchanteurs cet été (merci Rivages Noir), et je m'amuse de certaines réactions hostiles, parfois un peu snobinardes. Est-ce que James Ellroy se répète? D'abord, il me semble (mais je ne suis pas une experte en Ellroy) que son écriture a beaucoup évolué au fil des années. Pas de gras, pas d'effets de manche, un staccato qui donne l'impression de l'entendre, Freddy, ou peut-être Ellroy lui-même, qui sait? Ensuite, pardon, mais ça veut dire quoi, se répéter? Modiano, à ce compte, se répète, et croyez-moi, ça me convient parfaitement. James Ellroy a une vision du monde, de l'humain, de la société et de l'Histoire, qu'il déploie de roman en roman avec une maîtrise remarquable.
Dans Les Enchanteurs, alors même qu'il reprend le personnage de Freddy Otash qui était au centre de Panique générale, il fait une oeuvre très différente. Après s'être amusé à reproduire le style racoleur de la presse à scandale, dans un roman noir irrévérencieux, à l'humour noir à souhait, il livre avec Les Enchanteurs un roman très chandlerien, un brin mélancolique, terrible et tragique.
Oh n'ayez crainte : vous y retrouverez la peinture d'une Amérique qui n'a rien d'innocent, et nul besoin d'attendre la mort de JFK pour que le pays se réveille avec une gueule de bois. C'est une constante dans l'oeuvre d'Ellroy : l'Amérique - comprenez, les USA - est pourrie jusqu'à l'os, et le récent Perfidia montrait sans complaisance la violence raciste à l'égard des Japonais (et de l'ensemble des Asiatiques) au moment de Pearl Harbor.
Pour autant, Ellroy ne fait pas oeuvre documentaire : à partir de personnes réelles et d'évènements authentiques, il s'envole, il fait son travail de romancier, animé d'une vision bien plus puissante que la non-fiction pour la transcrire. Ah il ne fait pas dans la dentelle ! JFK est un "one minute man" un peu consternant, son frère a quelque chose de profondément inquiétant : il prend la légende à rebours, si vous me passez l'expression, loin des images d'Epinal. Bobby est un homme de l'ombre, glaçant et rigide. Et que dire de Marilyn Monroe, petite arriviste sans substance...
Construit au cordeau, ne se prenant jamais les pieds dans le tapis, Ellroy tisse un récit virtuose, qui a un côté page-turner (et ce n'est pas une insulte). Certes, ce n'est pas un roman facile : il exige un lecteur attentif, mais une fois immergé, on est embarqué et il est bien difficile de quitter cet univers.
Enfin, j'ai été touchée par la mélancolie du roman. Les moments volés à Pat Kennedy (dans la famille K, je demande la soeur), les soirées sur la balancelle avec Gwen, sont d'une grande beauté. Il me semble que dans une certaine mesure, Les Enchanteurs est une forme de récit de rédemption, celle de Freddy, personnage de pourriture magnifique, jamais dupe, sacré enquêteur, marqué par ses rencontres - et ses amours - avec des femmes qui valent bien mieux que lui.
James Ellroy, Les Enchanteurs (The Enchanters), Rivages Noir, 2024. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Sophie Aslanides et Séverine Weiss.