dimanche 31 janvier 2016

Deux western en BD: Old Pa Anderson de Hermann et Yves H & Le croque-mort, le clochard et l'assassin, de Julien et Frédéric Maffre



Je me fais mon petit Angoulême personnel, en ce moment. J’ai des bandes dessinées en souffrance depuis des mois, des semaines, mais aussi des nouveautés. 
Parmi mes dernières acquisitions, la BD dessinée par le tout nouveau Grand Prix d’Angoulême, Hermann. L’album s’appelle Old Pa Anderson et son scénario est signé Yves H. qui n’est autre que le fils de Hermann. Je l’ai acheté la veille de l’annonce, parce que la promesse d’un récit noir et western me séduisait, parce qu’en la feuilletant la beauté du dessin m’a sauté au visage. Du côté du dessin, rien à dire, l’art d’Hermann est à son comble, certaines planches sont d’une époustouflante maîtrise, tant dans la composition que dans la couleur, et tout cela crée un plaisir de lecture immense. Côté scénario, je suis plus réservée. Non que l’histoire soit inintéressante ou mal fichue, non, elle est juste d’un classicisme décevant. Le récit est efficace mais archi-prévisible, quand il aurait pu être bien plus fort. Mais le dessin est si beau qu’on en pardonne le scénario convenu. 

En revanche, Le croque-mort, le clochard et l’assassin de Frédéric et Julien Maffre est une excellente surprise. Le dessin de Julien Maffre peut sembler moins abouti que celui d’Hermann dans le style western, mais je l’aime beaucoup, il est simplement d'un style différent et il se concentre peut-être davantage sur les personnages. Stern, le héros, est très loin de la représentation virile du personnage de western, il est chétif, sombre. Ce graphisme s’allie merveilleusement au scénario très noir de Frédéric Maffre, l’album apportant sa pierre à la rénovation du western en BD. C’est un premier volume qui offre une clôture satisfaisante (pas de frustration avec un cliffhanger), même si l’histoire est riche de développements potentiels. C’est le mythe de l’Amérique revisité, sur fond de racisme, de spectre de la guerre de Sécession, avec la prohibition qui se profile au loin. Par ses personnages abimés et complexes, la bande dessinée porte une belle dose de mélancolie, et c’est un des ingrédients de la réussite de cet album. Pas de simplisme, une certaine lenteur, de beaux personnages: j’ai hâte de lire le deuxième volume. 
Et je remercie ma chère Miss Cornelia qui m’a offert l’album…

Hermann (dessin) et Yves H. (scénario), Old Pa Anderson, Le Lombard, coll. Signé, 2016. 

Maffre Julien (dessin) et Maffre Frédéric (scénario), Stern volume 1, Le croque-mort, le clochard et l’assassin, Dargaud, 2015.

jeudi 28 janvier 2016

Dragon de Thomas Day


Présentation (éditeur)
Bangkok, futur proche. Des cadavres de touristes sont retrouvés aux quatre coins d'une ville noyée par les pluies d'une mousson déréglée par les changements climatiques - des Occidentaux manifestement plus intéressés par les enfants esclaves que les trésors architecturaux des temples bouddhistes thaïlandais... Or, un tueur en série ciblant les touristes sexuels, c'est mauvais pour le business. Le lieutenant Tannhâuser Ruedpokanon, de la police touristique de Bangkok, est chargé de l'affaire. Qui s'annonce périlleuse, car celui qu'il poursuit, le mystérieux Dragon, en référence aux cartes qu'il laisse sur le lieu des crimes, semble doté de capacités pour le moins hors normes…

Ce que j’en pense
Je connais peu l’oeuvre de Thomas Day, doux euphémisme, puisque je n’avais jusqu’alors lu qu’un roman de cet auteur. Il s’agissait de L’instinct de l’équarrisseur, que j’avais adoré. Autant que le nom de Thomas Day, c’est la nouvelle collection des éditions du Bélial qui a attiré mon oeil, Une Heure-lumière, qui fait le pari de la novella. Enfin, si Dragon a trouvé son heure auprès de moi parmi les nombreuses nouveautés de ma PAL, c’est par son format court, j’avais trop de travail et pas assez d’énergie pour me lancer dans un roman long. 
Le format novella est parfaitement adapté au rythme du récit (ou est-ce l’inverse?): ça va vite, ça claque, ça ébranle en peu de pages. L’action prend place dans un futur un peu dystopique et terriblement proche, mais la dominante est bien celle du thriller voire du noir: en termes de sujet, de rythme, de construction, de thématiques, le pessimisme du noir étant accentué, pour moi, par l’environnement dystopique. J’ai été frappée aussi par la capacité de Thomas Day à donner à voir: la ville, ses bas-fonds, la jungle, la boue, les corps. Day a une écriture très visuelle dans Dragon. On étouffe, on sent les odeurs, on sent la pluie torrentielle s’abattre sur nous. 
Bangkok se dessine sous nos yeux en une ville hybride, entre modernité et mysticisme traditionnel, entre liberté sexuelle et Moloch… L’un des aspects les plus fascinants de Dragon est cette évocation du corps, du rapport au corps, objet de désir, de plaisir et d’abnégation tout à la fois. 
Cependant il y a un bémol pour moi, mais il ne s’agit pas d’un défaut du récit, plutôt des choix opérés par Thomas Day. Je voulais un récit court. Pourtant, à la fin, j’étais un peu frustrée: j’aurais aimé en savoir plus sur Tann, sur Dragon, Day en dit trop ou pas assez, mais je comprends que ce choix sert le propos. Simplement, il ne me convient pas tout à fait…


Thomas Day, Dragon, Editions du Bélial, 2016. Disponible en ebook. 

lundi 25 janvier 2016

Blue Ruin de Jeremy Saulnier


Je reste accrochée à mon désir de revenir vers des films, des séries (avec constance), et j'ai profité d'un trajet en train pour regarder un des plus beaux films qu'il m'ait été donné de voir ces derniers mois. J'en dois la découverte à Elodie, qu'elle en soit remerciée, car étant donné que je ne vais plus guère au cinéma, j'étais complètement passée à côté de ce film. 
Blue Ruin est l'histoire d'une vengeance, mais pas sur le mode thriller tonitruant, non, sur le mode film noir et drame intimiste. Dwight est un jeune homme solitaire, qui vit dans sa voiture et mène une existence d'errance. Cela pourrait durer indéfiniment s'il n'apprenait pas que l'assassin de ses parents vient de sortir de prison. Il veut les venger.

L'intrigue semble simple comme bonjour et mille fois vue au cinéma. Mais la singularité du film et sa force émotionnelle résident dans un vrai point de vue de cinéaste, dûment exercé par Jeremy Saulnier. Les premières scènes sont saisissantes: par leur beauté (mise en scène et photographie sont superbes) et par leur caractère énigmatique. Saulnier pose son personnage par une scène de fuite alors qu'il prend son bain, et l'on ne comprend d'abord pas (enfin moi je n'ai pas compris tout de suite) qu'il ne prend pas son bain chez lui... Nul besoin ensuite de paroles pour exposer la situation de Dwight, et cette parcimonie dans les dialogues va caractériser tout le film. 
Le film réussit ce tour de force, de plus en plus rare, de suggérer, de créer l'émotion la plus forte par une économie d'effets remarquable. Les scènes les plus violentes sont montrées dans toute leur horreur ordinaire: Dwight n'est pas un archange vengeur, juste un homme brisé qui ne peut accepter que celui qui a dévasté son existence et sa famille marche librement. Les scènes d'affrontement génèrent une tension folle mais déjouent tous les stéréotypes, on n'est pas là pour jubiler bêtement en tuant tous les affreux (plaisir régressif que je ne dédaigne pas avec d'autres films), personne n'est héroïque ici. 
il y a des scènes qui m'ont bouleversée: les premières scènes d'errance, la révélation de l'agent de police, le moment avec la soeur... Pourtant, jamais Saulnier n'use de ficelles dégoulinantes de pathos, tout est en retenue, en sobriété. C'est du noir, pas du mélo. 
Le metteur en scène fait une utilisation remarquable de la bande son et du silence. Pas de musique assourdissante qui viendrait surligner les émotions que nous sommes supposés avoir, pas d'envolée épique, non, de la mesure, des silences, rien de plus. 
Il faut dire enfin un mot de la performance (je n'aime pas ce mot) de Macon Blair. Il est sidérant: sa métamorphose physique (la barbe et le vêtement), l'expression d'une palette d'émotions, entre peur, colère, douleur, amour fraternel, doute, sa capacité à suggérer et à exprimer sans jamais surjouer, tout cela est bluffant. Il insuffle à son personnage un mélange de détermination et de fragilité bouleversant. 
Je sais que je reverrai ce film, pour le faire découvrir, pour revenir sur les scènes qui m'ont emportée et chamboulée, pour le plaisir de ces moments de beauté. C'est ce que le cinéma indépendant produit de meilleur, et c'est même plus que cela : le film a été financé par le recours au crowfunding, le financement participatif. Bientôt nous pourrons voir Green Room de Jeremy Saulnier. A suivre, donc.

Jeremy Saulnier, Blue Ruin, The Lab of Madness, Film Science, Neighborhood Watch, Etats-Unis, 2013, 90 minutes. Disponible en DVD et en téléchargement. 

vendredi 22 janvier 2016

Corrosion de Jon Bassoff


Présentation (éditeur)
Un vétéran d’Irak au visage mutilé tombe en panne au milieu de nulle part et se dirige droit vers le premier bar. Peu après, un homme entre avec une femme, puis la passe à tabac. L’ancien soldat défiguré s’interpose, et ils repartent ensemble, elle et lui. C’était son idée, à elle. Comme de confier ensuite au vétéran le montant de l’assurance-vie de son mari qui la bat. Ce qu’elle n’avait pas réalisé, c’était qu’à partir de là, elle était déjà morte.

Ce que j'en pense
Je ressors un peu sonnée de cette lecture. Voilà un bouquin qui ne cherche pas à se rendre aimable, c'est le moins qu'on puisse dire. Il commence comme un roman noir assez classique: un anti-héros abîmé (dans tous les sens du terme) qui fait une halte forcée dans une ville dont le nom est une référence à Jim Thompson, une femme fatale entre victime et garce, et tout cela fait un cocktail saisissant et déjà bien noir. C'est sans compter sur la rupture opérée à environ un tiers du roman, un changement de cap qui entraîne le lecteur au fond de la folie, de la noirceur. La folie pure, voilà ce que génère un mélange étourdissant de bigoterie, de patriotisme mal senti, de névroses familiales: telle est la corrosion du roman, corrosion du corps, de l'esprit, sans retour possible. 
Il est certain que je ne recommanderai pas le roman à tout le monde: tant de noirceur n'est pas supportable par tous les lecteurs et Jon Bassoff n'offre rien pour se raccrocher aux branches. Je ne sais pas si je peux dire que j'ai aimé Corrosion, ce n'est pas une lecture qui cherche à susciter un coup de coeur. Je sais que je suis admirative de la maîtrise de la construction, de la force du propos, de l'écriture. Corrosion fait beaucoup parler, à juste titre. On peut ne pas aimer. Mais de mon point de vue, la plongée vaut la peine. 

Jon Bassoff, Corrosion (Corrosion), Gallmeister, 2016. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Anatole Pons. Publication originale: 2013. Disponible en ebook.

jeudi 7 janvier 2016

Je suis inconstante (les séries et moi)

Gif trouvé ici

Cela pourrait surprendre, mais parfois j'aimerais être dans l'état du monsieur ci-dessus. Si si. 
Si je fais une consommation excessive d'images télévisuelles, c'est souvent d'un oeil distrait, tout simplement parce qu'en réalité, je suis rivée à l'écran de mon ordinateur portable, occupée à fréquenter mes sites et blogs préférés. 
Je ferais mieux de :
1) lire les BD accumulées ces derniers mois;
2) lire les romans qui me tentent. Songez que je n'ai toujours pas terminé le San Antonio commencé il y a deux jours. En termes de volume, ce n'est pourtant pas Crime et châtiment (et c'est plus rigolo). 

Mais tout simplement, je m'en veux de ne pas avoir le courage, l'énergie, l'appétit de poursuivre les séries commencées, souvent avec enthousiasme. Inconstante je suis dans mon visionnage. Rappelez-vous, j'avais parlé ici de ma décision d'abonner la maisonnée à Netflix, décision que je ne regrette nullement. Ce n'est pas moi qui m'en sers le plus, et à chaque fois que je navigue sur le site, je le regrette, car j'ai mille et une envies. Et puis il y a les séries achetées en DVD, qui patientent pour certaines depuis des lustres. A ce rythme, les lecteurs DVD auront disparu de la planète avant que j'aie vidé mon stock. Sur Netflix, je me suis passionnée pour quelques séries, regardées en entier (pour ce qui était disponible sur Netflix): Longmire, Unbreakable Kimmy Schmidt, The Fall (saison 1). 

Pour quelques séries regardées rapidement (je ne m'adonne cependant pas au binge watching, JE TRAVAILLE ET JE DORS TROP!), combien sont restées sur le bord de la route, non par manque d'intérêt mais parce que je ne parviens pas à "m'y tenir"? 
- American Horror Story: un épisode regardé, plutôt aimé, et puis plus rien.
- Rectify, somptueuse série : trois épisodes de la première saison.
- Better Call Saul: deux épisodes qui m'ont enthousiasmée. 
- Fargo: un épisode, que j'ai adoré.

Et je ne parle pas des films... 

Il fut un temps où, bien que très occupée professionnellement (ce n'est donc pas la raison), je faisais, avant l'heure, du visionnage intensif. Souvenez-vous, les plus de trente ans, c'était l'époque des VHS. J'enregistrais toute une saison d'Ally McBeal ou d'Urgences et je dévorais ça sur mon canapé, par après-midi ou soirées entières. J'en garde un souvenir de plaisir intense, et pourtant je devais ressembler au monsieur sur son canapé là-haut. 

Qu'est-ce qui a changé? 
Je l'ai dit, professionnellement, j'étais déjà très occupée. Je pourrais approfondir et dire que, sans aucun doute, mon travail n'est plus le même, qu'il me mobilise différemment, et qu'il me prend plus d'énergie (éparpillement des tâches, exigence d'une réactivité accrue, emballement des contraintes administratives et organisationnelles). Ceci est lié aussi à mon âge: je n'ai plus l'énergie de ma vingtaine, c'est évident, et je suis sans doute plus fatiguée le soir ou le week-end que je ne l'étais alors (la vieillesse est un naufrage). 
Ma situation personnelle a évolué, mais j'ai un grand consommateur de séries à la maison, donc ce n'est certainement pas mon cher et tendre qui réfrène ma consommation de séries (ou de films, d'ailleurs). 
Le paysage des séries a évolué, mais les années 1990 et le début des années 2000 marquaient le début de ce renouveau général des séries. Friends venait bousculer le champ des sitcoms en ne ciblant plus seulement un public familial ou adolescent, Ally McBeal hybridait de façon inédite à la télévision la comédie romantique et la comédie tout court, Urgences révolutionnait la série dramatique et en particulier la série médicale. Et puis il faut le dire: je suis bon public, et j'ai un péché mignon, les sitcoms; sans aller jusqu'à dire que j'aime n'importe quelle sitcom, je peux bien l'avouer, je n'affectionne pas que les sitcoms "nobles" (Friends, The Big Bang Theory, etc.); j'adore Une nounou d'enfer, et je peux regarder avec plaisir Ma famille d'abord ou d'autres dont j'ai oublié le titre. Ouais, vous pensiez avoir affaire à quelqu'un d'un peu exigeant, et bien pas du tout, ces plaisirs un peu coupables m'enchantent. Pour en revenir à mon propos, j'aime autant les séries mainstream voire cheap que des séries plus exigeantes. Le paysage des séries restant très riche, là n'est pas la cause de mon inconstance. 

Alors quoi?
Je crains autre chose, en réalité. Je crois que c'est moi qui ai changé, dans mes modes de consommation culturelle. Je lis toujours autant, en dépit de moments de creux. Mais je regarde peu de films (alors que dès l'adolescence, j'ai regardé énormément de films, toujours grâce aux VHS et au magnétoscope, et j'allais très souvent au cinéma) et je suis inconstante dans ma fréquentation des séries. Je pense qu'internet a changé les choses, et avec lui le wi-fi. D'abord, je quitte rarement mon ordinateur, et je surfe, parfois sans but: c'est autant de temps que je ne passe pas à faire autre chose. Ensuite et surtout, cette pratique que des spécialistes appellent je crois "sursautante" a des répercussions sur mes facultés de concentration, du moins dans mes pratiques de loisirs. Si je peux lire pendant des heures (encore que, je me vante, là), j'ai bien plus de mal qu'avant à rester devant un film de bout en bout pour le regarder en une fois, et encore plus de mal, évidemment, à suivre assidûment une série. Je peux même morceler un épisode comme on quitte momentanément la lecture d'un roman. Je crois que cela ne me serait jamais venu à l'esprit à l'orée des années 2000. Tout se passe comme si j'avais désormais du mal à me plier à la durée d'un épisode, d'une saison. Je ne vous cache pas que cela me pose question et m'inquiète un peu. 
J'aimerais retrouver ce plaisir d'une immersion dans un univers fictionnel télévisuel, des heures passées devant une série au point qu'on se relève du fauteuil un peu sonné, un peu ahuri par le retour au monde réel. Cela me manque. 

Alors quoi (bis)?
Je sais que les "bonnes" résolutions d'année sont souvent vaines, mais si je devais en prendre concernant les séries, ce serait celles-ci:
- éviter de morceler un épisode (sauf en cas de sommeil triomphant);
- aller au bout d'une saison avant de commencer une autre série (sauf s'il y a désintérêt ou ennui évidemment). 

J'ai regardé ce soir le premier épisode de la série documentaire Making a Murderer sur Netflix, qui m'a passionnée. Si les autres épisodes sont aussi intéressants, je vous en parlerai assurément. Mais je m'engage (hum...) à aller au bout de la saison, autant que possible. 

Allez, tope-là #jemeparlesijeveux. 

(et je prends la résolution aussi de lire au moins une bande dessinée par semaine, pour ce que ça vaut)


lundi 4 janvier 2016

Natural Enemies de Julius Horwitz


Présentation éditeur
Editeur à succès, Paul Steward étouffe dans sa vie en apparence parfaite. Il a décidé que ce soir, en rentrant chez lui, il tuerait sa femme Miriam et leurs enfants, avant de se suicider. Ceci est le récit, heure par heure, de cette dernière journée…

Ce que j’en pense
Lorsque ce court roman était sorti chez Baleine en 2011, j’avais hésité et puis j’étais passée à autre chose. Le billet de Wollanup sur Nyctalopes m’a convaincue de lire ce qu’il faut bien qualifier de diamant noir, une pure merveille. Quelle claque! 
Nous sommes prévenus dès le début : Paul, narrateur de ce récit, a décidé que ce serait sa dernière journée. Cet éditeur qui a semble-t-il tout pour lui veut mourir, mais il veut aussi, à l’heure du diner, tuer sa femme et ses enfants. Nous suivons la chronique de cette journée terrible, à la fois la routine de ce quadragénaire et ses rencontres moins ordinaires, toutes stupéfiantes de justesse et de force: connaissances, prétendants à la publication, prostituées, femme sans visage (puisque rencontrée dans le noir d’un tunnel), tout est saisissant, tour à tour bouleversant et glaçant. 
Jamais je n’ai éprouvé d’empathie envers Paul, tant son dessein meurtrier reste hors de la portée du lecteur. Son malaise me semble d’une banalité qui ne saurait justifier ce qu’il veut faire, un acte de pure folie. Paul a quelque chose de fondamentalement inquiétant car jamais il ne semble ressentir les émotions des autres, jamais il n'est ému par sa femme (superbe Miriam, personnage déchirant) ou ses enfants: seule sa chienne lui arrache un peu d'affection. 
Cependant, le roman réussit à ne pas irriter le lecteur: nous sommes aux alentours de 1975 et l’Amérique déchoit, comme le mâle américain WASP qu'est Paul, qui contemple les restes d’une splendeur illusoire et préfère tout engloutir avec lui plutôt que de se confronter à la situation. La manière dont Horowitz évoque New York, vue par les yeux de son personnage, est saisissante: c’est une mégalopole en ruines, presque en proie à la guerre civile qui est dépeinte, un symbole épouvantable d’un pays qui court à sa perte (New York est alors en pleine chute et l’Amérique ne se relève pas du Viet-Nam), qui a perdu ses illusions de grandeur et de toute-puissance, comme Paul, somme toute. 
Je suis ressortie secouée, bouleversée, pleine de questions: ce roman mérite d’être davantage connu. Cependant, il n’est pas à mettre entre toutes les mains, car sa noirceur est extrême et l’auteur n’entend pas nous consoler. 
J’ai beaucoup de mal à passer à autre chose. C’est embêtant mais croyez-moi, c’est la preuve que je viens de lire un roman extraordinaire. 


Julius Horwitz, Natural Enemies, Gallimard Folio, 2013. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Anne de Vogüé. Lu dans l’édition numérique de Baleine (2011). Publication originale: 1975. 

samedi 2 janvier 2016

Les Brillants de Marcus Sakey


Présentation (éditeur)
Dans le Wyoming, une petite fille perçoit en un clin d’œil les secrets les plus sombres de tout un chacun. À New York, un homme décrypte les fluctuations des marchés financiers et engrange 300 milliards de rofit en une semaine. À Chicago, une femme maîtrise le don d’invisibilité en sachant d’instinct se placer là où personne ne regarde. On les appelle les «Brillants», et depuis les années 1980 1 % de la population naît avec ces capacités aussi exceptionnelles qu’inexplicables. Nick Cooper est l’un d’eux : agent fédéral, il a un don hors du commun pour traquer les terroristes. Sa nouvelle cible est l’homme le plus dangereux d’Amérique, un Brillant qui fait couler le sang et tente de provoquer une guerre civile entre surdoués et normaux. Mais pour l’arrêter, Cooper va devoir remettre en cause tout ce en quoi il croit, quitte à trahir les siens.

Ce que j’en pense
J’aurais aimé être embarquée par ce livre et je suis un peu déçue. Je ne doute pas qu’on puisse se laisser emporter mais j’attendais bien plus. 
J’ai eu le sentiment d’avoir lu cette histoire de nombreuses fois; on est ici dans un type d’intrigue, de personnages et même de questionnement rencontrés dans la science-fiction, dans les comics, et aussi dans les séries télévisées qui explorent ces univers-là (je n’ai pu m’empêcher de penser à la première saison de Heroes, la seule que j’aie vue, à dire vrai). Par conséquent, je n’ai nullement été surprise, pas une seule fois: je ne peux en dire plus sans spoiler, mais disons que la révélation sur le Grand Méchant m’a un peu fatiguée, trop convenu, tout ça. Et croyez-moi, je suis bon public et prompte à me laisser surprendre. Je vais en faire hurler certains mais je trouve la réflexion de la trilogie Hunger Games (les romans) bien plus forte et dérangeante. Bon, ce n’est qu’un premier tome, me direz-vous. 
J’ai eu plaisir à cheminer avec les personnages, même si je trouve Cooper un peu niais, au final, et sa relation avec Shannon ou Quinn vue et revue aussi… Seuls quelques personnages très secondaires m’ont intéressée. Cooper pourrait être plus torturé, plus violent aussi, cela lui donnerait de la profondeur. 
Pour autant, tout cela est de belle facture, et si vous n’êtes pas familier de ce type d’intrigues, vous aurez grand plaisir à lire Les Brillants, l’auteur faisant preuve d’un grand savoir-faire, à défaut de faire preuve d’originalité. C’est bizarre, le manque d’originalité ne me dérange pas forcément, mais ici, il m’a ennuyée, peut-être parce que l’action est tout de même primordiale dans ce genre de récit. 
Lirai-je le tome 2? Peut-être, mais pas sûr…


Marcus Sakey, Les Brillants (Brilliance), tome 1, Gallimard Série Noire, 2015. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Sébastien Raizer. Publication originale: 2013. Disponible en ebook.