lundi 25 janvier 2016

Blue Ruin de Jeremy Saulnier


Je reste accrochée à mon désir de revenir vers des films, des séries (avec constance), et j'ai profité d'un trajet en train pour regarder un des plus beaux films qu'il m'ait été donné de voir ces derniers mois. J'en dois la découverte à Elodie, qu'elle en soit remerciée, car étant donné que je ne vais plus guère au cinéma, j'étais complètement passée à côté de ce film. 
Blue Ruin est l'histoire d'une vengeance, mais pas sur le mode thriller tonitruant, non, sur le mode film noir et drame intimiste. Dwight est un jeune homme solitaire, qui vit dans sa voiture et mène une existence d'errance. Cela pourrait durer indéfiniment s'il n'apprenait pas que l'assassin de ses parents vient de sortir de prison. Il veut les venger.

L'intrigue semble simple comme bonjour et mille fois vue au cinéma. Mais la singularité du film et sa force émotionnelle résident dans un vrai point de vue de cinéaste, dûment exercé par Jeremy Saulnier. Les premières scènes sont saisissantes: par leur beauté (mise en scène et photographie sont superbes) et par leur caractère énigmatique. Saulnier pose son personnage par une scène de fuite alors qu'il prend son bain, et l'on ne comprend d'abord pas (enfin moi je n'ai pas compris tout de suite) qu'il ne prend pas son bain chez lui... Nul besoin ensuite de paroles pour exposer la situation de Dwight, et cette parcimonie dans les dialogues va caractériser tout le film. 
Le film réussit ce tour de force, de plus en plus rare, de suggérer, de créer l'émotion la plus forte par une économie d'effets remarquable. Les scènes les plus violentes sont montrées dans toute leur horreur ordinaire: Dwight n'est pas un archange vengeur, juste un homme brisé qui ne peut accepter que celui qui a dévasté son existence et sa famille marche librement. Les scènes d'affrontement génèrent une tension folle mais déjouent tous les stéréotypes, on n'est pas là pour jubiler bêtement en tuant tous les affreux (plaisir régressif que je ne dédaigne pas avec d'autres films), personne n'est héroïque ici. 
il y a des scènes qui m'ont bouleversée: les premières scènes d'errance, la révélation de l'agent de police, le moment avec la soeur... Pourtant, jamais Saulnier n'use de ficelles dégoulinantes de pathos, tout est en retenue, en sobriété. C'est du noir, pas du mélo. 
Le metteur en scène fait une utilisation remarquable de la bande son et du silence. Pas de musique assourdissante qui viendrait surligner les émotions que nous sommes supposés avoir, pas d'envolée épique, non, de la mesure, des silences, rien de plus. 
Il faut dire enfin un mot de la performance (je n'aime pas ce mot) de Macon Blair. Il est sidérant: sa métamorphose physique (la barbe et le vêtement), l'expression d'une palette d'émotions, entre peur, colère, douleur, amour fraternel, doute, sa capacité à suggérer et à exprimer sans jamais surjouer, tout cela est bluffant. Il insuffle à son personnage un mélange de détermination et de fragilité bouleversant. 
Je sais que je reverrai ce film, pour le faire découvrir, pour revenir sur les scènes qui m'ont emportée et chamboulée, pour le plaisir de ces moments de beauté. C'est ce que le cinéma indépendant produit de meilleur, et c'est même plus que cela : le film a été financé par le recours au crowfunding, le financement participatif. Bientôt nous pourrons voir Green Room de Jeremy Saulnier. A suivre, donc.

Jeremy Saulnier, Blue Ruin, The Lab of Madness, Film Science, Neighborhood Watch, Etats-Unis, 2013, 90 minutes. Disponible en DVD et en téléchargement. 

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