dimanche 14 février 2021

Le Magicien de Magdalena Parys



Présentation éditeur

Dès 1970, la Stasi et les garde-frontières bulgares montent une opération pour arrêter tous ceux qui tentent de fuir le bloc communiste. Opération qui sert aussi également à assassiner des opposants politiques au régime…

En 2011, dans un immeuble abandonné de Berlin squatté par des Roms, on retrouve le cadavre atrocement mutilé de Frank Derbach, employé aux archives de la Stasi.

Au même moment, Gerhard Samuel, photo-reporter, meurt dans d’étranges circonstances à Sofia, où il enquêtait sur la mort d’un de ses amis, disparu en 1980 à la frontière entre la Bulgarie et la Grèce.

Kowalski, le commissaire chargé de l’enquête berlinoise, est rapidement écarté au profit de la police fédérale et des services secrets. Mais Kowalski est un rebelle et il décide de poursuivre ses investigations discrètement, aidé par la belle-fille de Gerhard.

Ce qu’ils vont découvrir pourrait mettre en cause un homme politique allemand très en vue...

Ce que j'en pense

Il y a des livres qui doivent attendre leur moment. Par deux fois j'avais commencé Le Magicien, par deux fois j'ai arrêté ma lecture au bout de 50 pages. Pourquoi? Je ne sais, mais la 3ème tentative fut la bonne. Non que le roman m'ait déplu les deux premières fois, simplement ce n'était pas le moment, je n'accrochais pas. Si je me suis obstinée, c'est parce que j'avais lu et aimé 188 mètres sous Berlin, et parce que Le Magicien avait tout pour me plaire, a priori.

Si je dois émettre une réserve, peut-être liée à moi et à rien d'autre, je dirais que j'ai trouvé que Le Magicien n'était pas dépourvu de longueurs, ou de lenteurs. On aimerait parfois que ça aille plus vite, mais n'est-ce pas une mauvaise habitude de lectrice pressée? Quoi qu'il en soit, cette impression ne gâche pas le plaisir de cette lecture. J'ai aimé la multiplicité des personnages, de leurs points de vue, c'est parfaitement maîtrisé, l'autrice sait ce qu'elle fait et jamais elle ne nous égare. Cela peut coller le vertige par moments, mais tout s'emboîte, et si ça colle le vertige, c'est parce que la réalité évoquée est complexe à souhaits, tordue et mauvaise comme le sont les remugles du sale passé des pays satellites de l'URSS. Avec des polars allemands, j'avais mesuré à quel point des nazis avaient opéré une conversion opportuniste au communisme dans les cadres de la RDA. Avec Magdalena Parys, je perçois que les exécuteurs des basses oeuvres de la RDA ont su se ménager une belle vie après 1989. Et j'aime que les personnages nous fassent sentir, pour la plupart, que les trajectoires sont compliquées, que le manichéisme n'est pas de mise. L'intrigue et la construction du roman sont complexes parce que l'Histoire est complexe.

Et puis il y a un effet de crescendo dans le roman, dans sa tension : je me suis mise à avoir peur pour certains personnages, à espérer que d'autres soient mis hors d'état de nuire. Magdalena Parys manie aussi le suspense, à bon escient. Elle utilise les structures et les codes du roman noir pour rappeler à ses contemporains européens que leurs démocraties sont des géants aux pieds d'argile, bâtis sur des cimetières, et qu'à ne pas vouloir désigner et juger les responsables, on leur laisse les mains libres pour continuer leurs forfaits et saper l'avenir. C'est implacable, glaçant, salutaire aussi.

Magdalena Parys, Le Magicien (Magik), Agullo, 2019. Traduit du polonais par Margot Carlier, Caroline Raszka-Dewez. Disponible en poche chez 10 18

samedi 13 février 2021

La mère noire de Pouy et Villard



Présentation éditeur

Figures de proue de la Série Noire et du polar français, graphomanes talentueux, Jean-Bernard Pouy et Marc Villard ont entamé en 2005 un dialogue littéraire qui a donné naissance à plusieurs textes à quatre mains. Avec La mère noire, ils reforment leur duo pour la Série Noire et signent un roman riche des échanges et jeux de langage qui les caractérisent.

Ce que j'en pense

Je n'avais pas lu les précédentes collaborations littéraires des deux compères, mais par un jour pluvieux (ça ne manque pas), je me suis emparée avec gourmandise de La mère noire, et j'ai tout de suite eu l'impression de retrouver de vieilles connaissances. Structuré en deux parties, la première écrite par Jean-Bernard Pouy et la seconde par Marc Villard, le roman pourrait se lire, si on voulait, comme deux novellas. Dans "L'art me ment" (vous reconnaîtrez Pouy dès le titre), Clotilde et son père ont chacun à leur manière et à la manière de leur âge une verve qui fait mouche. Clotilde est une sorte de Zazie de notre temps, et c'est un bonheur de les lire, de les "entendre", devrais-je dire. On se marre, mais pas que, et tout est dans le titre de cette première partie, somme toute. Dans "Véro", Villard donne voix à différents laissés pour compte de notre jolie société, et s'il délaisse le bitume parisien, il ne se détourne pas des marginaux, des "fous", et par Véro, mère de Clotilde, il explore une trajectoire de dérive ordinaire. N'allez pas penser pour autant que c'est misérabiliste, ça ne l'est vraiment pas.  

Ce qui unit les deux parties, outre le foyer (certes bancal) formé par ces trois-là, tient dans la finesse de l'évocation de notre société. Pouy comme Villard font des portraits qui tapent juste, et au-delà de leurs différences d'écriture, se tisse un roman noir bien serré. Et puis autre chose m'a frappée dans La mère noire, dans les deux parties qui composent ce roman : la tendresse qui s'en dégage, tendresse pour ces frères humains si fragiles, si malmenés de la part de deux vieux briscards du roman noir français. Alors oui, on se marre, on s'émeut, mais surtout, on quitte ce court roman avec un brin de sourire : c'est eux, c'est Pouy et Villard. 

Jean-Bernard Pouy et Marc Villard, La mère noire, Gallimard Série Noire, 2021.