mercredi 29 avril 2020

La cité des chacals de Parker Bilal



Présentation éditeur
Le filet d’un pêcheur sur le Nil a remonté une tête coupée. À en juger par les scarifications sur le front, c’est celle d’un Dinka de la région de Bor : un Soudanais du Sud. Encore un réfugié, pense la police cairote qui s’en désintéresse. Car ils sont plus de deux mille, entassés sur une place de Mohandessin, qui se plaignent de leurs conditions de vie. Ici, le roman rejoint l’Histoire : on est en 2005, à la veille des émeutes de décembre.
Exilé soudanais mal intégré dans la société du Caire, le privé Makana se sent particulièrement concerné. Mais il doit privilégier la mission dont l’a chargé Hossam Hafiz, propriétaire du restaurant les Jardins de Verdi : retrouver son fils étudiant, disparu depuis trois semaines. Le problème, c’est que d’autres jeunes manquent à l’appel…


Ce que j'en pense
Parker Bilal, je connaissais de nom, rien de plus. Allez savoir pourquoi, je n'avais jamais eu la curiosité de lire ses romans. Et puis voilà, La cité des chacals est arrivé dans ma boîte aux lettres, juste avant le confinement. Je l'ai lu en deux jours en ces derniers jours d'avril. Dévoré. C'est la première chose que j'ai envie de souligner : le rythme et la construction impeccables. Pas de temps mort, ce qui n'empêche pas les moments plus contemplatifs ou méditatifs. Mais bon sang, j'avais du mal à lâcher le roman. Parker Bilal ne cède jamais à la facilité, rien n'est attendu, et pourtant il ne bascule jamais dans le rebondissement outrancier. Peu importe que l'on se doute que ce qui passe à la clinique sent mauvais, il ménage une intrigue complexe à souhait et réussit à surprendre et à construire des scènes d'une puissance inouïe. Il excelle d'ailleurs à créer des atmosphères, grâce à une écriture quasi-picturale par moments, et par un sens du détail incroyable. Un exemple : les lieux de restauration, du fast-food banal qui sent le graillon au restaurant haut de gamme (avec son serveur prétentieux) en passant par le restaurant familial qui revisite le poulet à la Kiev... La scène d'ouverture est également saisissante, parmi d'autres mais chut.
Si j'ai envie aujourd'hui de lire les autres volumes, c'est que j'ai adoré les personnages: Makana, évidemment, qui traîne ses blessures et sa carcasse fatiguée. Il n'a rien d'un surhomme, même si c'est un enquêteur hors-pair. Et je pourrais égrener les noms des autres personnages : Jehan, la légiste, qui travaille avec des bouts de chandelle et avec une autorité bluffante; Okasha, le policier râleur qui fait confiance à Makana; Sami, Sindbad... Ce sont des personnages que j'imagine récurrents, mais les personnages propres à ce volume sont également saisissants. Parker Bilal n'est jamais manichéen, les personnages sont tout en subtilité.
Et puis c'est du roman noir, sans concession. Dans les premières pages, j'ai retrouvé des choses de Le Caire Confidentiel (le film de Tarik Saleh), avec l'évocation d'une société en partie corrompue, l'arrière-plan politique explosif, la présence des Soudanais. Mais là où le film (très bon) exploite avec talent les codes du noir, sans plus, il y a bien davantage chez Parker Bilal:l'évocation d'une société extrêmement complexe (ainsi, les Soudanais du nord ne sont pas ceux du sud), très riche également, et tout cela donne un récit passionnant. J'ai l'impression d'en savoir un peu plus sur l'Egypte et j'ai aimé cela. Cet instantané social et politique est noir, on n'est pas là pour être optimiste, et c'est aussi ce que j'adore. Tandis que les puissants s'arrogent toutes les richesses, se partagent le gâteau, les plus fragiles se débattent en vain, espérant grappiller une parcelle de bonheur ou même d'espoir, en vain. Se dégage de tout cela une humanité qui touche au coeur, avec des moments de grâce aux moments les plus inattendus, avec des scènes bouleversantes sous leur apparente banalité. C'est sans doute cela qui fait la différence entre Parker Bilal et d'habiles faiseurs (ce qui est déjà bien, hein) : c'est un auteur, qui a une voix, un univers et une vision du monde.

Parker Bilal, La cité des chacals (City of Jackals), Gallimard Série Noire, 2020. Traduit de l'anglais par Gérard de Chergé.







lundi 27 avril 2020

Joueuse de Benoît Philippon


Présentation éditeur
Maxine est une de ces femmes à qui rien ne résiste.
Elle tombe sous le charme de Zack, joueur de poker professionnel comme elle, mais elle n’en montre rien. Un manipulateur professionnel ne dévoile jamais son jeu.
Maxine propose à Zack une alliance contre un concurrent redoutable. Piège ou vengeance… Zack n’en sait rien. Mais comment résister à la tentation du jeu ?
Maxine est une tornade qui défie le monde si masculin des joueurs de poker.
Elle est bien décidée à régler ses comptes, coûte que coûte.

Ce que j'en pense
J'ai à la maison les deux précédents romans de Benoît Philippon mais... je ne les ai pas lus. Pour tout dire, j'avais commencé Mamie Luger et j'avais vite arrêté ma lecture : je n'avais pas accroché et je pense que ce n'était pas le bon moment, que le livre aura sa chance une autre fois. J'abordais donc la lecture de Joueuse avec une certaine appréhension. Et je suis tout de suite entrée de dedans, avec plaisir. Il faut dire que le confinement venait de commencer (il est curieux d'employer l'imparfait, au moment où j'écris ces lignes, nous n'avons même pas terminé la première semaine de confinement), et un peu de légèreté était bienvenue. Joueuse est une lecture jubilatoire, avec une Maxine épatante qui dérouille les connards au poker et plus si affinités, quand ils s'en prennent à elle physiquement. L'équipe de personnages est fantastique, avec mention spéciale à Baloo, un bonheur de gros costaud justicier, un vrai plaisir... Le rythme du roman est impeccable, on a du mal à lâcher le roman, on se régale, on en redemande. En termes de construction romanesque, de personnages aussi, je trouve que Joueuse est une réussite complète. 
Et puis il y a le propos, car Joueuse n'est pas qu'une grosse partie de rigolade : mine de rien, Benoît Philippon aborde plusieurs thématiques, au premier rang desquels la domination masculine, et cela sous différentes facettes. Il y a bien sûr Maxine, mais aussi Baloo et ses virées nocturnes et punitives, et puis Zack, qui est toujours à la limite entre séducteur et gros con. Maxine est un beau personnage, tout sauf une demoiselle en détresse, et il me semble que Benoît Philippon se tire fort bien de scènes très délicates (les compliqués rapports sexuels de Maxine, la scène traumatique). La force du roman est de montrer que n'importe quel homme, en situation d'humiliation ou tout simplement de force, est susceptible de franchir la ligne, qu'il soit notable, père de famille gentillet ou beau gosse sûr de son charme. Joueuse ne s'en tient pas là : la maltraitance sur enfant est également évoquée, sans manichéisme ou simplisme. Et puis il y a la saloperie des puissants, des nantis, la terrible domination de classe, avec le sentiment d'impunité que l'argent et le pouvoir procurent à quelques uns. 
Ainsi, Joueuse est un roman au ton léger mais pas un livre vain. Et il fait un bien fou, alors pourquoi s'en priver? 

Benoît Philippon, Joueuse, Les Arènes Equinox, 2020.

samedi 25 avril 2020

La Cité des rêves de Wojciech Chmielarz



Présentation éditeur
Un des élégants quartiers en vase clos de Varsovie, un petit paradis sur terre dont rêvent tous les polonais se trouve brutalement plongé dans le drame : ce matin, au pied des immeubles modernes tout confort, le gardien a découvert le cadavre d’une étudiante en journalisme. Il suffit d’un instant pour que le paradis se transforme en enfer. Pour Mortka, chargé de l’enquête avec l’aide de la lieutenante Suchocka, le coupable semble d’abord tout désigné. Mais ce qui paraît simple va prendre à mesure des investigations la portée d’un vaste scandale. Ici, comme dans une Pologne en miniature, politique et mafia, sexe et drogue, ambitions et aspirations, secrets et rêves parfois meurtriers se rencontrent... Dans ce nouveau volet des aventures de l’inspecteur Mortka, Chmielarz s’attaque impitoyablement aux faiblesses humaines et jette un regard critique sur le monde fermé des domaines gardés, qui semblent n’avoir surgi de terre que pour chatouiller la vanité des propriétaires de SUV.

Ce que j'en pense
Ah que j'aime retrouver le Kub et la Sèche! Quel bonheur!!!
Chmielarz se pose une nouvelle fois en radiographe de la société polonaise, en évoquant cette fois-ci le rapport des Polonais à "leurs" immigrés, des Ukrainiens fort mal vus (le passé qui ne passe pas, et le racisme ordinaire), la domination de classe et les saloperies des puissants, toujours plus corrompus et agrippés à leurs privilèges, ambiguïtés de la presse et des médias, et comme toujours chez Chmielarz, les violences faites aux femmes, qui revêtent différents visages. Et n'allez pas croire que c'est une salade indigeste, non, le romancier polonais maîtrise son affaire et ne donne jamais l'impression de vouloir en traiter trop.
On retrouve ici Kochan, qui fut le partenaire du Kub et qui est au purgatoire des affaires non élucidées. C'est un sale con de mari violent, mais c'est aussi un excellent enquêteur qui a l'oeil et le flair. Dans ce volume, il semble qu'il amorce une forme de rédemption, avec une salutaire prise de conscience : reviendra-t-il aux côtés du Kub? On verra. Mais c'est une évolution intéressante du personnage.
Quant à la fin, mes aïeux, quelle fin ouverte réussie ! Et nom de zeus, j'ai refermé le volume en me demandant quand nous aurions le volume suivant en français, et je suis déjà en manque.

Wojciech Chmielarz, La Cité des rêves (Osiedle Marzen), Agullo, 2020. Traduit du polonais par Erik Veaux.

samedi 4 avril 2020

Bilan pour mars 2020

By Bomdesignz

Ce mois de mars a été fructueux, pour plusieurs raisons : 
- de nombreuses sorties en roman noir et polar, parce que Quais du polar (snif) a sur les parutions de fiction criminelle le même effet que le festival d'Angoulême sur la BD... Donc beaucoup d'acquisitions pour moi.
- une semaine de vacances pour moi à la charnière de février et de mars, où j'ai soufflé et lu.
- le confinement : si pour moi le travail ne s'est pas interrompu (seulement adapté), je gagne du temps de lecture malgré tout, parce que je ne m'éparpille pas, que je ne me déplace pas. Certains jours (nous sommes le 4 avril au moment où je rédige ces lignes), je ne peux pas lire, parce que je suis trop fatiguée ou parce que je suis trop angoissée, mais les faits sont là : je lis pas mal. 

Et quel mois de lecture, quasiment que du très bon, et pas mal d'exceptionnel! 15 romans lus. 
Je ne suis sortie des polars et romans noirs que pour un roman Young Adult (pour le boulot) et pour un "paranormal romance". Je n'en avais pas lu depuis des siècles, et La piste des éclairs de Rebecca Roanhorse m'a offert un bon moment de détente, sur fond de chamanisme, avec une ambiance un peu Mad Max. 
Pour le reste, rien d'autre que du noir et du polar, avec des facettes très différentes.
Trois romans noirs à la lisière du genre, que d'aucuns pourront lire sans avoir le sentiment de lire de la littérature de genre: le superbe Vanda de Marion Brunet, le sympathique Sugar Run de Mesha Maren, l'entêtant et magnifique Inconstance des souvenirs tropicaux de Nathalie Peyrebonne (billet prévu en post-déconfinement). 
Du polar plus classique, parfois imparfait - Fragile est la nuit de Angelo Petrella - ou proche de l'énigme - Le dévouement du suspect X de Keigo Higashino - sans parler du très très bon Mort à Florence de Marco Vichi, et de l'excellent - La Cité des rêves de Wojciech Chmielarz. 
Du noir très politique, avec la clôture magistrale de la trilogie de Frédéric Paulin, La Fabrique de la terreur.
Du noir féroce et jubilatoire avec Joueuse de Benoît Philippon, Richesse oblige d'Hannelore Cayre et Fin de siècle de Sébastien Gendron.
Du noir en forme d'hommage ou de pas de côté avec Chevrolet Impala de Michèle Astrud et Du rififi à Wall Street de Vlad Eisinger (Antoine Bello). 

Mon top 5 du mois : 
La Fabrique de la terreur de Frédéric Paulin
Inconstance des souvenirs tropicaux de Nathalie Peyrebonne
La Cité des rêves de Wojciech Chmielarz
Joueuse de Benoît Philippon
Vanda de Marion Brunet