vendredi 30 novembre 2012

Serial pleasures : un bilan pour novembre


Un mois de novembre en demi-teinte… que j’évoquerai donc rapidement !
Mon rythme de lecture a été moyen – huit ouvrages – mais on est bien d’accord, ce n’est pas une course de vitesse.
Des découvertes intéressantes, avec un zeste de perplexité, grâce à Claire Messud et ses Enfants de l’empereur, et aux très talentueux Ed Brubaker et Sean Philips et un Fatale déroutant que j’ai hâte de retrouver.


Deux grosses déceptions : l’Heureux veinard n’est certes pas le lecteur de l’opus de S.G. Brown. Mais quelle mouche a piqué la Série Noire, qui m’a pourtant habituée à de belles découvertes ? Je vais m’empresser d’oublier cet ersatz de roman noir pseudo-rigolo et authentiquement poussif. Ma déception est probablement plus subjective et passagère face à Jean Echenoz : 14 est un rendez-vous manqué pour moi.

Finalement, mes bonheurs de novembre sont liés à de bonnes vieilles séries, on ne se refait pas. Peut-être avais-je trop de préoccupations professionnelles pour me rendre disponible, peut-être avais-je besoin de retrouver les plaisirs d’une série bien fichue, confortable et addictive.
En tout cas, j’ai retrouvé les héros de Van de Wetering avec joie – malgré la traduction moisie – en éprouvant quelque hâte à les retrouver bientôt (oh ! la jolie pile qui m’attend…).


Je me suis régalée avec les aventures sans prétention de Stephanie Plum : on peut compter sur Janet Evanovich pour s’offrir un plaisir régressif à souhait les jours de grisaille et de blues. Twelve Sharp a parfaitement rempli son office : me faire rire, me détendre.


J’ai (re)plongé avec un bonheur sans égal dans l’univers de James Lee Burke et de Dave Robicheaux, pour Un brasier de l’ange magique.


Que voulez-vous ? J’aime les séries, ce mois de novembre me l’a une nouvelle fois prouvé… D’ailleurs, je le termine en découvrant – avec retard – une série jeunesse dont je parlerai bientôt, et son héroïne, Penelope Green.
Décembre arrive, ma pile à lire est toujours aussi monstrueuse, et le travail m’amoncelle : j’espère qu’il ne viendra pas à bout de mon envie de lire… Je pense en tout cas que, pile à lire ou pas, je vais privilégier les plaisirs sûrs que m’offrent les séries. Quelques esprits chagrins pourraient me reprocher mon goût pour la facilité, mais de toute façon, ils ne lisent pas ce blog, et c’est tant mieux !

mercredi 28 novembre 2012

Les enfants de l'empereur de Claire Messud



Présentation (quatrième de couverture)
Manhattan, début 2001. Trois jeunes trentenaires se retrouvent déchirés entre leurs rêves et les exigences du réel : Marina, apprentie journaliste, écrasée par son père Murray, maître de l'intelligentsia new-yorkaise ; Danielle, en quête de l'âme sœur et de reconnaissance professionnelle ; Julius, pigiste gay, aspirant à se ranger sans pouvoir s'y résoudre. Leurs rapports se compliquent dangereusement avec l'arrivée du séduisant Ludovic et celle du provincial Bootie... De périlleux chassés-croisés sentimentaux en perspective, avant que les masques ne tombent, dans une comédie de l'innocence perdue qui culmine un certain 11 septembre. Par son jeu virtuose sur les points de vue, son habileté à relier les trajectoires individuelles à l'Histoire, Claire Messud nous offre le portrait réjouissant d'une métropole narcissique, et recrée toute une époque, si proche et déjà si lointaine.

Mon avis
Mitigé.
J’ai lu en quelques jours ce gros roman de plus de 700 pages, on peut donc dire que c’est bon signe. De fait, j’avais de plus en plus de mal à le lâcher et j’avais hâte de retourner à ma lecture. Les enfants de l’empereur a ce je ne sais quoi de si américain, et plus précisément de si new-yorkais, qui me plaît tant : roman choral, il s’attache à quelques membres de la bonne société, quelques personnages liés par le sang, l’amour ou l’amitié. Claire Messud s’y entend pour dessiner et faire évoluer ses personnages, pour entremêler leurs histoires, nous faire entendre leurs voix. J’ai aimé le portrait sans concession de cette classe privilégiée ; soit la férocité est portée par certains personnages – car on a la dent dure envers autrui, envers ses pairs, dans ce milieu – soit elle est liée à la façon dont Claire Messud construit ses personnages. Murray et Marina, le père et la fille, sont d’emblée assez odieux, même si l’on peut changer de « sentiment » à leur égard. Pour ma part, j’ai peu à peu apprécié l’agaçante Marina, enfant gâtée et narcissique, qui gagne en profondeur, même si elle n’est pas, à mes yeux, aussi sympathique que son amie Danielle. De même, la construction du roman, qui s’achemine peu à peu vers le 11 septembre 2001 qui va bouleverser ces existences, est assez épatante car parfaitement maîtrisée.
Ce n’est pas un coup de cœur cependant. J’ai ressenti un peu la même chose qu’à la lecture de La Belle vie de Jay McInerney : même si je peux m’attacher à ces personnages, l’irritation l’emporte face à tant de narcissisme, et j’ai du mal à m’émouvoir face à ces « gosses de riche ». Je reconnais cependant à Claire Messud une qualité : certains de ses personnages ont une position bien fragile dans ce milieu privilégié et elle ne se prive pas de les faire vaciller – socialement, j’entends. Conséquence : pour moi, le roman oscille entre profondeur et vacuité. Profondeur parce que, de fait, elle dévoile les faux-semblants de ce milieu, met les enfants de l’empereur à nu, raille les vanités. Vacuité parce que malgré tout, je ne peux m’empêcher de m’interroger sur l’intérêt de cette démarche, sur la consistance du propos, ou tout au moins sur sa nouveauté. Il y a quelques ridicules dans les tergiversations des personnages, quelques introspections qui semblent bien futiles et luxueuses, quelques dialogues qui sonnent un peu faux à mes yeux.
Je vais maintenant laisser faire le temps, pour voir ce qu’il me reste de ce roman et de ses personnages. J’ai éprouvé un réel plaisir à le lire, ce dont témoigne ma rapidité de lecture. Mais en dépit de cela, je n’ai pas le sentiment d’avoir été réellement touchée.

Pour qui ?
Pour les amateurs de romans new-yorkais ; pour ceux qui aiment les romans choraux.

Le mot de la fin
A découvrir.

Claire Messud, Les enfants de l’empereur (The Emperor’s Children), Gallimard/Folio, 2009. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par France Camus-Pichon. Première édition française : Gallimard, 2008. Edition originale : 2006.

samedi 24 novembre 2012

Heureux veinard de S.G. Browne



Présentation (quatrième de couverture)
Nick Monday est détective privé. Il est dix heures du soir, et il se trouve au bord du toit d’un grand hôtel de San Francisco, entouré par les caméras de CBS et menacé par une femme nue qui brandit un couteau de boucher.
La journée avait pourtant bien commencé : la belle Tuesday Night était venue lui confier une affaire. Une affaire toute simple : retrouver la chance volée à son père, le maire de la ville, qui traverse une mauvaise passe.
Le problème, c’est que la chance du maire lui a été subtilisée, d’une simple poignée de mains, par Nick Monday en personne. Et entre-temps, il l’a revendue.
Les choses se compliquent encore lorsque le seigneur de la Mafia chinoise et le patron du FBI cherchent tous deux à s’attacher ses services.
Ce roman noir loufoque et déjanté nous apprend tout sur l’existence périlleuse des « braconneurs » de chance…

Mon avis
J’ai eu beaucoup de mal à aller au bout de ce roman. Je l’ai acheté en espérant passer un bon moment, puisque l’on me promettait une bonne dose de loufoquerie. L’argument était original et j’imaginais un roman noir ultra-référencé et savoureux.
J’ai aimé les fréquentes anecdotes, en ouverture des chapitres, sur des personnages chanceux à l’extrême. Pour le reste…
Le problème est que, aussi loufoque soit un polar, il rate sa cible s’il n’a rien à dire. A mes yeux, Heureux veinard est dénué de tout propos et tourne à vide. L’auteur vient apparemment du milieu du cinéma ou de la télé à Hollywood. De fait, il multiplie dans ce roman les références, par exemple à Bogart, comme il se doit. Mais cela n’a aucun intérêt. Quant à la loufoquerie et à l’humour, ils ne m’ont pas du tout touchée ; j’ai souri quelquefois, soupiré souvent devant les saillies du narrateur… Quelques personnages sont intéressants (l’acolyte du narrateur, Doug, par exemple), mais la plupart sont caricaturaux, prévisibles et n’ont aucune épaisseur. Les situations sont téléphonées et sans saveur, et le dénouement a un côté « tout est bien qui finit bien » qui, sous couvert d’amoralisme, est en réalité terriblement consensuel et une fois de plus, prévisible. Tout ça serait acceptable sans ce ton qui se veut distancié, cet humour un peu « second degré », décalé, qui m’a donné l’impression que l’auteur jouait toujours au malin, « regardez comme je suis drôle et brillant »…
Je suis allée jusqu’au bout, mais je crois bien que c’était pour vérifier que mes craintes allaient se confirmer.
J’aurais sans doute dû, pour me détendre un peu, aller voir du côté de Westlake ou Dorsey, qui l’un et l’autre peuvent me faire pleurer de rire, ou relire un Lansdale (un Hap et Leonard) qui réussit si bien à allier noirceur absolue et humour irrésistible.

Pour qui ?
Ben, j’en sais rien… Mais je n’ai peut-être pas compris la subtilité du roman, me direz-vous. Je prends volontiers des avis différents sur ce roman.

Le mot de la fin
Sans intérêt (à mes yeux).

S.G. Browne, Heureux veinard (Lucky Bastard), Gallimard/Série Noire, 2012. Traduit de l’anglais (USA) par Christophe Mercier. Publication originale : 2012.

jeudi 22 novembre 2012

Le Babouin blond de Janwillem Van de Wetering



Présentation
Par un soir de tempête épouvantable, de Gier et Grijpstra constatent la mort d’une femme à son domicile, à première vue accidentelle, mais résultant pourtant d’un meurtre, comme ne vont pas tarder à le comprendre nos deux acolytes. Parmi les suspects, un homme d’affaires italien, un collaborateur de la victime, et un étrange individu, le « babouin ».

Mon avis (colère)
J’ai déjà chroniqué un roman de Van de Wetering il y a quelques semaines. J’ai depuis poursuivi ma lecture avec Le Babouin blond, dont l’intrigue est tout aussi bien ficelée que celle des volumes précédents, avec ce qu’il faut de noirceur (dans le dénouement) pour en faire à mes yeux une série très intéressante. J’ai eu plaisir à retrouver de Gier et Grijpstra – même s’ils ne jouent pas de musique dans ce volume – ainsi que le commissaire, qui prend de plus en plus d’épaisseur au fil des volumes. Le personnage qui donne son (sur)nom au volume est particulièrement savoureux : Van de Wetering a décidément un joli talent pour brosser des personnages avec rapidité, tout en leur laissant le temps d’acquérir de la profondeur.
Mais ce n’est pas sur les mérites de ce roman que je voudrais m’attarder cette fois-ci.
Non. J’ai été gênée dans ma lecture. Le style était très inégal, passant de la préciosité la plus affirmée, dans le lexique et dans les tournures, à la trivialité et à la rapidité si emblématiques d’une certaine écriture polareuse. Non seulement les ruptures de ton étaient étranges, mais les passages les plus « littéraires » et recherchés sonnaient un peu faux. Ceci dit, j’ai appris des mots : je ne savais pas, ignorante que je suis, qu’une douleur pouvait être « térébrante » : OK, je n’ai retenu que ce mot, peut-être parce que j’étais moi-même affligée de douleurs (térébrantes, donc) dans le dos lorsque je lisais ce roman.
Bref.
J’ai voulu en avoir le cœur net. J’ai différé la rédaction du billet. J’ai commandé le roman en anglais (il a fallu un peu de temps pour qu’il arrive).
Je ne suis pas traductrice, encore moins bilingue. Mais vous l’aurez remarqué, je peux lire certaines œuvres en anglais, si elles ne sont pas trop exigeantes ou trop éloignées de nous (dans le temps : j’ai souvenir d’avoir étudié Shakespeare dans mes jeunes années, c’était ben difficile). Je mesure (un peu) la difficulté de l’exercice de la traduction littéraire, ce qui me rend admirative face à l’excellent travail de nombreux traducteurs. J’ajoute que Rivages/Noir a largement contribué à changer la donne en ce qui concerne le polar, par un soin apporté à la traduction des œuvres étrangères, cela est incontestable.
Cependant, je reste perplexe devant Le Babouin blond, dont Rivages semble pourtant être le premier éditeur français. Je constate (et cela n’est pas un reproche fondamental) que plusieurs traducteurs se sont succédés sur les volumes de la série qui m’intéresse ici. Le Babouin blond est traduit par un certain André Simon, et j’avoue que certains de ses choix me semblent discutables. Il y a une préciosité dans le vocabulaire – pour certains passages – et des tournures alambiquées qui ne correspondent pas vraiment, me semble-t-il, au style de l’auteur. Son anglais n’est certes pas lapidaire, mais il y a une certaine limpidité dans les phrases et une simplicité dans la manière d’appréhender les faits. Voici quelques exemples :
Première page : « Detective-Sergeant de Gier agreed with him but he didn’t say so. He didn’t have to. »
La traduction française : « Le brigadier de Gier en convint mais n’eut point besoin de le dire. C’eût été superflu »
Bon, je passe sur le « c’eût été », admettons, concordance des temps (encore qu’un « c’était superflu » m’aurait paru tout aussi bienvenu et plus simple). Mais pourquoi ce « ne point » pour la négation ?
D’accord, je pinaille.
Au début du chapitre 3, j’ai été plus gênée (pour ne pas dire éberluée) par cette « douleur térébrante », obtenue étrangement à partir de la formule « cold pain ». Je ne sais pas quelle formulation serait juste, mais « térébrante », mille tonnerres !
Et ces drôles de tournures, qui compliquent une syntaxe originellement simple, en donnant à l’œuvre un côté précieux et chichiteux inattendu… Au début du chapitre 4, l’auteur écrit : « The room hab been neutral when the commissaris moved into it, many years back. » Cela devient : « Impersonnelle avait été la pièce avant que le commissaire ne s’y vînt installer, il y avait maintenant des années. » Sans rire, pourquoi ces inversions ? Cela donne un petit air ridicule au texte, non ? Plus loin, un personnage affiche un « jubilant visage » pour « bright face », tandis que, chez une femme, « the low top of her suit », devient « l’échancrure de son casaquin ».
J’arrête là. Je ne suis pas une puriste de la traduction, je n’ai pas les compétences pour cela. Mais celle-ci a vraiment gêné ma lecture, parce que ce n’était pas le style auquel j’étais habituée pour la série, et que cela faisait écran. J’ai du mal à comprendre : le traducteur a-t-il voulu rajouter sa patte à un texte de « mauvais genre » jugé trop simple, pas assez littéraire ? Est-ce un gag ? En tout cas, en regardant l’original, j’ai le sentiment que la traduction dénature le texte, surtraduit et donne une tonalité qui n’a pas lieu d’être.
Rivages proposera-t-il des traductions revues comme cela a été fait pour certaines séries récupérées chez d’autres éditeurs ? J’en doute. Mais on peut rêver.

Le mot de la fin
Je n’ai plus qu’à prier les bienveillantes divinités de la lecture que ce zélé traducteur ne sévisse point dans les volumes qui attendent dans ma pile à lire. Je ne souffrirai point que ce texte acratopège reçoive les outrages d’une maniérée traduction :  les accordailles entre la série et moi seraient assurément rompues.

Janwillem Van de Wetering, Le Babouin blond (The Blond Baboon), Rivages/Noir, 1987. Traduit de l'anglais par André Simon. Publication originale : 1978.