Présentation (quatrième de couverture)
Buell, petite ville
sidérurgique de Pennsylvanie, autrefois prospère, est aujourd'hui à l'agonie :
les usines abandonnées et les villages fantômes ont remplacé les
hauts-fourneaux. Les adolescents du coin essaient d'échapper à la désolation ambiante
pour s'inventer un avenir... Avec l'aide de Billy, son meilleur ami, Isaac
décide de s'enfuir en Californie. Mais très vite l'aventure tourne mal et les
deux garçons se retrouvent avec le cadavre d'un vagabond sur les bras. L'espoir
a parfois un arrière-goût de rouille...
Mon avis
Un arrière-goût de rouille est un grand roman noir. Voilà, c’est dit.
Bien sûr, c’est une réédition en poche d’un roman paru chez Denoël en
2010. Mais parce que j’étais complètement passée à côté, cette parution en Folio
policier me fait l’effet d’une nouveauté. Et c’est une nouvelle claque (après La tristesse du samouraï et Chiennes de vie) ! Je dois avouer
que j’ai trouvé les cinquante premières pages arides, j’ai eu du mal à entrer
dans cet univers, j’étais déconcertée par ce curieux mélange entre action
rapide (l’action se noue dès le premier chapitre) et lenteur de la narration.
Cependant, je me suis accrochée et bien m’en a pris : passé ce cap, j’avais
du mal à lâcher le roman.
Le récit alterne les points de vue, chaque chapitre
portant le nom ou le prénom de l’un des protagonistes (hormis le premier chapitre
qui pose l’action) : pour l’essentiel, Poe, Isaac et Grace. Cette
construction classique est très efficace et elle permet au lecteur de
« respirer », de passer d’un personnage à l’autre, en même temps que
l’ensemble des chapitres fait sens et construit un ensemble parfaitement
articulé et cohérent.
Il y a là tous les ingrédients de ce qui fait pour moi un grand roman
noir. Un arrière-goût de rouille nous
parle d’un coin des Etats-Unis, en Pennsylvanie, qui subit depuis des années
déjà le contre-coup de la désindustrialisation du pays. De l’usine sidérurgique
qui faisait vivre la vallée il ne reste rien, que des friches industrielles qui
rappellent douloureusement que la région était prospère. Il est souvent
question des conséquences humaines tragiques de ces délocalisations et
faillites qui ont entraîné en cascade d’autres fermetures. Ceux qui sont restés
survivent tant bien que mal mais nul n’est épargné, et chacun est conscient non
seulement du désastre accompli mais aussi des sombres jours à venir. Si les
ouvriers ont été les premiers perdants de la mondialisation, il en est de même
désormais pour les employés en col blanc. L’analyse de la situation est
toujours livrée à hauteur de personnage, sans pesanteur didactique ou
idéologique, et le constat n’en est que plus glaçant, comme il est glaçant de
voir ces hommes et ces femmes survivre parfois grâce au produit de leur chasse
(pas de leur pêche, les rivières sont bien trop polluées).
Directement liée à cette dimension sociale, la trajectoire des
personnages est marquée du sceau du roman noir. Ils sont la plupart du temps
agis par les circonstances, mais il y a aussi en eux une conscience douloureuse
de leur responsabilité, qu’elle soit individuelle ou collective, en même temps
qu’une incapacité à changer leur vie sans déclencher la tragédie. Isaac en est
un bel exemple : jeune homme aux capacités intellectuelles extraordinaires,
il est coincé à Buell parce qu’il doit s’occuper de son père, handicapé à la
suite d’un accident à l’usine (lorsqu’elle fonctionnait encore). Englué dans
cette vie sans avenir, il sait qu’il doit partir, mais son départ est
précisément le déclencheur de la tragédie.
Il faut dire un mot des personnages, merveilleusement construits.
Chacun pourrait être, dans un mauvais roman, un stéréotype social : le
jeune sportif un peu rustique et violent, le surdoué asocial, la mère prolo, le gentil flic… Pourtant il n’en est rien : chacun est travaillé dans
toute sa complexité, sans complaisance ni angélisme, chacun est bouleversant
parce que tout ce qui reste dans ce monde dévasté, c’est l’amour, l’amitié, ce
que l’on offre de soi à ceux que l’on aime. Cela n’est pas simple – on n’est
pas au pays des Bisounours – mais c’est la seule solution.
Le roman construit peu à peu une toile qui se referme sur les
personnages, les étrangle, les condamne, mais le talent de Philipp Meyer est de
réussir à ne pas aller là où on l’attend et ne jamais tomber dans le glauque. C’est
ainsi qu’il parvient à proposer un final éblouissant, qui allie la noirceur et
l’apaisement.
Enfin, Un arrière-goût de rouille,
sans appartenir à ces romans noirs qui s’enracinent dans une terre à laquelle
ils rendent hommage, évoque avec beaucoup de force la nature. Chacun des
personnages, à sa manière et à des degrés différents, évoque la puissance
ambivalente d’une nature tour à tour nourricière et dangereuse. Il y a un peu
de Chris Offutt et un peu de William G. Tapply, en quelque sorte. Cela donne en
tout cas, par moments, un côté contemplatif au roman. Les rivières sont très
importantes : elles guident, elles lavent, elles empoisonnent aussi, mais
leur sauvagerie originelle est d’une beauté stupéfiante.
Vous l'aurez compris, je ne saurais trop vous recommander la lecture de ce roman noir.
Pour qui ?
Pour tous ceux qui aiment les romans noirs.
Philipp Meyer, Un arrière-goût de rouille (American Rust), Gallimard/Folio Policier, 2012. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Sarah Gurcel. Première édition française: Denoël, 2010. Publication originale: Simon & Schuster, 2009.
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