vendredi 8 avril 2016

Crocs de Patrick K. Dewdney


Présentation (éditeur)
Il emprunte la glaise des sous­-bois. À l’heure qu’il est, on est probablement à ses trousses. Sa course vient parfois frôler les villages endormis, l'asphalte visqueux des routes. Le cabot l'escorte et la pioche meurtrit son épaule. Comme il n'a aucun autre compagnon, c'est à eux qu'il murmure le Plateau, les trajectoires perdues et les mémoires effacées. Quelque part à l'issue du chemin, il y a le Lac et le vacarme du Mur. Qui attend. Le Mur n’est autre qu’un barrage, et le Plateau est celui des « mille sources », stratifié, préservé, où des blocs rocheux monolithiques surgissent parfois des landes ou au milieu des forêts.

Ce que j’en pense
À première vue, Patrick K. Dewdney livre avec Crocs un roman que l’on peut rattacher au nature writing. Nous suivons ce narrateur, dont nous savons peu de choses objectivables, factuelles, si ce n’est qu’il a aux alentours de 40 ans, qu’il a exercé le métier de technicien de fouilles et qu’il a eu deux filles de sa compagne.
Lorsque s’ouvre le roman, nous nous attachons aux pas d’un homme en fuite, qui chemine à travers bois vers un but, le « Mur ». Accompagné du Cabot avec il a des liens à la fois simples et ambigus, il fuit les pas des hommes, sa pioche sur l’épaule, suivant ceux des Lemovices, cherchant leurs traces dans la nature tour à tour hostile et protectrice. Son rapport à cette nature est à la fois animal et mystique. L’écriture de Patrick K. Dewdney exprime avec force ce cheminement, ce que d’aucuns pourraient voir comme une dérive mais qui a des accents de rédemption, d’expiation. Certains auront du mal avec cette écriture, habitués à un style brut, à l’os. Ici c’est une forme de prose poétique qui se livre à nous page après page, pour saisir la beauté terrifiante qui se dégage de ces espaces hors de la portée de l’homme et de son confort moderne. C’est l’ultime espace de liberté pour le personnage.
Cette dimension du roman ne fait cependant pas oublier que nous lisons un roman noir, âpre et tragique. Car si le personnage fuit en se fondant dans cette nature sauvage, il sent peser sur lui ce qui a fait sa vie d’avant. C’est à mon sens un roman éminemment politique qu’écrit Patrick K. Dewdney dans la plus forte veine du roman noir. Il peint  « la férocité de jeunesse qui se moquait de la mort », qui se révolte et qui se fait broyer. Il y a l’ombre de Tarnac, les aliénations ordinaires, les soumissions non consenties, la violence inouïe du système.
J’ai assez vite compris ce qu’il en était de la pioche, du Mur, parce que le récit relatif au passé du personnage, qui s’intercale dans celui de sa fuite, me donnait suffisamment d’éléments. Mais cela n'avait aucune importance et cela rehaussait même la tonalité tragique sans rien enlever au texte.
J’ai le bonheur de lire ces derniers temps des romans noirs singuliers, qui tracent de nouvelles voies dans le genre. Je pense que Patrick K. Dewdney fait partie des voix à suivre, car son écriture puissante s’allie à une vision du monde forte et sombre, qui lui est propre.


Patrick K. Dewdney, Crocs, La Manufacture de Livres/Ecorces, 2015.

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