jeudi 3 février 2022

Raser les murs de Marc Villard


Présentation de l'éditeur

SDF, prostituées, migrants, voleurs sont les héros et les héroïnes de ces neuf nouvelles.
Histoires de meurtre, de règlements de compte ou de mains tendues, Marc Villard saisit – sans aucun misérabilisme et avec l’empathie qui caractérise son œuvre – ces personnages dans leur quotidien le plus trivial comme dans leurs instants les plus tragiques. Sur fond de jazz, il nous emmène là où la violence sociale entraîne parfois la violence physique – des bas-fonds du dix-huitième arrondissement de Paris au Nouveau-Mexique, entre le jour et la nuit. Pendant que certains mènent l’enquête, d’autres ont quelque chose à fuir.
Ces hommes et ces femmes prouvent s’il en est besoin que l’échec n’est jamais magnifique. Marc Villard leur redonne une dignité qu’ils ont oubliée.

Ce que j'en pense

A mon sens, Marc Villard donne sa pleine mesure dans l'art de la nouvelle, forme qu'il manie avec une grande délicatesse, qu'il s'agisse de nouvelles très brèves, dix pages ou moins, ou de nouvelles qui prennent un peu plus leur temps. Ce ne sont pas des nouvelles à chute au sens où on l'entend à propos des nouvelles du XIXè siècle ou de la littérature américaine, notamment ces nouvelles de SF qui se terminent sur un choc. Non, si chute il y a, c'est celle des personnages, qui n'en finissent pas, à vrai dire, de tomber. 

Marc Villard est un peintre des marges sociales. Je ne dirais pas qu'il nous montre les invisibles, car les personnages qu'il nous offre sont bel et bien sous nos yeux, dans les métropoles en tout cas, ou leurs périphéries. Ce qui est admirable, c'est qu'il brosse des silhouettes que l'on rattache immanquablement à une catégorie (migrant, prostituée, strip-teaseuse, etc.), dont il parle avec un souci de dire juste, mais qu'il leur donne chair, au-delà de cette catégorie, car ces hommes et ces femmes ne se réduisent pas à cela, tout en étant cela (vous me suivez? moi bof). Donc, on peut caractériser son écriture ou son esthétique (comme vous voudrez) de réaliste, mais il est aussi hors du réalisme, car il a fait le choix, résolu et puissant, de la fiction, d'une certaine façon plus forte que le réel. Parfois, quand je lis les nouvelles de Villard, je pense à Carver, pour leur amour commun de ceux qui vivent dans la débine, et qui semblent courir droit dans le mur. Mais il y a chez Villard quelque chose de spécial et sans doute de singulier, sa capacité à nous faire pleurer des larmes de sang (je vous entends : "bigre!, comme elle y va") face à ces histoires parfois sordides, souvent violentes, ces personnages qui ne sont pas des perdants magnifiques, juste des perdants, et que, par la magie de son écriture, on aime immédiatement. Lulu dans "Kebab Palace", Samir dans "Raser les murs", et aussi Julien dans "Le Brady" : oui, "certains appellent ça la condition humaine". 

Ma préférée dans ce volume, s'il fallait en choisir une : "Pigalle". L'intrigue permet de faire la connaissance de Tessa, superbe personnage qui échappe aux stéréotypes, et parce que la nouvelle illustre bien en quoi Marc Villard refuse l'idée de chute fracassante : la vie continue, en dépit des tragédies, parce que c'est aussi ça, "la condition humaine". Pas d'amertume, pas de misérabilisme, pas d'enjolivement de ces trajectoires ordinaires de ceux qui doivent, encore et toujours, raser les murs. 


Marc Villard, Raser les murs, Joëlle Losfeld, 2022.



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