mardi 18 janvier 2022

Pina de Titaua Peu



Présentation éditeur

Cadette de neuf enfants, Pina, du haut de ses neuf ans, dépeint le quotidien d'une famille de Tenaho, lotissement proche de Papeete. peu à peu, à l'image de leur vallée et de leur pays, leurs destins entrecroisés se fissurent, finissant par s'effondrer et ils assistent, impuissants, à leur propre déchéance. Aux antipodes du politiquement correct, ce roman crie la rage trempée dans la sueur, le sang, le sperme... et les larmes. Pas de réveil des consciences. Pas de jugement. La vie. Avec ce qu'elle a de laid. Avec ce qu'elle sait, aussi, de la beauté et d'une rédemption possible.


Ce que j'en pense

Alors non, la misère n'est pas moins pénible au soleil. Impossible de parler de coin de paradis à propos de l'endroit où grandit Pina, cadette d'une famille nombreuse et bancale. Si vous cherchez la lascivité polynésienne et l'exotisme, Pina vous douchera. Le récit est rythmé, scandé par un étrange poème, une sorte de comptine qui s'enrichit chaque fois de quelques mots, quelques vers, et ses premiers mots, "Un petit corps balance", donnent le ton, rappelant un "strange fruit". Pina est un récit de violence, de violences, qui ruissellent, si je puis dire. Ce sont avant tout les violences que l'on inflige aux populations autochtones de cette terre qui est, on l'oublie un peu vite, une colonie. A la violence de la colonisation s'ajoute celle de l'évangélisation, et les deux imposent un double reniement et mènent à une forme de folie. Ce sont aussi les violences subies par les pauvres, dans une terre où il faut jouer un rôle, imposé lui aussi par les colons : celui du bon sauvage calme, docile, sensuel, et Titaua Peu peut sans doute sembler dure, car elle n'angélise pas les Tahitiens. Enfin, ce sont les violences faites aux femmes, encore plus aux jeunes femmes et aux fillettes. Le père est emblématique de cette cascade de violence : il subit la violence faite aux Tahitiens, aux pauvres, et l'exerce à son tour contre sa femme et ses enfants.

Tout cela va crescendo dans le roman, au rythme parfaitement maîtrisé, à la progression captivante. La force de Titaua Peu, c'est d'allier le sens du romanesque, avec des personnages qui déchirent le coeur, et la puissance d'un point de vue politique, sans misérabilisme, sans résignation aussi, avec une vraie rage, salutaire. Et puis le roman est traversé par des amours magnifiques, abordant la difficulté d'aimer hors des cadres dans cette société. 

On pourrait penser que Pina est un roman de femmes, et c'est vrai à bien des égards. La mère, les soeurs, toutes composent de superbes personnages, inoubliables. Mais les personnages masculins sont également bouleversants. Il y a Roméo à l'amour inconditionnel, Auguste à la trajectoire flinguée, le superbe Pauro, et Teanuanua, évidemment. 

Titaua avec ce roman a obtenu le prix Dabit (en 2017) et on comprend pourquoi. Roman noir puissamment politique, Pina est pour moi une somptueuse découverte.


Titaua Peu, Pina, Editions Au vent des îles, 2016.

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