vendredi 14 janvier 2022

Aimez-vous les uns les autres de Maruska Le Moing



Présentation éditeur

« C’est le plus bel hiver depuis toujours ! Maman rit. De petits rires rauques, nerveux mais charmants, au milieu de l’après-midi, comme pour commenter le passage de mouches invisibles lui chatouillant le visage. Je l’ai emballée dans sa doudoune rouge pour qu’elle ne prenne pas froid, mais deux nageoires vides lui pendent sur les côtés ; elle tenait ses bras si serrés contre la poitrine tout à l’heure que j’ai dû renoncer à enfiler les manches. ‘‘ Bienvenue, mère manchote. Tu aimes bien ta nouvelle prison, maman ? Tu verras, il fait plus froid ici, mais c’est bon pour le repentir.” »

Comment se libère-t-on d’une mère haïe depuis l’enfance ? La solution est sans doute de la kidnapper pour la faire disparaître à petit feu. Mais pour cela il faut parvenir à donner le change avec l’aide d’une Roumaine aux idées bien arrêtées, renoncer à un amant violent dans les bras duquel on pouvait enfin s’oublier, et éconduire quelques membres du corps médical


Ce que j'en pense

Je suis toujours admirative des premiers romans (enfin quand ils sont bons), et celui-ci se lit d'une traite, d'une respiration en quelque sorte. Il brasse avec une grande efficacité mille tragédies ordinaires, diraient certains, et explore la toxicité de la famille, qui n'est pas qu'amour, comme le souligne en somme le titre et son injonction sarcastique. Et c'était bon de lire cela en période de bons sentiments de Noël, où l'on nous martelait qu'il était si bon de se retrouver en famille. Mais je m'égare.

La narratrice est saisie à un moment de sa vie où toutes les conditions sont réunies pour qu'elle se laisse dériver, tragiquement mais avec une sorte de soulagement et de détermination salutaire. Les circonstances font que sa solitude, fondamentale, terrible dès sa plus tendre enfance, éclate et la conduit à l'accomplissement d'un dessein qui l'anime probablement depuis longtemps. Trajectoire professionnelle propice à l'isolement et au repli, dérive sexuelle, mère absente à elle-même : les planètes sont alignées, en somme. Le lecteur assiste, impuissant et fasciné, à l'enclenchement de la mécanique tragique mais en réalité tout est joué depuis longtemps pour la narratrice. L'enfance, noeud de serpents, a distillé son venin, plaçant notre "héroïne" sous le signe de la violence, de l'abus, de l'abandon et de la perte, et rien ne peut changer cela. 

Le récit alterne présent et enfance, et il est servi par une très belle plume, précise et sans recherche d'effets inutiles. Quoique publié en blanche, ce premier roman de Maruska Le Moing peut être saisi comme un roman noir, un de ces romans noirs où l'on assiste à une dérive criminelle et tragique. J'espère en tout cas que Maruska Le Moing nous livrera d'autres romans sombres et vénéneux comme celui-ci : pour ma part, j'en redemande. 


Maruska Le Moing, Aimez-vous les uns les autres, Gallimard, 2022.


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