jeudi 3 février 2022

Une guerre sans fin de Jean-Pierre Martin



Présentation éditeur

Joan-Manuel est un jeune romancier fasciné par la guerre. Pris en otage par les djihadistes puis relâché dans le désert, hanté par le souvenir de sa détention, il décide de partir en Galice sur la piste d’un mystérieux poème de Garcia Lorca.

Alexandre est un diplomate dont la famille a été déportée par un certain Alois Brunner, criminel de guerre nazi devenu conseiller du dictateur Hafez el-Assad. Dans l’espoir de combattre ses démons, il accepte une opération de renseignement dans une ville syrienne assiégée.

Daniel est un mercenaire spécialisé dans la sécurité militaire à Bagdad. Afin de retrouver la fille d’un ami disparue lors d’une mission humanitaire sur la frontière turque, il doit monter une expédition des plus périlleuses pilotée en sous-main par la CIA.

Ce que j'en pense

J'ai acheté ce roman à sa sortie ou peu s'en faut. Je sentais que c'était le genre de roman noir qui pouvait me plaire et rapidement, j'en ai entendu dire du bien, par voie de presse ou de blogs divers et variés. Comme tant d'autres, il s'est retrouvé enseveli dans une pile, avec toujours un truc plus urgent à lire, à faire. Ce n'est donc que ces jours-ci que je m'en suis emparée. D'abord, j'ai failli reculer : avais-je envie d'entendre parler sur 300 pages de guerre, de terroristes, des souffrances engendrées par ce merdier? Mais j'avais commencé, et plus moyen de lâcher le bouquin. 

Il est rythmé par l'alternance entre trois voix narratives, trois personnages qui offrent trois points de vue sur la guerre. Tous trois sont au coeur du brasier pour des raisons différentes, animés chacun par une quête personnelle. Sans effet de manches ("je vous laisse sur un cliffhanger avec Duschnock, rendez-vous dans trente pages, hihihi"), sans effet de suspense façon thriller d'espionnage ricain de mauvais aloi, Jean-Pierre Perrin nous tient. Le chemin presque absurde de Joan-Manuel dans le désert vers ce muret qui peut être son salut est remarquable : c'est le désert des Tartares mais avec du mouvement, quoi. En somme, je tournais les pages avec avidité.

Je ne suis sans doute pas assez lectrice de récits (fictionnels ou non) prenant place dans les différents points brûlants du monde arabe, mais jamais je n'avais lu d'évocation aussi saisissante de l'horreur de Homs bombardée, jamais je n'avais vu les enjeux - personnels, politiques, stratégiques - des actes et des décisions des différentes parties évoquées aussi directement, dans toute leur abjection, leur cynisme. En cela, Une guerre sans fin est un roman d'espionnage ET un roman noir, qui peint la tragédie sans lui donner de beaux autours, une tragédie dégueulasse, désespérante. 

La force de Jean-Pierre Perrin est de faire une oeuvre littéraire superbement écrite à partir d'un matériau qui appartient au réel : Marie Colvin et Rémi Ochlik ont existé, et un certain Perrin, journaliste français, est dans le roman aussi. Sans doute lui fallait-il la puissance de la fiction pour donner du sens au chaos, un sens qui ne serait pas à chercher dans les évènements eux-mêmes mais dans ce que les êtres qui s'y confrontent perdent et trouvent. La mise en abyme est double : Perrin, auteur du roman, est dans le roman, mais il est aussi dans ce personnage de Joan-Manuel, écrivain fasciné par la guerre d'Espagne, et qui cherche quelque chose qui va bien au-delà du témoignage, des raisons d'écrire MALGRE la guerre. 

Avec sa fin ouverte (et terrifiante à mon sens), le roman reprend ce que dit l'un des personnages : c'est une guerre qui dure depuis bien longtemps et qui n'aura sans doute pas de fin ; c'est aussi une guerre qui ne laisse que des victoires aux obscurantistes, car soit ils gagnent militairement (et c'est la fête), soit ils perdent mais gagnent alors la voie du martyre, victoire sur le chemin d'Allah. C'est un peu comme si Sisyphe était heureux de rouler son caillou sans cesse, parce que finalement, son caillou est de plus en plus gros. 

Une guerre sans fin n'est pas un témoignage, pas même un livre politique au sens où pourrait l'attendre : c'est un tombeau, un tombeau pour ceux qui sont morts et pour ceux qui, même revenus, ne sont plus tout à fait vivants. 


Jean-Pierre Perrin, Une guerre sans fin, Rivages Noir, 2021. 

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