lundi 25 octobre 2021

Frakas de Thomas Cantaloube



Présentation éditeur

Paris, 1962. Luc Blanchard enquête sur un groupuscule soupçonné d’être un faux nez des services secrets, impliqué dans l’assassinat à Genève, deux ans plus tôt, d’un leader de l’Union des populations du Cameroun. Une piste conduit le jeune journaliste à Yaoundé, mais il met son nez où il ne devrait pas et devient la cible du gouvernement local et de ses conseillers de l’ombre français.

Avec l’aide de son ami Antoine et d’un ancien barbouze, il va tenter de s’extraire de ce bourbier pour faire éclater la vérité.

Ce que j'en pense

Vous vous en souvenez peut-être, j'avais lu, aimé et chroniqué Requiem pour une République, où l'on faisait la connaissance d'un nouvel auteur, Thomas Cantaloube, et de son personnage, Blanchard. Cet été, j'ai lu Frakas, mais sans doute pétrifiée par une intense flemme estivale, je ne l'ai pas chroniqué. Comme l'auteur a récemment eu le prix du Noir de l'Histoire au festival des Rendez-vous de l'Histoire à Blois, je me suis dit qu'il n'était pas trop tard. Avec Requiem pour une République, Thomas Cantaloube s'attardait sur un moment de l'Histoire que le polar a pris l'habitude d'explorer, la guerre d'Algérie, vue essentiellement du territoire métropolitain, mais avec un point d'intérêt précis : l'incapacité du pays à prendre acte de la décolonisation inéluctable, et les fondements malsains de la Vè République. Cette fois, il aborde un autre moment décisif pour l'Etat français, mais beaucoup moins connu du grand public, dont je suis : la guerre menée par la France, sans tambour ni trompettes, au Cameroun, entre 1955 et 1962 (j'espère ne pas me tromper dans les dates). Pourquoi est-ce important? Parce que se jettent là les bases de la Françafrique, rien de moins. Une fois de plus, l'auteur explore des moments de crise et de mutation qui sont aux fondements de l'Etat français "moderne", ainsi que son incapacité à solder son passé (?) colonial. Sur les pas de Luc Blanchard, son ex-flic devenu journaliste, j'ai appris des tas de choses que j'ignorais totalement, l'implication souterraine (vue de France, en tout cas, au Cameroun ça se voyait nettement plus...) de l'armée française dans la guerre du Cameroun, les exactions commises sur place (massacres, utilisation du napalm, tortures), les manoeuvres politiques. Même si je suis mal placée pour en juger, j'ai eu le sentiment que Thomas Cantaloube travaillait ici aussi avec une documentation solide, et je pense qu'on peut lui faire confiance sur ce point. 

Mais il est une autre qualité de Thomas Cantaloube que j'ai retrouvée ici : son sens du romanesque, qui ne nuit nullement, bien au contraire, à la force du propos. Car ce n'est pas seulement Blanchard que l'on retrouve, mais aussi Carrega, le Corse taiseux, et Volkstrom, toujours aussi ambivalent, terrible exécuteur des basses oeuvres et personnage irrésistible. Le croirez-vous? J'ai ri, à plusieurs reprises, en dépit de la noirceur du récit, parce que Thomas Cantaloube crée des situations rocambolesques et hilarantes, notamment lorsque le roman prend des allures de récit d'aventures au coeur de l'Afrique. Note à ceux qui liront le livre : voyez la perplexité du pilote d'hélico à la vue d'un passager supplémentaire, et avant cela, la mine réjouie de Volkstrom à côté de l'hélico juste avant la folle équipée, deux moments irrésistibles. Vous pouvez ajouter à cela un art du récit, du suspense, de la tension : ma lecture remonte à cet été, mais j'ai le clair souvenir d'avoir eu du mal à lâcher le bouquin avant la fin, captivée que j'étais par Frakas

Les derniers mots de Frakas nous laissent apercevoir le prochain horizon de Blanchard, un autre aspect de la colonisation française : la Guadeloupe. Moi j'ai hâte, terriblement hâte. 


Thomas Cantaloube, Frakas, Gallimard Série Noire, 2021. 

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