mardi 31 août 2021

Memorial Drive de Nathasha Trethewey



Présentation éditeur

Le 5 juin 1985, Gwendolyn est assassinée par son ex-mari, Joel, dit « Big Joe ». Plus de trente ans après ce drame qui a changé sa vie, Natasha Trethewey, sa fille, affronte enfin sa part d’ombre en se penchant sur le destin de sa mère. Tout commence par un mariage interdit entre une femme noire et un homme blanc dans le Mississippi. Suivront une rupture, un déménagement puis une seconde union avec un vétéran du Vietnam. À chaque fois, Gwendolyn pense conquérir une liberté nouvelle. Mais la tâche semble impossible. Elle est toujours rattrapée par la violence.

Ce que j'en pense

Alors bien sûr on pourrait se dire que l'on a déjà abordé ce thème-là, ou ces thèmes-là, et si vous cherchez LE sujet inédit, ben oui, passez votre chemin. Mais vous aurez tort. Memorial Drive est un récit qui permet à Nathasha Trethewey de rendre hommage et dignité à sa mère et d'exorciser sa douleur. A un premier niveau de lecture, on ne peut qu'être secoué par cette histoire : à travers le sombre destin de Gwendoline, on passe en revue la ségrégation et le racisme, dans un premier temps, puisque son premier mariage, dont Natasha sera l'enfant, est un mariage mixte. Gwendoline est noire de peau, son mari blanc de peau. Dans le Mississippi, même si on n'est plus à l'époque de la ségrégation, ce n'est pas facile, et Nathasha subit elle-même les conséquences de ce racisme, elle qui n'est ni tout à fait noire, ni tout à fait blanche. A travers le destin de Gwendoline se donne aussi à lire la violence conjugale : après avoir quitté le père de Nathasha, elle refait sa vie avec Big Joe, un vétéran du Vietnam violent, qui finira par la tuer. Nathasha Trethewey retrace l'engrenage infernal qui va des premiers coups à l'assassinat, en montrant que rien n'a été fait pour éviter le pire. Les pages où Nathasha Trethewey retranscrit les enregistrements téléphoniques : les menaces n'y sont pas voilées, pas du tout, et pourtant, rien n'empêchera l'homme de mettre ses menaces à exécution. Rien du tout. Oui, elle aurait pu être sauvée. Cette inertie ne fait pas que coûter la vie à Gwendoline. Elle contraint Nathasha à porter une culpabilité terrible : je vous laisse découvrir pourquoi, mais si la fille était morte, la mère serait peut-être restée en vie. Le récit est déchirant et glaçant, superbe hommage à la mère disparue. Sa mort n'a pas dévasté que sa famille, le policier - premier arrivé sur les lieux - reste hanté par Gwendoline et des années plus tard, pleure encore sur cette femme. 

A un autre niveau de lecture, Memorial Drive pose la question de la violence inhérente à la nation étatsunienne. Violence raciste, violence militaire (on ne peut s'empêcher de relever que Joe est un vétéran du Vietnam), violence conjugale, violences faites aux femmes. Ce que Memorial Drive montre, c'est l'impossibilité des USA à sortir de la violence, quelle qu'en soit la forme. Nation fondée dans la violence, nation condamnée à répercuter sans cesse la violence. 

Memorial Drive est le tombeau littéraire de Gwendoline, l'hommage d'une fille à sa mère, et c'est un témoignage fort sur un pays, les Etats-Unis. C'est beau, terrible, et très digne. 


Nathasha Trethewey, Memorial Drive (Memorial Drive: A Daughter's Memoir), Editions de l'Olivier, 2021. Traduit de l'anglais (USA) par Céline Leroy. 



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