mercredi 18 août 2021

La sacrifiée du Vercors de François Médéline



Présentation éditeur

Une robe bleu roi roulée sous des branchages. Plus loin, une jeune femme sauvagement tondue gît sous un arbre.
Dans cette forêt du Vercors, Marie Valette a été violée et assassinée. Elle avait 24 ans.
Ce 10 septembre 1944, Georges Duroy, commissaire de police près le délégué général à l’épuration, et Judith Ashton, jeune photographe de guerre américaine, se trouvent sur la scène de crime.
En cette journée caniculaire, tous deux s’interrogent. Qui a pu s’en prendre si violemment à la fille d’une famille de résistants ?
Jeunes héros sortis de l’ombre, coupable idéal et villageois endeuillés s’affrontent dans les cendres encore fumantes de la Libération. Car au sortir de cinq années de guerre, ce sont les silences et les règlements de comptes qui résonnent sur les flancs arides des montagnes.

Ce que j'en pense

Je ne sais pourquoi, j'ai tardé à lire ce roman, et flemme oblige, j'ai tardé à vous en parler. Mais la littérature n'étant pas chose périssable, je m'y mets. Vous savez que j'apprécie le travail de François Médéline, ce n'est pas un scoop. Il y a chez cet auteur une capacité à construire une oeuvre cohérente ET à proposer des livres très différents les uns des autres qui me rend très admirative. Cette fois, il nous propose un roman noir qui plonge dans les lendemains troubles de la guerre, au moment de l'épuration, dans le Vercors, terre de résistance s'il en fut. Et c'est remarquable. 

Le roman se déroule sur une journée, en septembre 44 et Georges Duroy, commissaire de police, est venu chercher une prisonnière, afin de la transférer à Lyon. Ce même jour, le corps d'une jeune femme est retrouvé dans une clairière : à travers le corps supplicié de la jeune institutrice (violée, tondue, tuée) se dit toute la complexité et toute l'horreur d'un conflit qui n'opposa pas seulement les Français à l'ennemi allemand, comme on le sait bien. Rejet de l'autre (l'Italien), haines viscérales, règlements de comptes : on est encore loin du roman national qui néanmoins commence à se profiler, avec sa dose de manichéisme et sa volonté d'éviter au pays de sombrer dans une guerre civile. Pas d'épopée glorieuse de la Résistance ici : les résistants, de la première ou de la dernière heure, sont des humains, ben oui, avec leurs appétits, leurs instincts et leurs blessures, leurs envies de vengeance. 

L'écriture de François Médéline suit les personnages au plus près : Duroy, mais aussi Judith Ashton, américaine, photo-reporter qui suit les troupes de la Libération. Ils vont lever peu à peu le voile sur la réalité de ce meurtre. Non seulement l'auteur pose des mots sur la complexité historique et politique de la situation dans le Vercors d'août 44 et de la nation, mais il porte aussi l'attention sur les "sacrifiées", ces femmes qui furent tondues. Derrière les raisons politiques avancées (la trahison par le sexe et l'amour dans certains cas), il y a aussi la virilité blessée de ces jeunes coqs à peine sortis de l'adolescence et qui font payer aux femmes leurs propres blessures de mâles soucieux de s'affirmer comme tels. Peu importe que Marie soit fille et soeur de résistant, seul compte l'affront fait à son promis (ils ne se sont jamais choisis, ce n'est pas l'habitude à cette époque), qu'il faut réparer : c'est cela qu'elle paie avant tout. 

Humains, trop humains? Sans doute, mais le propos de François Médéline reste à mes yeux puissamment politique : le rapport hommes/femmes l'est de toute évidence, et le moment de crise saisi par le romancier met en valeur la complexité des enjeux de l'époque. Mieux vaut ne pas trop dire ce qui a réellement motivé les assassins de Marie, et faire de ce crime de vengeance un noble assassinat politique d'épuration, dans un pays qui a besoin de reconstruire son récit de la guerre pour affronter l'avenir. 

On sait que l'auteur revisite par ce roman une partie de l'histoire familiale : ce n'est pas le moindre de ses mérites que de mettre à distance tout pathos, toute tentation d'une vision romancée des faits (au sens où on sortirait les tambours et les trompettes). Il livre un récit puissant, sec et rythmé, et c'est peut-être le plus bel hommage qu'il pouvait rendre à ceux qui l'ont précédé et qui ont vécu cette période si compliquée. 

François Médéline, La Sacrifiée du Vercors, 10/18, 2021. 



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