Présentation éditeur
Depuis qu’il est sans travail, Philippe passe ses journées à attendre. Attendre que Lucas, son fils de seize ans, rentre du lycée, attendre que sa femme termine sa journée de travail. Il n’y a guère que les dîners du dimanche avec ses copains du hameau, la chasse et la perspective d’y initier son fils qui rompent le fil des jours.
Lorsque Julien, un Parisien venu se terrer dans la maison d’en face, débarque, la vie de Philippe bascule. Il se met à épier ce voisin qui le fascine et l’obsède, cherche à le faire accepter de son entourage qui s’en méfie.
Tout au bonheur de se sentir à nouveau vivant et utile, et d’exister pour son fils et ce voisin novice, Philippe ne voit pas poindre le drame.
Ce que j'en pense
Je vais ajouter au concert de louanges, mais c'est tant mieux, non? Elsa Marpeau à son meilleur, vous ne pouvez pas rater ça. Hier soir, je me suis calée confortablement et plus rien n'avait d'importance, surtout pas les petites tracasseries habituelles de la rentrée : j'ai plongé dans le roman et je l'ai lu d'une traite, ce qui ne m'arrive pas si souvent.
N'ayez crainte : si vous n'êtes pas familier de la chasse, cela n'a pas d'importance, tant l'écriture d'Elsa Marpeau est précise et lumineuse. On se souvient de la précision de Manchette quand il évoquait les armes (d'autres types d'armes), et Elsa Marpeau est de cette trempe. Elle saisit un groupe, un milieu, et c'est déjà passionnant. Je n'en suis pas ressortie pro-chasse (elle n'idéalise personne), mais de fait, le point de vie de Philippe est exprimé avec nuance et force, loin de toute caricature. La chasse est un choix narrativement nécessaire : elle charrie un rapport au vivant, à la mort, à la violence, qui sert admirablement le récit, et elle permet une ritualisation et une initiation parfaites pour le jeune Lucas (vous ne comprenez rien à ce que je raconte? C'est normal, lisez le roman).
La mécanique de L'âme du fusil est impeccable : comme dans beaucoup de romans noirs, le prologue nous donne à voir - mais pas à comprendre - l'issue tragique, du moins en partie, et la tension narrative est installée. Dès lors, le roman va jouer avec les temporalités avec subtilité et fluidité. Et vous, lecteur, lectrice, vous serez pris au piège, pour votre plus grand bonheur.
En 180 pages, Philippe va voir son univers stable et ronronnant exploser, sans tambours ni trompettes, ses repères vaciller, son identité même se brouiller. Reprenant le motif de l'étranger introduit dans un milieu donné, Elsa Marpeau cisèle un bijou de roman noir, impeccablement construit.
Outre la tragédie humaine qui se joue ici pour une famille, un groupe d'hommes et de femmes, par laquelle Elsa Marpeau touche à l'universel, il y a dans L'âme du fusil un portrait de la France rurale et périphérique, une radiographie d'un système à bout de souffle, doublée d'une vision glaçante d'une nature piétinée par des siècles d'exploitation humaine. Philippe perd ses repères, la nature aussi, tout se dérègle : hommes et climat. Ce n'est jamais artificiel, pontifiant, non.
Enfin, le récit est porté par une écriture d'une grâce infinie, qui rend aussi bien les dialogues et la "parlure" de ces hommes et de ces femmes que la poésie de ce monde peu à peu englouti. A mon sens, jamais l'écriture d'Elsa Marpeau n'a été aussi belle, aussi poétique, aussi évidente. Elle a l'art d'allier la reconstitution précise et fine d'un milieu donné (j'ai grandi à la campagne, j'ai reconnu des êtres, des situations, par-delà les époques) et la transfiguration poétique par l'écriture, qui reste cependant simple. Je suis restée bouche bée devant la beauté de certains phrases.
A tous égards, L'âme du fusil est un roman somptueux, un grand roman noir, un grand roman.
Elsa Marpeau, L'âme du fusil, Gallimard La Noire, 2021.
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