jeudi 9 septembre 2021

La Nuit tombée sur nos âmes de Frédéric Paulin



Présentation éditeur

Gênes, juillet 2001.

Les chefs d’État des huit pays les plus riches de la planète se retrouvent lors du G8. Face à eux, en marge du sommet, 500 000 personnes se sont rassemblées pour refuser l’ordre mondial qui doit se dessiner à l’abri des grilles de la zone rouge. Parmi les contestataires, Wag et Nathalie sont venus de France grossir les rangs du mouvement altermondialiste. Militants d’extrême-gauche, ils ont l’habitude des manifs houleuses et se croient prêts à affronter les forces de l’ordre. Mais la répression policière qui va se déchaîner pendant trois jours dans les rues de la Superbe est d’une brutalité inédite, attisée en coulisses par les manipulations du pouvoir italien. Et de certains responsables français qui jouent aux apprentis-sorciers. Entre les journalistes encombrants, les manœuvres de deux agents de la DST, et leurs propres tiraillements, Wag et Nathalie vont se perdre dans un maesltrom de violence. Il y aura des affrontements, des tabassages, des actes de torture, des trahisons et tant de vies brisées qui ne marqueront jamais l’Histoire. Qui se souvient de l’école Diaz ? Qui se souvient de la caserne de Bolzaneto ? Qui se souvient encore de Carlo Giuliani ? De ces journées où ils auront vu l’innocence et la jeunesse anéanties dans le silence, ils reviendront à jamais transformés. Comme la plupart des militants qui tentèrent, à Gênes, de s’opposer à une forme sauvage de capitalisme.



Ce que j'en pense

Ce roman était l'un de ceux que j'attendais avec le plus d'impatience, pour ne pas dire celui que j'attendais. Non seulement la trilogie Benlazar a été pour moi un choc et une révélation (je ne connaissais pas jusqu'alors l'auteur), mais le titre, la couverture et le sujet me prenaient déjà aux tripes. Ce titre, bon sang, ce titre! 

Le prologue nous emmène à Göteborg en juin 2001, qui fut le prélude aux évènements de Gênes, un mois plus tard. L'action se déroule du 13 au 22 juillet 2001, et la mention des dates en tête de chapitre m'a fait penser à un sinistre décompte des jours, comme un compte à rebours (alors que pas à rebours du tout, mais vous me comprenez) vers le déchaînement de la violence policière, la violence d'Etat. J'ai retrouvé dans La Nuit tombée sur nos âmes les qualités de la trilogie Benlazar : la précision, la rigueur dans les faits, avec un récit dont la froideur met à jour la mécanique implacable. Pas de lyrisme échevelé chez Paulin, pas de pathos : les faits suffisent à glacer le sang. Il y a parmi les militants et les sympathisants de la contestation des jeunes gens prêts - croient-ils - à la lutte armée mais aussi et surtout de tendres idéalistes, qui ne soupçonnent pas un instant la violence de ceux d'en face. Bien sûr, Frédéric Paulin nous amène à réfléchir, grâce à ces destins singuliers - ceux de ses personnages - à la possibilité ou à l'impossibilité de la lutte, quelle qu'en soit la forme, il nous montre à quel point Gênes fut un point de bascule dans la lutte contre le capitalisme et dans les moyens déployés par les puissants pour préserver leurs privilèges. Ces jours-là, le capitalisme se montra tel qu'il est, sans fard : prêt à tout, c'est-à-dire à tuer, à torturer, pour juguler toute opposition et toute remise en cause du système instauré. 

La force de Paulin, c'est aussi de déjouer toute tentation de simplisme, et il reconstitue parfaitement le contexte : les choses se seraient peut-être déroulées autrement si l'on n'avait pas été en Italie. Ce qu'il montre en effet c'est que le pouvoir et les forces armées en Italie sont toujours gangrénées par le fascisme. Les comptes ne sont pas soldés, ne croyez pas qu'on en a fini avec l'hydre mussolinienne et ses méthodes. C'est une sorte de tradition en Italie : on emploie quelques exécuteurs des basses oeuvres pour foutre le bordel et discréditer les forces contestataires, tout en en démolissant quelques uns au passage. Utiliser la violence précisément pour faire peser le discrédit de la violence sur les forces révolutionnaires, avec la complicité, voire plus de l'Etat, voilà qui rappelle certaines heures sombres de l'Italie. C'est cela que montre parfaitement Frédéric Paulin, sans en rajouter parce qu'il n'en est pas besoin. 

Avec ce roman, Frédéric Paulin, à mon sens, fait à la fois une oeuvre de mémoire et un travail de vigilance. Mémoire parce qu'il nous appelle à nous souvenir de ces êtres qui ont lutté, pour certains payé de leur vie, dans un combat pipé d'avance. Vigilance parce que bien sûr, le roman nous rappelle que le combat continue, et que des forces comparables sont aujourd'hui à l'oeuvre, soigneusement exploitées par les gouvernements pour effrayer le bon citoyen. Si les violences policières n'existent pas - il suffit de le proclamer et hop! valeur performative de la parole des puissants, cela n'existe pas/plus - et que l'on attribue la violence à quelques agités du bocal, tout devient simple  : il faut écraser la violence dans l'oeuf et tout rentrera dans l'ordre. N'est-ce pas? Le roman nous interpelle sur les forces REELLEMENT en présence, sur le mélange étonnant de mépris du pouvoir face à ces remises en cause et de peur de vaciller qui entraîne en retour une réponse ultra-violente. Il nous interpelle sur la faillite démocratique, sur le rôle des médias (contre-pouvoir ou complices de la fabrique des peurs?) sur les séquelles des totalitarismes du XXème siècle et la persistance de leurs héritages. 

Quand vous refermerez La Nuit tombée sur nos âmes, vous verrez d'un autre oeil notre monde. Tombeau de ces silhouettes de militants aperçus sur les images médiatiques, le roman leur donne chair et âme, et met en lumière un massacre programmé, comme il y en eut avant et depuis. Et c'est ainsi que le roman de Frédéric Paulin est grand : il allie l'acuité de l'analyse et la profondeur des destins singuliers. 

Frédéric Paulin, La Nuit tombée sur nos âmes, Agullo, 2021. 


1 commentaire:

Le Maki a dit…

Très tentant ce livre. Ca ne fait pas partie de mes lectures habituelles mais là, ca donne envie.