Présentation éditeur
Zombies, extraterrestres, holocauste nucléaire, robots androïdes, disparitions mystérieuses et virus exterminateurs sont révélateurs de la grande peur des États-Unis : la chute de la nation. Les catastrophes et le « monde d’après » hantent les séries télévisées américaines, surtout depuis les attentats du 11 septembre 2001. The Walking Dead, Battlestar Galactica, The Leftovers, The 100 : ces versions du cataclysme, ces mises en scène de la survie rejouent, chacune à leur façon, l’Histoire américaine, sa violence, ses ruptures, ses conquêtes et ses frontières, et lui offrent une catharsis.
En banalisant les images de la catastrophe, les séries post-apocalyptiques habituent les gens au spectacle du « pire », sans pour autant les confronter aux menaces réelles que connaît la Terre aujourd’hui, du réchauffement climatique aux désastres industriels. Car comme le démontre Apocalypse Show, quand l’Amérique s’effondre, les États-Unis préfèrent imaginer la fin du monde plutôt qu’envisager la fin du capitalisme.
Ce que j'en pense
Peu importe que vous soyez familiers des séries explorées par Anne-Lise Melquiond. Pour ma part, je regarde peu de séries, et pas celles dont il est question ici, même si j'en ai beaucoup entendu parler, même si j'ai pu en voir quelques épisodes. Le travail accompli par cette jeune chercheuse (cet essai est la version remaniée d'une thèse de doctorat) est passionnant. Tous médias confondus, les fictions apocalyptiques ou post-apocalyptiques sont légion et je trouve très intéressant de se pencher sur ce qu'elles charrient en termes de représentations. Vous le savez, je ne suis pas de ceux qui pensent que les fictions, même les plus populaires et honnies des élites culturelles, ne sont que du vent, plaisent parce que les industries culturelles sont rusées et nous proposent de purs divertissements qui ne disent rien du monde. L'essai dont il est question ici fait la démonstration brillante que ces fictions médiatiques, ici télévisuelles, rejouent sur une scène symbolique à la fois les grandes peurs de l'Amérique et les traumas de l'Histoire américaine. L'essai est extrêmement agréable à lire, fluide, accessible sans être simpliste, et pour ma part, je l'ai lu d'une traite. L'analyse met en convergence les séries, montre les figures et les motifs récurrents de ces fictions apocalyptiques, et c'est en soi très intéressant, surtout pour moi qui ne les fréquente que de loin. En ces temps de commémoration du 11 septembre, qui plus est, la résonance de ces séries est forte, et l'essai tombe à pic, expression de mauvais goût, j'en conviens, si on songe à The Falling Man. Il y a donc la portée cathartique de ces fictions, qui montrent au public une forme de réalisation des angoisses contemporaines, mais l'effondrement d'une civilisation est ici profondément ancré dans l'Histoire, l'Histoire d'une nation fondée dans la violence, et qui rejoue, sur la scène intérieure comme sur la scène internationale, la violence exterminatrice, l'affrontement à l'Autre. Ce n'est pas pour rien que la fiction apocalyptique utilise les codes du western, de cet imaginaire pionnier à la fois défensif et conquérant, qu'elle affectionne aussi les leaders, les sauveurs, sans renoncer à l'idée de l'extermination, encore et toujours. Anne-Lise Melquiond met en avant les paradoxes de ces fictions, ou peut-être leurs limites. Elles sont le plus souvent d'une grande lucidité sur ce qui s'est joué, sur ce qui se joue, sans pour autant remettre en cause ce qui fonde l'Amérique, son système, ses valeurs. L'imaginaire apocalyptique est hanté par la "menace" de l'anarchie, et manifeste une nostalgie sans nuance ou presque de l'ordre antérieur, de la société américaine. C'est un miroir d'une Amérique qui continue à se rêver en grande nation aux valeurs humanistes et progressistes, pas en poudrière. En cela, les séries apocalyptiques sont des fictions rassurantes et peut-être consolatoires qui se détournent des périls qui nous guettent pour mieux nous parler de menaces irréelles. L'essai donne à réfléchir, et rien que pour ça, il mérite d'être lu.
Anne-Lise Melquiond, Apocalypse Show, Quand l'Amérique s'effondre, Playlist Society, 2021.
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