Nous sommes à Berlin, durant l’hiver 1944. Hans Kalterer, agent de
renseignements de la SS, attend de sortir de l’hôpital militaire et ne va pas
tarder à être envoyé à Berlin pour une enquête criminelle. Rupert Haas, déporté
à Buchenwald, profite d’un bombardement aérien sur le camp pour s’évader et
rejoindre Berlin. Leurs destins vont se croiser à l’heure où tout vacille, à
l’approche de la défaite.
Mon avis
Je n’avais pas du tout entendu parler de ce roman avant de le voir sur
l’étal de mon libraire. Il se trouve que le sujet m’a séduite (si je puis
dire), ainsi que la caution des deux auteurs – historiens – par ailleurs
inconnus de moi. Puis une amie m’en a parlé (hello, Miss Cornélia !), elle
venait de le lire, son avis était positif et elle a proposé de me le faire
parvenir.
Je n’ai pas été déçue, c’est du roman noir sans concession. Il n’a pas
pour moi la force de La tristesse du
samouraï, il ne m’a pas secouée à ce point, mais j’ai beaucoup aimé.
Certains aspects m’on fait penser à ce très bon roman de Dominique
Manotti, Le corps noir: la période de
la fin de la guerre, les revirements opportunistes, les conversions
stratégiques, les changements de camp bien pensés… Il y a cela dans Deux dans Berlin, une manière d’évoquer
cette période entre chien et loup, où les opinions vacillent, sans que l’on
sache bien à quoi s’en tenir. Je dois dire aussi que c’est un aspect des choses
que je connais mal: Berlin juste avant la chute complète du régime nazi, en
ruines juste avant l’arrivée des Soviétiques, l’atmosphère terrible des
bombardements alliés, incessants, destructeurs, la pénurie dans la ville.
Comment dire? Ce n’est pas que j’aie l’impression d’apprendre des choses
(encore que), c’est que, une fois de plus, le roman noir enrichit mon regard
sur l’Histoire, décentre ma vision, m’amène à une autre représentation des
choses.
En outre, j’ai aimé la construction. On alterne les chapitres et les
points de vue: Haas et Halterer tour à tour. En soi c’est intéressant, cette
juxtaposition, cela enrichit le regard sur les événements en créant un effet de
tension, puisque l’un est à la recherche de l’autre. Mais il y a plus: peu à
peu, quand un chapitre commence, il n’est question que de “il”, “lui”, le nom
ou les indices clairs de l’identité du personnage n’étant livrés qu’au bout de
quelques lignes, d’une page. Et c’est troublant parce que plus on avance dans
le roman et plus les deux hommes tendent à se confondre. C’est que l’opposition
entre les deux camps n’est plus si nette, même s’il n’est pas question
d’assimiler les actes des uns et des autres. Le policier qui a commis des actes
atroces dans l’armée nazie a tout perdu lui aussi, et il sait le poids de sa
faute, en même temps que ses questions à propos du régime se mulitplient. Quant
à Haas, il n’est pas un opposant né au régime nazi, il est un citoyen berlinois
ordinaire que le régime a rattrapé et brisé et surtout, sa croisade meurtrière
(et finalement vaine) le fait basculer du côté des bourreaux. Bien entendu, cet
homme qui a tout perdu a toutes les raisons du monde de vouloir se venger, et
face à lui se trouvent d’authentiques et infâmes pourritures: toutes les âmes
ne sont pas grises dans ce roman, certains restent désespérément noires… Reste
que l’un des personnages pose la question en cette fin de guerre: y a-t-il
encore un seul innocent en Allemagne? Le roman se construit donc sur cette
alternance, rapprochant peu à peu les personnages, jusqu’à un final très réussi
qui va jusqu’au bout du pessimisme, sans concession aucune, sans chercher à
consoler le lecteur.
Ce n’est pas une lecture très gaie, je vous l’accorde. On en ressort un
peu abattu, mais qui a dit que c’était une période de l’Histoire rigolote? J’ai
en tout cas envie de me mettre – enfin – à la série berlinoise de Philipp Kerr,
une référence en la matière.
Pour qui ?
Pour ceux qui aiment que le roman noir aborde l’Histoire.
Le mot de la fin
Richard Birkefeld et
Göran Hachmeister, Deux dans Berlin(Wer übrig bleibt, hat Recht), Le Masque,
2012. Traduit de l’allemand par Georges Sturm. Publication originale: Eichborn
AG, 2002
4 commentaires:
Je suis contente que ce roman très noir et quand même déprimant t'ait plu...son réalisme sordide vaut le détour. Moi aussi j'ai en attente le P.Kerr dont on dit bcp de bien, on en reparlera bientôt peut-être.
Oui, un grand merci à toi. Tu me diras pour Philipp Kerr, je n'ai jamais rien lu de lui, mon cher et tendre me dit que pour lui, c'est le meilleur (il a lu la trilogie berlinoise)!
J'aime beaucoup la série de Philip Kerr ! Je ne connaissais pas Richard Birkefeld avant ton billet, mais il va de ce pas rejoindre ma wish-list. :-)
Si tu le lis, tu me diras!
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