mardi 4 octobre 2022

Collapsus de Thomas Bronnec



Présentation éditeur

Persuadé de l’imminence de l’effondrement et de l’urgence à agir face à la catastrophe climatique, Pierre Savidan, un gourou écologiste arrivé presque par accident à l’Élysée, met en place des mesures drastiques : covoiturage obligatoire, scoring écologique incluant le nombre des naissances et les modes de consommation... Bientôt ouvrent des centres de rééducation idéologique qui accueillent les réfractaires, de plus en plus nombreux. Car, dans la société, les colères montent et se multiplient. Olivier Fleurance, patron d’un grand groupe agroalimentaire, fédère les oppositions et mène la rébellion au milieu du chaos naissant.
Savidan avait-il bien conscience que ses convictions l’amèneraient à affronter ce dilemme philosophique : pour sauver l’humanité, faut-il en sacrifier la moitié ?


Ce que j'en pense

Parfois je me demande si je ne suis pas un peu maso. Dire que je souffre d'éco-anxiété serait sans doute excessif, mais je ne suis pas du tout sereine sur le sujet, et si vous ajoutez à cela une colossale angoisse politique, eh bien on se demande pourquoi j'ai lu Collapsus. Je vous le dis tout de suite, je n'ai aucun mal à lire des romans qui me font du bien et qui n'ont aucune autre ambition, je ne lis pas pour qu'on me "dérange" ou pour éprouver du malaise. Mais allez comprendre, j'ai beaucoup aimé Collapsus, tout comme j'avais aimé Les initiés et En pays conquis

Collapsus n'est pas un polar, ni une dystopie, c'est de la politique fiction, qui pourrait prendre place aujourd'hui et maintenant. La qualité des auteurs de roman noir (comme Thomas Bronnec ou Jérôme Leroy) réside dans leur capacité à s'emparer des questions politiques cruciales et à nous montrer que nous allons droit dans le mur. Ne lisez pas ce roman si vous espérez trouver du réconfort ou des réponses à vos interrogations. Mais si vous voulez mettre des mots sur vos craintes, vos questions, loin des formules politiques qui claquent, des visions médiatiques réductrices, Thomas Bronnec est fait pour vous. 

Le constat est glaçant : nous ne faisons rien pour empêcher le pire, c'est-à-dire l'extinction de l'humanité. Nous, ce sont les politiques, les industriels et sans doute nous, simples citoyens, au-delà de notre impuissance apparente. Le personnage imaginé par Bronnec est terrifiant. Savidan pose les bonnes questions, prend des décisions radicales, qui devraient s'imposer, mais se heurte à la classe politique et aussi à une bonne partie de la population. Les questions posées sont complexes et je n'entends pas les résumer ici (lisez donc le roman). Mais c'est là que le roman rejoint la dystopie : pour empêcher le pire, Savidan prend des décisions qui sont pires que tout. Je ne vous apprends rien, la dystopie, c'est en fait l'utopie qui tourne mal. Et s'instaure dans le roman une dictature qui ne dit pas son nom, avec des camps de rééducation qui rappellent de sinistres précédents, tout comme les séances d'auto-critiques auxquelles sont "invités" les résidents "volontaires". On ressort du roman sonné : et s'il n'y avait pas de solution? 

Tout est fin dans le roman, et étayé par de solides connaissances sur le fonctionnement de nos institutions politiques. Rien de didactique, tout passe par des personnages fouillés, complexes, que ce soit Savidan, ex-gourou qui ne comprend pas l'aveuglement de ses contemporains, son moignon armé (pardon, vous comprendrez en lisant mon mauvais esprit), Mathilde, et les autres. Tout passe par une gradation dans l'action, remarquable, jusqu'au final glaçant, et somme toute tellement plausible. Savidan ne méconnaît pas la pugnacité de ses adversaires, mais il s'aveugle aussi lui-même : il se réclame de la volonté du peuple, mais qu'est-ce qu'un dirigeant élu par 6 millions de personnes? Il est convaincu du bien-fondé de ses décisions mais ne voit pas ce qu'elles impliquent de dérives fascisantes. Il agit au nom du bien de tous mais a du mépris pour la population, qu'il ne comprend pas. 

Thomas Bronnec refuse les simplifications et la force du roman réside notamment dans sa capacité à donner voix à tous les points de vue. A nous, lecteurs, de voir, d'adhérer ou non. Ce n'est pas un roman aimable, ce n'est pas un roman idéologique, c'est de la littérature, qui pose des questions sans asséner de réponse. 

Et au fait, superbe couverture, belle réussite graphique.

Thomas Bronnec, Collapsus, Gallimard Série Noire, 2022.


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