Présentation éditeur
Hiver 2021. Vincent Chanaleilles n’a plus d’illusions depuis longtemps. C’est un flic confronté à la solitude, à la barbarie. Des adolescentes disparaissent, qu’il ne parvient pas à tirer hors de la nuit, un jeune homme en rupture de ban égorge un gardien de la paix au métro Charonne, et Paris s’enfonce dans l’abîme. Hanté par la mémoire d’un père emporté par Alzheimer, le Capitaine avance dans un pays soumis, pétrifié par la peur. Il sait bien qu’il n’est pas là pour faire triompher la justice ou la vérité, mais pour colmater les brèches.
Les siennes aussi. Nuit après nuit, le Capitaine se lance sur les traces de ce père violent dont il a renié le nom, dont il ignore la langue. Il cherche à comprendre cet immigré algérien, condamné à fuir son commando FLN, perdu à l’aube des années 1960 au cœur du bidonville de Nanterre, puis essayant de se frayer en France un chemin fragile et douloureux. Il revient vers ses racines arrachées et se demande : hérite-t-on du sang noir de son père ?
Ce que j'en pense
Equinox + Thomas Sands + un titre superbe, évidemment je ne pouvais résister. J'avais été décontenancée par son précédent roman, et j'avais adoré le premier. Il me surprend encore, par un roman moins surprenant. Je m'explique. Il me semble que Thomas Sands fait ici des choix apparemment plus classiques (ce qui n'est pas un défaut): la quête d'un homme, Vincent, quête de lui-même et de son père, avec à la clé une forme d'apaisement et peut-être de réconciliation. Sur ce dispositif que je qualifie ici de classique, le talent de Thomas Sands est de ne céder à aucune facilité, et de ménager quelques fausses pistes narratives : ainsi l'enquête qui pourrait s'amorcer à partir du chapitre 2. Impasse narrative car on est loin d'une vision enchantée où les morts trouvent la paix grâce à un enquêteur qui leur rend justice en trouvant les responsables. Il en va de même pour le portrait du père qui se dessine peu à peu : pour lui point d'apaisement, comme le montre le dernier enregistrement.
J'imagine que certains trouveront que le roman est écartelé entre deux fils narratifs : la quête liée au passé et à l'Histoire (la Guerre d'Algérie), la radiographie de la France contemporaine. Il me semble au contraire que les deux sont liés et que là réside la force de ce roman noir. Thomas Sands livre une vision très sombre d'un pays en plein effondrement, que le pouvoir livre à des peurs soigneusement entretenues, d'une société qui ne laisse pas une chance aux plus fragiles, et qui condamne ses "agents" (ici la police) à constater le désastre et à servir de bouc émissaire. Car Vincent, comme ses collègues, ne servent à rien, ils prennent la barbarie en pleine face, au point qu'ils n'ont guère de choix : devenir barbares ou mourir.
Ce roman est une sorte d'histoire de la violence. Tout comme l'histoire personnelle et familiale de Vincent est une histoire de violence, l'histoire de la France est une histoire de violence et de sang qui rejaillit sur ses enfants. Vincent est le fils de cette peine et de cette violence, subie et infligée, et la société française d'aujourd'hui hérite elle aussi de cette violence, qu'elle a infligée, qu'elle continue d'infliger, et qu'elle subit à son tour.
Si le roman semble classique dans sa forme, comme je le disais, il n'en reste pas moins qu'il offre un apaisement trompeur : il n'est pas de pardon, la haine ne peut s'éteindre, la violence se perpétue. Et là, je retrouve toute la force de Thomas Sands, chez qui il n'y a jamais un mot de trop, jamais une phrase facile. On ne sauve personne. On enterre seulement les morts : "Nous fermons les yeux des morts et les morts en retour nous ouvrent les yeux." Aux morts, donc : Sandra, Manu, l'inconnue du chapitre 2, le père. Et ce que nous voyons est horrible.
Thomas Sands, Je suis le fils de ma peine, Les Arènes Equinox, 2022.
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