Présentation éditeur
Bambi, quinze ans bientôt seize, est décidée à sortir de la misère. Avec ses amies, elle a trouvé un filon : les sites de sugardating qui mettent en contact des jeunes filles pauvres avec des messieurs plus âgés désireux d'entretenir une protégée. Bambi se pose en proie parfaite.
Mais Bambi n'aime pas flirter ni séduire, encore moins céder. Ce qu'on ne lui donne pas gratis, elle le prend de force. Et dans un monde où on refuse aux femmes jusqu'à l'idée de la violence, Bambi rend les coups. Même ceux qu'on ne lui a pas donnés.
Ce que j'en pense
Autant vous le dire tout de suite, Bambi n'est a priori pas aimable. J'ai d'ailleurs craint un instant de ne pas entrer dans le roman de Caroline De Mulder faute de pouvoir saisir le personnage. Mais en réalité, c'est l'une des grandes forces du roman que de ne pas essayer d'angéliser (ni de diaboliser) Bambi. Avec ses grands yeux et ses jambes longues, elle ferraille avec les armes qu'on lui a données. Car de la rage, Bambi en a à revendre. J'ai parfois pensé à L'appât de Tavernier, film d'une grande noirceur, mais Bambi ne vient pas du même monde: elle n'est pas sotte, elle ne vient pas d'un milieu protégé (doux euphémisme), elle doit lutter pour vivre, pour se faire une place. Certes, elle se trompe parfois de cible, elle poursuit des chimères, elle use de moyens dégueulasses, mais le monde ne l'est-il pas, dégueulasse, avec Bambi?
Le constat est sans concession, Caroline De Mulder ne juge pas, elle pointe les responsabilités. Elle ne dédouane pas plus Bambi que les autres personnages, mais ces derniers la surpassent en lâcheté - au mieux - ou en abjection - dans la plupart des cas. Bambi veut elle aussi consommer, parce qu'elle pense que c'est ça qui est essentiel dans notre société capitaliste, et ne pas être seulement consommée : elle se refuse à être victime, proie, et tente de renverser les rôles. Tout s'achète, tout se vend, mais certains ont des moyens que Bambi n'aura jamais : l'argent, bien sûr, mais surtout une forme de respectabilité qui donne leur impunité à ces hommes dotés socialement et économiquement, et la parole. Le beau-père est l'un d'entre eux : sa respectabilité sociale et sa maîtrise du verbe et de lui-même lui permettent de convaincre tout le monde - sauf Bambi - qu'il est ce qu'il y a de mieux pour elle, et Bambi finit par le comprendre. Qui croira cette gamine manipulatrice et menteuse face à l'homme socialement installé ?
Implacable, la mécanique de Manger Bambi embarque le lecteur : impossible de lâcher ce roman bref et dense, d'une grande force. Une autre chose est remarquable chez Caroline De Mulder : sa capacité à faire exister le verbe de ces jeunes filles. Rien de toc, rien de singé, et pour le lecteur, le sentiment d'entendre ces jeunes filles, de percevoir leur agilité verbale, le rythme staccato de leurs échanges.
On connaissait déjà le talent de Caroline De Mulder, mais elle donne ici un roman particulièrement abouti, un superbe roman noir.
Caroline De Mulder, Manger Bambi, Gallimard, La Noire, 2020.
3 commentaires:
voilà un roman interessant ! deuxieme chronique que je lis et qui en dit beaucoup de bien ! je note ! :)
étrangement, ce sujet me rebute. J'ignore pourquoi mais impossible de lire ou regarder un documentaire ou un film sur ces jeunes femmes...
Je suis dedans, j'avoue que je rame. passé les tout premiers chapitres, le style me fatigue et Bambi aussi. C'est bien fait, cohérent, mais je me sens complètement détaché, et je préfère lire mes BD qu'avancer dans le roman.
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