samedi 23 janvier 2021

Cimetière d'étoiles de Richard Morgiève



Présentation éditeur

El Paso, Texas, 1963. Huit ans après la disparition du tueur en série appelé le Dindon *, les lieutenants Rollie Fletcher et Will Drake enquêtent sur la mort suspecte d’un Marine. Ce ne sont pas des modèles de vertu mais la vertu n’a jamais résolu une affaire criminelle. La ténacité, si. Plus Fletcher et Drake progressent dans la recherche de la vérité, plus cet absolu leur échappe, plus l’enquête se révèle être une hydre aux multiples visages. La mort à tous les étages: voilà ce qu’ils auront au menu et qu’ils feront passer avec des balles blindées et des amphétamines. Pas de castagnettes mais des poings américains. Comme seule loi, la loi du talion version country : pour un oeil les deux, pour une dent toute la gueule. On remplit les cimetières comme on peut et on ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs. En témoigne cette pluie d’étoiles mortes qui tombe du drapeau américain à la fin du livre.

Ce que j'en pense

Vous vous souvenez du Cherokee, assurément, roman noir qui étreint le coeur. J'avais lu ce roman assez longtemps après sa sortie et j'en garde un vif souvenir. J'attendais donc avec impatience Cimetière d'étoiles, avec lequel j'ai embarqué pour une odyssée encore plus hallucinée, hantée et tout aussi magnifique que Le Cherokee. Drake et Fletcher sont pourtant a priori moins "aimables" que Nick Corey, terrifiants de cruauté et de folie destructrice. Je ne vous cacherai pas que j'ai eu du mal à les suivre, à embarquer à leurs côtés. Mais j'ai fini par les aimer, oui, je le dis ainsi, parce que c'est le cas. Ils ne sont qu'un, un seul être déviant et en même temps des flics, acharnés à découvrir ce qui est arrivé au Marine mort et rien ne peut les arrêter, surtout pas la mort. Fletcher, halluciné, défoncé, est touché par la grâce en la personne de Holly Howell aux yeux violets. J'ai le sentiment qu'on peut accéder à Cimetière d'étoiles comme ça, comme un roman noir crépusculaire et tragique, tissé de personnages déglingués et de tragédies. On peut se laisser aller au plaisir ambigu de la castagne ultra-violente, de l'ambiance western de fin du monde, de ces personnages de flics pourris et de criminels déjantés. L'écriture de Richard Morgiève est somptueuse, émaillée de citations et de références bibliques, avec des fulgurances poétiques qui étreignent le lecteur à chaque page ou presque. Cimetière d'étoiles est, comme Le Cherokee, la quintessence du roman noir, de sa puissance tragique. 

Je mentionne Le Cherokee parce qu'il est à nouveau question du Dindon ici : Fletcher et Drake commencent par ignorer cette piste, cette présence lancinante, englués qu'ils sont dans le scandale d'Etat qu'ils découvrent. Tout les ramènera pourtant à lui. Mais ce n'est pas seulement ça. Le Cherokee et Cimetière d'étoiles forment un dyptique qui explore les mythes de l'Amérique et en constate le crépuscule. Cimetière d'étoiles est parsemé de citations et de références à la culture populaire étasunienne : cinéma, musique populaire, tout ce qui permet à l'Amérique à la fois de se voir plus belle en son miroir et de lever le voile par le biais du blues et du jazz. Le roman a cette dimension "méta" comme diraient certains: il exhibe les codes du noir, du western, de toute cette fiction de genre déployée par l'industrie hollywoodienne, dont l'âge d'or est à son terme. Chant du cygne, en quelque sorte, d'un pays qui a vendu du rêve par son soft power, les industries culturelles. Car la réalité est bien différente, et c'est à mon sens l'autre dimension de ce dyptique romanesque : Nick Corey avait "fait" la Corée, ici c'est le Vietnam (et donc la Guerre froide) qui englue l'Amérique dans ses mensonges, et évidemment, le roman se clôt le 22/11/63. Le rêve américain n'a jamais existé, comme en témoignent ces putes à un dollar, ces flics véreux, ces Noirs et ces immigrés condamnés à la misère la plus noire, et tout ce monde-là est de toute façon mauvais jusqu'à la moelle ou peu s'en faut. Mais de la guerre de Corée à la guerre du Vietnam, la belle façade se lézarde, et l'assassinat de Kennedy signe la fin de l'innocence prétendue. Car l'Amérique n'est qu'un sac de noeuds et de complots, sur fond de peur de petits hommes verts, de crise de Cuba, de pouvoirs et de contre-pouvoirs (Hoover, CIA, FBI, armée, un vrai nid de tueurs). L'Amérique n'a jamais été innocente, fondée sur un génocide et sur l'asservissement des Noirs, c'est une nation originellement pourrie, dans tous les sens du terme, et qui, de 1953 à 1963, s'effondre sur sa pourriture, devenant le cimetière des étoiles du drapeau américain. 

Subsiste la puissance de la fiction et de l'écriture, et je n'oublierai pas de sitôt Drake, Fletcher, Booker et Holly. Avec une question : et le petit Ronnie alors? 

Richard Morgiève, Cimetière d'étoiles, Joëlle Losfeld, 2021.

1 commentaire:

Electra a dit…

c'est bizarre mais la vision unilatérale d'une époque me rebute
le monde existe en tant de dimensions, bref .. je m'égare ! pas pour moi je passe !