jeudi 21 mars 2019

Un silence brutal de Ron Rash


Présentation de l'éditeur
Dans cette contrée de Caroline du Nord, entre rivière et montagnes, que l’œuvre de Ron Rash explore inlassablement depuis Un pied au paradis, un monde est en train de s’effacer pour laisser la place à un autre. Le shérif Les, à trois semaines de la retraite, et Becky, poétesse obsédée par la protection de la nature, incarnent le premier. Chacun à sa manière va tenter de protéger Gerald, irréductible vieillard amoureux des truites, contre le représentant des nouvelles valeurs, Tucker. L’homme d’affaires, qui loue fort cher son coin de rivière à des citadins venus goûter les joies de la pêche en milieu sauvage, accuse Gerald d’avoir versé du kérosène dans l’eau, mettant ainsi son affaire en péril. 
Les aura recours à des méthodes peu orthodoxes pour découvrir la vérité. Et l’on sait déjà qu’avec son départ à la retraite va disparaître une vision du monde dépourvue de tout manichéisme au profit d’une approche moins nuancée.


Ce que j'en pense
Le repos forcé a du bon : j'ai pu me laisser aller au plaisir de dévorer Un silence brutal dans la journée, et quel bonheur! Dès les premières pages, on est saisi par la beauté de l'écriture (chapeau à la traductrice!), et tout au long du roman, ce sont de véritables pages de poésie qui se donnent à nous. La tentation de l'écriture poétique est plus forte quand le personnage de Becky prend la narration en charge, mais dans l'ensemble du récit se déploie une prose poétique d'une grande beauté. Gloire est rendue à ces paysages sauvages, à leur flore et à leur faune, que les hommes méritent si peu, eux qui sont occupés à tout saccager. Mais Un silence brutal est aussi un roman noir, dans lequel Ron Rash peint la société américaine d'aujourd'hui, ses fêlures, ses dysfonctionnements, ses dérives. Il y a Tucker et son exploitation commerciale du désir de retour à la nature de riches touristes, les petits blancs camés à la meth, symptômes d'un échec social, Gerald et ses tragédies - la perte de son fils en Afghanistan, Becky et le traumatisme d'une prise d'otage meurtrière dans une école quand elle était enfant, la difficulté d'échapper à ses racines sociales avec C.J., Les et la douleur de n'avoir pas su entendre la souffrance de son ex-femme. Le roman évoque la filiation (subie, assumée, reniée) et la culpabilité, mais n'allez pas croire que tout est sombre. C'est finalement ce qui me frappe le plus : au-delà de la noirceur qui caractérise la vie des hommes, il se dégage de ce récit quelque chose de très lumineux, de solaire. J'ai eu bien du mal à quitter Les, Becky, Gerald, je me sentais à la fois apaisée et déchirée. Pour un premier contact avec la nouvelle Noire, c'était magnifique. 

Ron Rash, Un silence brutal (Above the Waterfall), Gallimard, La Noire, 2019. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Isabelle Reinharez. Disponible en numérique. 

2 commentaires:

Electra a dit…

pour une fois, je ne vais pas te lire car je voudrais vraiment le lire sans avoir été influencée - j'attends son arrivée à la BM ;-)
mais je sais que tu as beaucoup aimé ! tant mieux !

Tasha Gennaro a dit…

Je comprends, quand il s'agit d'un livre que j'ai l'intention de lire a priori, je fais pareil! Hâte d'avoir ton avis, en revanche.