lundi 25 mars 2019
Nadine Mouque d'Hervé Prudon
Présentation de l'éditeur
Un matin, la mère de Paul meurt. Il décide de la garder dans sa chambre quelque temps pour ne pas rester seul. Mais le soir même il récupère, dans une benne à ordures, une jeune femme amnésique. Elle dit s’appeler Wanda, mais ressemble comme deux gouttes d’eau à la Hélène du feuilleton télévisé que tout le monde regarde à la cité. Finalement ce sera Nadine, parce qu’«ici, aux Blattes, Nadine Mouque ça va pour tout le monde et toutes les religions, c’est un mot de passe pour vous gâcher le jour, vous dire la haine et l’irrespect de la personne humaine, tout le monde s’appelle Nadine Mouque.»
D’autres, les racailles de la cité, Nando, un bodybuilder escaladeur de façades, Jean-Claude, l’éducateur érotomane du coin et même Zarko, un ministre très lié à Nadine, aimeraient bien lui ravir sa fiancée. «Parce que je serais con et moche, glauque et gluant. Pervers sentimental. Tout le monde peut s'introduire dans mon petit intérieur pour me chiper ma fiancée, mon otage, ma secrète... Mais on n'arrache pas son os à un chien. Surtout pas à un bâtard de banlieue.»
Ce que j'en pense
J'ai lu Nadine Mouque au début des années 2000, lorsque j'ai entrepris mon exploration du roman noir français. Je me souviens avoir gardé l'impression d'avoir un roman sur la banlieue, dont le sujet et la langue m'avaient fait penser à Vautrin (Billy-ze-Kick ou A bulletins rouges). 23 ans après sa première parution, que reste-t-il de Nadine Mouque? Ben une oeuvre littéraire, mes amis.
Me frappe sa puissance d'évocation, d'abord, car hélas! la vision que nous propose Prudon de ces laissés-pour-compte n'a pas pris une ride. Ils sont toujours là, les pauvres, ceux de l'au-delà du périph', entassés, parqués, bouillonnants. La vision est sombre mais pas misérabiliste, parce que la force de vie est là et pas ailleurs. Mais ce sont les damnés de la terre, et oui, comme le souligne la 4è de couverture, Prudon se demande, et nous avec lui, "est-ce ainsi que les hommes vivent?". Près de 25 ans plus tard, la question demeure, cruellement.
Mais Nadine Mouque n'est pas un récit sociologique, ce n'est pas un document, c'est un roman qui tient par la force de sa langue, de son style (quoi que l'on mette derrière ce terme vague). Là où Vautrin travaillait une oralité à la Queneau, Prudon restitue le flux intérieur de conscience d'un personnage et sa perception de la réalité, dont il doute parfois lui-même, et nous aussi, tant c'est hénaurme. L'écriture suit les méandres de cette perception, dans des phrases chaloupées, au rythme redoutable et très vivant. Mais Prudon n'est pas le narrateur, il est avant tout un poète, un orfèvre de la langue, qui travaille son rythme et ses sonorités. Il ne dédaigne pas les clins d'oeil aux plus grands noms de la poésie, comme avec ce soleil "cou coupé", il exprime ce désespoir transfiguré par la force de l'écriture.
Nadine Mouque est ainsi un grand roman noir, mélange de tragique (social et humaine) et de vision carnavalesque, tout en excès et en démesure: rocambolesques, les mésaventures de notre anti-héros, excessifs, les personnages capables de faire disparaître une moto et son chauffeur en deux temps trois mouvements, saisissante, la vision de l'architecture banlieusarde, qui doit plus à une folle vision expressionniste qu'à la froideur de Buffet froid, vivante et folle, la langue de Prudon.
L'édition proposée par La Noire a le mérite de donner le ton : le roman noir doit encore à Prudon, le roman noir c'est cela, une grande fiction politique et littéraire, hors de toute investigation et des codes s'il le faut, et ça augure du meilleur. Ne passez pas à côté de la présentation de Sylvie Péju, et des dessins de l'auteur, pendant graphique de son imaginaire littéraire.
Hervé Prudon, Nadine Mouque, Gallimard, La Noire, 2019. Réédition du roman initialement paru en 1995.
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