samedi 23 mars 2019

Bratislava 68, été brûlant de Viliam Klimacek


Présentation de l'éditeur
Au printemps 1968, le parti communiste tchécoslovaque expérimente le « socialisme à visage humain ». La censure est interdite, les frontières s’ouvrent vers l’Ouest, les biens de consommation font leur apparition… Un vent de liberté souffle sur le pays.Cet été là, Alexander et Anna montent dans leur Skoda Felicia, un cabriolet flambant neuf, pour rejoindre leur fille Petra à Bratislava où elle vient de terminer de brillantes études de médecine. Tereza, fille d’un cheminot rescapé des camps de concentration et d’une éditrice à la Pravda qui ont longtemps accueilli des réfugiés hongrois de 1956, séjourne dans un kibboutz en Israël pour renouer avec sa culture juive. Jozef, pasteur défroqué pour avoir refusé de dénoncer des paroissiens auprès du Parti, fait ses premières armes à la radio.
Dans la nuit du 20 au 21 août, tandis que les tanks soviétiques
envahissent la ville, le destin de ces trois personnages et de leurs familles va basculer. Pendant quelques heures, la frontière avec l’Autriche reste ouverte, Vienne est à une heure de train.
Chacun devra alors faire un choix : partir ou rester ?
Fuir la violence ou résister à l’oppresseur ?

Ce que j'en pense
J'avais repéré ce titre et c'est à Livre Paris que je l'ai acquis. Bien m'en a pris. Je ne connais pas la littérature slovaque, il n'est donc pas exclu que je fasse des parallèles incongrus, faute de connaissances... Car oui, le premier nom qui me vient à l'esprit est celui de John Irving. Il y a dans Bratislava 68, été brûlant, cette ampleur romanesque, ce côté fresque humaine: on embrasse les destins de plusieurs personnages sur quelques années, avec les bonheurs et les tragédies de la vie, rien de plus, rien de moins. Viliam Klimacek (pardon pour les accents et signes manquants) excelle quand il s'agit de peindre les bonheurs ordinaires, les petits faits: des jeunes filles qui observent des séminaristes, la préparation d'un repas de Noël pour des immigrants fraîchement débarqués, un tour en voiture (la Felicia)... 
Et puis il y a ce ton doux-amer, plein de tendresse et de dérision mêlées, avec la voix du narrateur, l'auteur de ce livre, présente dès les premières pages et qui se fait plus présente vers la fin. Démiurge bienveillant, le narrateur nous indique que, tout romancier qu'il est, il construit sa fiction sur des témoignages bien réels: son travail d'auteur consiste à en faire une matière homogène et plus grande que la vie, mais il rend hommage aux protagonistes réels dans une liste à la fin du volume. 
Bratislava 68, été brûlant est un roman souvent plein de douleur : les personnages sont tous, à un moment à un autre, confrontés à des choix, aux conséquences de ces choix pour eux et ceux qu'ils aiment. Choix de rester à Bratislava après l'invasion russe, de partir, et dans ce cas, de partir en laissant ceux que l'on aime ou pas, de partir pour telle ou telle destination, choix de rester pour résister à sa manière... Même Lajos, le détestable Lajos, fait des choix, terribles, mais qui l'engagent totalement et en toute sincérité. Il incarne la cécité inhumaine du régime totalitaire, la fidélité à des idéaux qui font fi de l'humanité. Viliam Klimacek a beau privilégier l'humain en toutes circonstances, il ne tait pas les ignominies de ce régime autoritaire, le grand frère soviétique se rappelant brutalement au souvenir d'un état qui s'assouplissait un peu trop à son goût. On sait que les Tchèques et les Slovaques résistèrent pacifiquement à l'invasion russe, mais Viliam Klimacek nous rappelle la violence de cet été 68 et des années qui suivirent, des purges qui privèrent les institutions et les entreprises de leurs meilleurs éléments, de l'exode de familles entières. Il n'oublie pas de nous montrer la pénurie à l'oeuvre (le serpent des files d'attente), la déréliction des services publics (l'hôpital), le régime de surveillance généralisé qui s'étend bien au-delà des frontières de l'état. Et puis Bratislava 68, été brûlant est aussi un très beau roman sur l'exil, ses espoirs, ses douleurs immenses, ses difficultés matérielles. J'ai rarement ressenti le déracinement avec cette force émotionnelle. 
Pourtant, Viliam Klimacek ne livre pas un roman larmoyant, bien au contraire : il y a quelque chose de solaire dans ce récit, car les personnages, en exil ou non, ont une capacité de résistance extraordinaire. Ils plient mais ne rompent pas, jamais. Et la solidarité s'exerce dans l'adversité, entre exilés slovaques ou entre communautés (les voisins vietnamiens d'Anna). Chez Viliam Klimacek, l'humanité l'emporte sur la saloperie, d'une manière ou d'une autre. Et puis il y a des moments d'une drôlerie inouïe, liée aux situations mais aussi au ton du narrateur. L'écriture est superbe et il faut rendre hommage aux traducteurs, qui me semblent avoir réalisé un travail somptueux. 
Bratislava 68, été brûlant est un grand roman, à découvrir absolument. Et pour ma part, il m'a donné une furieuse envie d'aller à Bratislava... 


Viliam Klimacek, Bratislava 68, été brûlant (Horuce Leto 68), Agullo, 2018. Traduit du slovaque par Richard Palachak et Lydia Palascak. Disponible en numérique.

2 commentaires:

Electra a dit…

Vendu ! évidemment quant tu aimes, tu sais l'écrire mais l'histoire m'intéresse vivement - j'ai vu des documentaires sur cette révolution "de velours" et je suis allée à Prague et j'ai vu la tombe du jeune étudiant qui s'est immolé et d'autres monuments. Je le note !

Tasha Gennaro a dit…

@Electra : je ne suis jamais allée à Prague. C'est un aspect passionnant du roman!