samedi 16 décembre 2017

Le coeur sauvage de Robin MacArthur


Présentation (éditeur)
Bûcherons, fermiers, vieux hippies, jeunes artistes ou adolescentes rebelles, les personnages de ces nouvelles vivent à la frontière de la civilisation et du monde sauvage, dans des endroits reculés du Vermont. Tous cherchent à donner un sens à leur solitude et à leurs rêves, au coeur d'une nature à laquelle ils sont, souvent malgré eux, viscéralement liés. L'eau noire et glacée des lacs, l'odeur des champs en juin, la senteur de la résine, les forêts à perte de vue... Robin MacArthur évoque avec puissance et grâce cet univers à la fois âpre et beau, où se reflète l'âme de ses habitants.

Ce que j'en pense
Traversant ma panne de lecture avec désespoir, j'ai téléchargé le fameux extrait gratuit en ebook de ce recueil qui était dans ma ligne de mire depuis longtemps (depuis qu'Electra l'avait chroniqué, je pense). Et même si je m'étais promis de ne pas faire d'achat-plaisir ce mois-ci, que voulez-vous, je suis faible, et totalement envoûtée par la plume de Robin MacArthur, j'ai illico acheté le livre, incapable de résister à l'envie de lire la suite. De nouvelle en nouvelle, on parcourt le Vermont, pas celui des urbains aisés qui se paient une jolie maison et un coin de nature à eux, non, celui de ces petits blancs qui vivent de peu (sans être des white trash, je le précise). Ils vivent dans de petites maisons délabrées, ou dans des mobile homes posés dans un coin de forêt. Certaines nouvelles prennent place de nos jours, d'autres dans la période des années 1960, quand la guerre de Vietnam décime ces jeunes Américains de classes populaires, qu'ils aient été tirés au sort ou qu'ils escomptent par leur engagement vivre ensuite une vie meilleure. On vit loin des grandes villes, loin du reste du monde, mais les menaces qui en émanent sont là: conflits armés (Vietnam naguère, Afghanistan aujourd'hui), spéculation immobilière (il leur faut des terrains, à ces urbains riches), racisme. J'ai aimé que Robin MacArthur n'oublie jamais les conditions matérielles de vie et le contexte socio-historique dans ces nouvelles, et certaines nouvelles ont une beauté tragique qui laisse pantelant... Je pense notamment à "Karmann", "Le pays de Dieu", "La longue route vers la joie". C'est d'ailleurs cet équilibre que je retiendrai, entre la tragédie, la mort, la souffrance, et la beauté, beauté de cette nature évoquée avec tant de finesse et de précision, beauté de la vie, des relations aux autres... J'ai été cueillie par certaines nouvelles, j'en suis sortie le coeur gonflé de joie et de tristesse tout à la fois. Mais si certaines nouvelles sont très sombres, aucune ne porte le désespoir. Et il faut saluer ici la composition du recueil, avec en ouverture "Silver Creek" et en clôture "Les femmes de chez moi". Elles illustrent parfaitement cette croyance en la vie, en l'apaisement, en la beauté des êtres et de la nature. Je ressors secouée tout particulièrement par les personnages féminins, et sans doute parce que cela raisonne en moi, par les relations mères-filles, notamment dans ces deux nouvelles. Ainsi, dans "Silver Creek" : 
"Il se passe quoi, avec nos mères? Cette façon qu'on a de les aimer et de les détester à la fois. Cette façon qu'elles ont d'incarner la laideur, et pourtant on surprend leur visage dans un miroir, et on s'étonne de notre... joie."
Enfin, j'ai aimé la composition des nouvelles: nous sommes assez loin de la conception véhiculée par des décennies de scolarité en France, loin de la nouvelle à chute. Robin MacArthur capture des moments, anodins ou terribles, des tourments intérieurs, et il n'y a pas de chute, parfois même pas de véritable achèvement... mais toujours quelque chose d'essentiel et de fort qui se joue entre les êtres, dans la conscience des personnages, dans le rapport à un lieu. Car ces personnages, qu'ils aient fui ces coins de forêt où ils ont grandi ou qu'ils y soient enchaînés, questionnent leur rapport à la nature, à la famille. Et c'est bien autour de cela que se noue la dernière nouvelle du recueil, "Les femmes de chez moi". 
Le coeur sauvage est un recueil bouleversant dont on ressort illuminé, apaisé. 
Et je me dis que c'était une sacrée bonne idée de soigner ma panne de lecture par des nouvelles, genre que j'adore mais que je fréquente trop peu. 

Robin MacArthur, Le coeur sauvage (Half Wild), Albin Michel, 2017. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par France Camus-Pichon. Publication originale: 2016. Disponible en ebook. 

2 commentaires:

Electra a dit…

C'est un tel plaisir de lire ta chronique - j'ai adoré ce recueil (et ma mère également) et ton billet me rappelle les raisons. Pour les nouvelles "à chute", l'interview de Callan Wink que j'ai publié, montre bien l'évolution des auteurs et leur refus de céder à cette manie. Tom Hanks dont je n'ai pas lu le recueil, disait que lui aussi, préfère une fin ouverte, sans chute, sans bruit. En tout cas, ravie de t'avoir donné envie et d'avoir réussie à te redonner envie de lire !

Tasha Gennaro a dit…

Merci! Doublement : pour la découverte de Robin MacArthur et pour la fin de panne de lecture... J'ai d'ores et déjà mis le Callan Wink dans ma wishlist ;-)