Présentation
Par un soir de tempête épouvantable, de
Gier et Grijpstra constatent la mort d’une femme à son domicile, à première vue
accidentelle, mais résultant pourtant d’un meurtre, comme ne vont pas tarder à
le comprendre nos deux acolytes. Parmi les suspects, un homme d’affaires italien,
un collaborateur de la victime, et un étrange individu, le
« babouin ».
Mon
avis (colère)
J’ai déjà chroniqué un roman de Van de
Wetering il y a quelques semaines. J’ai depuis poursuivi ma lecture avec Le Babouin blond, dont l’intrigue est tout
aussi bien ficelée que celle des volumes précédents, avec ce qu’il faut de
noirceur (dans le dénouement) pour en faire à mes yeux une série très
intéressante. J’ai eu plaisir à retrouver de Gier et Grijpstra – même s’ils ne
jouent pas de musique dans ce volume – ainsi que le commissaire, qui prend de
plus en plus d’épaisseur au fil des volumes. Le personnage qui donne son
(sur)nom au volume est particulièrement savoureux : Van de Wetering a
décidément un joli talent pour brosser des personnages avec rapidité, tout en
leur laissant le temps d’acquérir de la profondeur.
Mais ce n’est pas sur les mérites de ce
roman que je voudrais m’attarder cette fois-ci.
Non. J’ai été gênée dans ma lecture. Le
style était très inégal, passant de la préciosité la plus affirmée, dans le
lexique et dans les tournures, à la trivialité et à la rapidité si
emblématiques d’une certaine écriture polareuse. Non seulement les ruptures de
ton étaient étranges, mais les passages les plus « littéraires » et recherchés
sonnaient un peu faux. Ceci dit, j’ai appris des mots : je ne savais pas,
ignorante que je suis, qu’une douleur pouvait être
« térébrante » : OK, je n’ai retenu que ce mot, peut-être parce
que j’étais moi-même affligée de douleurs (térébrantes, donc) dans le dos
lorsque je lisais ce roman.
Bref.
J’ai voulu en avoir le cœur net. J’ai
différé la rédaction du billet. J’ai commandé le roman en anglais (il a fallu
un peu de temps pour qu’il arrive).
Je ne suis pas traductrice, encore moins
bilingue. Mais vous l’aurez remarqué, je peux lire certaines œuvres en anglais,
si elles ne sont pas trop exigeantes ou trop éloignées de nous (dans le
temps : j’ai souvenir d’avoir étudié Shakespeare dans mes jeunes années,
c’était ben difficile). Je mesure (un peu) la difficulté de l’exercice de la
traduction littéraire, ce qui me rend admirative face à l’excellent travail de
nombreux traducteurs. J’ajoute que Rivages/Noir a largement contribué à changer
la donne en ce qui concerne le polar, par un soin apporté à la traduction des
œuvres étrangères, cela est incontestable.
Cependant, je reste perplexe devant Le Babouin blond, dont Rivages semble
pourtant être le premier éditeur français. Je constate (et cela n’est pas un
reproche fondamental) que plusieurs traducteurs se sont succédés sur les
volumes de la série qui m’intéresse ici. Le
Babouin blond est traduit par un certain André Simon, et j’avoue que
certains de ses choix me semblent discutables. Il y a une préciosité dans le
vocabulaire – pour certains passages – et des tournures alambiquées qui ne
correspondent pas vraiment, me semble-t-il, au style de l’auteur. Son anglais
n’est certes pas lapidaire, mais il y a une certaine limpidité dans les phrases
et une simplicité dans la manière d’appréhender les faits. Voici quelques
exemples :
Première page :
« Detective-Sergeant de Gier agreed with him but he didn’t say so. He
didn’t have to. »
La traduction française : « Le
brigadier de Gier en convint mais n’eut point besoin de le dire. C’eût été
superflu »
Bon, je passe sur le « c’eût
été », admettons, concordance des temps (encore qu’un « c’était
superflu » m’aurait paru tout aussi bienvenu et plus simple). Mais
pourquoi ce « ne point » pour la négation ?
D’accord, je pinaille.
Au début du chapitre 3, j’ai été plus gênée
(pour ne pas dire éberluée) par cette « douleur térébrante », obtenue
étrangement à partir de la formule « cold pain ». Je ne sais pas
quelle formulation serait juste, mais « térébrante », mille
tonnerres !
Et ces drôles de tournures, qui compliquent
une syntaxe originellement simple, en donnant à l’œuvre un côté précieux et
chichiteux inattendu… Au début du chapitre 4, l’auteur écrit : « The
room hab been neutral when the commissaris moved into it, many years
back. » Cela devient : « Impersonnelle avait été la pièce avant
que le commissaire ne s’y vînt installer, il y avait maintenant des
années. » Sans rire, pourquoi ces inversions ? Cela donne un petit
air ridicule au texte, non ? Plus loin, un personnage affiche un
« jubilant visage » pour « bright face », tandis que, chez
une femme, « the low top of her suit », devient « l’échancrure
de son casaquin ».
J’arrête là. Je ne suis pas une puriste de
la traduction, je n’ai pas les compétences pour cela. Mais celle-ci a vraiment
gêné ma lecture, parce que ce n’était pas le style auquel j’étais habituée pour
la série, et que cela faisait écran. J’ai du mal à comprendre : le
traducteur a-t-il voulu rajouter sa patte à un texte de « mauvais
genre » jugé trop simple, pas assez littéraire ? Est-ce un gag ?
En tout cas, en regardant l’original, j’ai le sentiment que la traduction
dénature le texte, surtraduit et donne une tonalité qui n’a pas lieu d’être.
Rivages proposera-t-il des traductions
revues comme cela a été fait pour certaines séries récupérées chez d’autres
éditeurs ? J’en doute. Mais on peut rêver.
Le
mot de la fin
Je n’ai plus qu’à prier les bienveillantes
divinités de la lecture que ce zélé traducteur ne sévisse point dans les
volumes qui attendent dans ma pile à lire. Je ne souffrirai point que ce texte
acratopège reçoive les outrages d’une maniérée traduction : les accordailles entre la série et moi
seraient assurément rompues.
Janwillem Van de Wetering, Le Babouin blond (The Blond Baboon), Rivages/Noir, 1987. Traduit de l'anglais par André Simon. Publication originale : 1978.
6 commentaires:
J'adore ton billet ! Malheureusement je crois que certains traducteurs français ont des ambitions frustrées. Je suis comme toi horrifiée par les écarts de niveau de langage dans les exemples que tu cites. Au moins j'aurai appris des mots : térébrantes, acratopège. Cela arrive très souvent avec les traductions des années 50. Il faut lire les Jane Austen en français et en VO c'est hallucinant l'écart qu'il y a entre les 2.
Bon, je l'avoue, sur "le mot de la fin", j'ai cherché des mots désuets pour faire genre... Mais dans ce qui précède, c'est bel et bien dans le bouquin, et le pire, c'est qu'on est dans les années 1980 (je pense que 1987 est la première parution française). Je peux imaginer ce que ça donne pour Jane Austen. C'est comme les doublages de vieux films, tu sais, avec des voix pointues et un style recherché...
Grâce à toi j'ai appris deux mots aujourd'hui ;-)
En tout cas je comprends entièrement ta frustration. C'est pour ce genre de raison que Gallmeister a réédité les polars de Ross MacDonald.
Enfin ce que je retiens pour ma part, c'est que si je décide de me lancer dans cette série, ça sera en vo !
La fin de ta critique m'a bien fait rire... mais il a fallut que j'aille voir dans un dictionnaire le sens de "acratopège"!!
Et j'en ai déjà oublié le sens!!! ;-)
@ Emeraude : les éditions Gallmeister font du travail remarquable. j'ai racheté les Mac Donald, lus il y a longtemps en 10/18, mais je n'ai pas encore mis le nez dedans. Oui, c'est vrai, parfois, mieux vaut aller directement à la VO, mais c'est dommage pour ceux qui ne s'en sentent pas capables...
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